Jour 10
« WAIT ! »
Iona saisit violemment son bras, l'empêchant de faire un pas de plus. Luce regarda effrayée le vide au devant d'elle, comprenant qu'elle avait failli y passer. Elle gardait ses yeux fixés sur la boussole en marchant et avec la purée de pois qui les entouraient depuis quelques heures, elle n'avait pas vu le ravin venir. Elle y jeta un coup d’œil et pâlit considérablement. Il n'y avait aucune chance de survie en tombant de cette hauteur. Elle remercia abondamment le jeune homme, avant d'observer et d'écouter leur environnement. Quelque chose la titillait...
Il y avait une rivière, ce bruit qu'elle entendait ne pouvait être que celui du roulis de l'eau sur des pierre.
Elle se tourna vers le roux, expliquant en peu de mots ce qu'elle avait compris. Ils se mirent à longer le bord, descendant prudemment vers la source. Le calme était pesant, l'angoisse montait en Luce, qui était sur le qui-vive. Normalement, ils étaient sensés faire face à un dragon, mais rien ne témoignait de la présence de ce dernier.
Le fond du ravin était recouvert de galet, parmi lesquels passaient un filet d'eau, bien moins impressionnant que ce à quoi ils s'étaient attendus. Le long de la falaise en face d'eux, se trouvait l'énorme racine d'Yggdrasil. Ce fut ce que supposa la blonde, au vu de la texture rugueuse à l'opposé des roches lisses les environnant. Ils se mirent d'accord pour commencer à remonter la source, fatigués par ce périple, ils vouaient en finir et retourner auprès de leurs proches. Resserrant les courroies de son sac, elle se mit en route à la suite de Iona. Le terrain n'était pas propice à une marche confortable, ils faillirent glisser plusieurs fois et Luce ne passa pas loin d'une entorse à la cheville. Plus ils se rapprochaient du potentiel passage leur permettant d'accéder à l'intérieur d'Yggdrasil, plus ils s'inquiétaient de ne voir aucune résistance. Ce n'est qu'une fois devant l'ouverture d'où coulait la source, que Luce comprit quelle serait leur difficulté. Le boyau devait faire, au maximum, un mètre et demi. Grimaçant à l'idée de ramper dans un tube boueux, dans le noir complet, elle se tourna vers Iona. Pâle et tremblant, il avait le regard fixe sur le boyau.
« Sorry Luce, chuchota-t-il difficilement. I can't do...
— No probleme, le coupa Luce d'une voix ferme. We'll just wait for the Thésée.
— He's already inside... »
Elle fronça les sourcils et suivit la direction indiquée par son doigt. Atterrée de voir un énorme serpent agoniser derrière la racine, elle se demanda comment elle avait pu passer à côté sans le voir. Elle avait oublié que la forme de N. variait en fonction des livres qu'elle avait lu, il était parfaitement probable qu'il soit un serpent, tout autant qu'un dragon. Elle s'avança vers la créature, suivit de Iona. Il fallait qu'elle entre rapidement à l'intérieur du passage, mais elle ne pouvait pas laisser cette créature agoniser. Il faisait partit des légendes, il avait une place importante dans les croyances du peuple de Midgard, il ne fallait pas qu'il meurt.
Sinon ce monde sombrerait dans un désordre sans nom.
Elle expliqua brièvement la situation à son compagnon, tout en examinant l'envergure de la plaie. Le sang coulait abondamment, empoisonnant l'eau de Hv. Il fallait arrêter l'hémorragie, puis nettoyer la plaie et cautériser pour faire au plus simple. Iona sortit trois de ses pierres de coagulation, à cela, Luce ajouta une cristal d'eau et un cristal de feu. Rapidement la plaie arrêta de suinter, elle put ainsi briser le cristal au dessus pour évacuer la boue et le sang noir. Elle inspira, s'installa de façon à être bien stable et cassa le cristal de feu. Un soubresaut anima le corps de Ni., le mouvement brusque faillit faire tomber la jeune femme qui fut rattrapée de justesse par le roux. La plaie était bien nette et propre, et Iona se proposa pour la coudre en lui suggérant de partir à la recherche du Thésée. Luce le remercia abondamment. Elle enleva son sac, le mit devant elle et entra dans le boyau.
Couverte de boue, elle avait l'impression de ramper depuis des heures. Le boyau s'élargissait enfin, au point qu'elle put se mettre debout. Avançant beaucoup plus rapidement, elle fut soulager de constater qu'une lumière était visible au bout de son chemin. Son attention détournée, elle fit un pas peu prudent et tomba lourdement dans la boue. La douleur lui fit monter les larmes aux yeux et toute l'anxiété, le stress et la pression de ces derniers mois retomba d'un coup sur elle. Un cri de frustration sortit d'elle, déchirant le silence alors qu'elle éclatait en de gros sanglots désordonnés. Elle trouvait qu'il était injuste qu'elle ait eu tout cela à vivre, à subir. Elle s'assit pleurant librement, le poids de la solitude s'écrasant durement sur elle. Affronter tout cela pourquoi ? Pour des gens qui ne comprenait pas un dixième de ce qu'elle traversait ? De ce qu'elle avait vécu ? Beaucoup auraient abandonné rien qu'en apprenant la mort de l'être cher à leur cœur. Et ces mêmes personnes qui lui donnait une mission qu'ils ne voulaient pas faire, qui provoquaient des guerre, ne la remercierait qu'à peine. Pas un compliment ou un éloge à sa bravoure, à sa ténacité,n à son courage. Ils se fichaient éperdument de savoir ce qu'ils avaient réellement imposé aux Voyageurs. Elle repensa aux morts qui avait jalonné sa route et essuyant rageusement ses larmes, elle se remit debout. Hedda avait eu tort, elle était une guerrière et s'il le fallait, elle mourrait pour protéger ceux qu'elle aimait.
