Jour 11

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    Luce avait l'impression qu'une barre de fer traversait sa tête tellement la douleur était forte. Elle se sentait suer, mais de la chaire de poule recouvrait l'entièreté de son corps. Elle s'agita, grommelant un juron allemand, avant d'ouvrir les yeux. Un verre était posé sur sa table de nuit et elle eut subitement conscience d'à quel point sa gorge était sèche. Étirant lentement son bras courbaturé et réussissant à s'appuyer difficilement sur l'autre. Elle avala une gorgée avant de se recoucher, à bout de force. Il était probablement tard, aucun bruit n'était perceptible. Hésitant un instant, elle finit par céder à son envie, elle avait bien trop faim. D'une voix faible elle appela la créature et un instant plus tard, celle-ci apparut dans sa chambre. Elle soupira et demanda un peu de nourriture. De nouveau seule, elle tenta de s'asseoir dans son lit, serrant les dents à cause de l'étirement de ses muscles. Un vertige la prit brusquement, mais après s'être concentrée un peu sur sa respiration, elle avait réussi à s'adosser à un oreiller. Son regard se perdit dans le vide, et pendant qu'elle attendait de quoi se substanter, elle repensa à cette situation parfaitement absurde dans laquelle elle s'était fourrée.

    Prenant de petites bouchées, la blonde essayait d'ignorer la marque à son poignet, l'être la fixant de ses trois yeux et le tic nerveux agitant le genoux d'Asmodée. N'osant pas dire un mot à ce sujet, après tout il avait de quoi être anxieux, elle se concentra sur les mouvements compliqués nécessaires pour qu'elle puisse se nourrir. Faisant la moue, elle abandonna son combat pour se tourner vers l'ange déchu.

« As-tu trouvé quelque chose ? chuchota-t-elle dans un souffle.

— Rien qui ne te plaira, répondit-il en se détendant, mais j'ai au moins une solution à ton état. »

Elle essaya de sourire un peu, effleurant la proéminence apparut au niveau