La salle était entièrement pleine d'un épais brouillard, elle ne pouvait ni en deviner la largeur, ni la longueur, ni la hauteur et encore moins la profondeur de la pièce. Tendant la main vers la brume, elle fit danser ses doigts sales et abîmés dans la douceur humide devant elle. Soudainement, de petites étincelles dorées apparurent autour de sa main et se mirent à parcourir le nuage, qui devint couleur or fondu. Un sourire aux lèvres, émerveillée par le spectacle, elle hurla de peur quand elle fut aspirée vers l'avant. Contrairement à ce qu'elle avait imaginé, soit une mort en s'étouffant à cause de la purée de pois, elle flottait juste. Les fragments dorés voletaient autour d'elle et entraient dans sa poitrine, créant des picotements désagréables mais supportable. Était-elle entrain de recevoir le cœur d'Yggdrasil ?
Oui.
Luce était dans un état de béatitude, incapable de comprendre l'ampleur de ce qu'il était entrain de se passer. Se sentant particulièrement engourdie, elle avait l'impression qu'elle devait comprendre quelque chose, la voix de sa conscience cherchait à l'atteindre mais un monde semblait les séparer. Une vive douleur à niveau de son thorax la fit suffoquer et quelques secondes après, elle était inconsciente au sol de la salle, vide de toute brume.
Elle volait, enfin elle avait cette impression fugace et étrange qu'elle était aussi légère qu'une plume. Se concentrant sur son environnement, la jeune femme comprit en voyant Iona assit à côté du corps de N. qu'elle assistait à une scène qui avait probablement actuellement lieu. Le roux ne semblait rien faire de particulier, à part attendre. Mais ce n'était pas elle qu'il attendait, elle en avait l'intime conviction. Cela fut confirmé quelques minutes plus tard quand le leader, le Thésée qu'elle pensait poursuivre, arriva. Avec un frisson d'appréhension, elle écouta leur discussion pour confirmer ses pires craintes.
« Elle est à l'intérieur ? demanda le leader en s'asseyant aux côtés du roux.
— Ouais, elle pensait te poursuivre pour t'arrêter.
— Dès qu'elle sort, elle est morte.
— Cela pourrait prendre plusieurs jours, tu sais, rappela Iona.
— Je ne pense pas, elle n'a pas de quoi se sustenter et elle ne peut ressortir par aucun autre endroit. »
Un vertige prit Luce qui recula d'un pas et tomba dans des absysses sombres. Elle devait trouver un moyen de sortir vivante, mais pourquoi voulaient-il sa mort ? Et puis elle se souvint de ce qu'il s'était passé, elle avait obtenu le coeur d'Yggdrasil. Pour quelle raison ? Au nom de quel exploit ? Elle l'ignorait. Avec un certain découragement, elle songea à se laisser mourir. Avec ce don, elle était condamnée à rester éloigée de sa famille, en réalité, elle vivrait cela comme une malédiction.
« Veux-tu l'abandonner ? murmura une voix, comme un souffle au creux de son oreille.
— Quelles en seraient les conséquences ?
— Il pourrait tomber entre de mauvaises mains, car je ne peux le reprendre. Et tu serais condamnée à mourir. »
A ce moment-là, elle aurait du sentir son coeur louper un battement, ou moins s'accélerer. Il n'y rien de tout cela, peut-être parce qu'elle était inconsciente ? Commençant à angoisser, elle chercha la source de la voix. Il fallait qu'on lui explique, que s'était-il passé... Puis réalisant qu'encore une fois, elle ne pouvait rien faire face à cela, elle se calma et décida qu'encore une fois, elle se relèverait.
« Je garde ton don Yggdrasil, mais aide-moi à leur échapper. Tout cela n'aura servit à rien si je meurs maintenant.
— Où veux-tu aller jeune femme ?
— Chez moi, je veux voir ma famille et mes amis avant de devenir une Fugitive. »
Une luciole s'agita sous son nez, comme pour lui indiquer la route. Luce la suivit, s'enfonçant dans des nuages épais et menaçant. Elle avait l'impression d'être au-dessus d'un orage, et en regardant au contrebas, elle vit que ses traces de pas scintillaient un instant avant de disparaître. Il devait faire nuit, car rien d'autre que cela n'était visible. Un pas de plus et elle dut franchir quelque chose, car des millions de petites lumières brillaient, formant des bourg, des vilages et des villes. Fascinée par ce spectacle, elle faillit ne pas reconnaître la France et l'Allemagne. Relevant la tête, –comment allait-elle descendre sans mourir ?–, elle observa la luciole qui se rapprocha d'elle avant de se poser sur son nez. Pour la deuxième fois de sa journée, Luce hurla de peur en chutant brusquement.
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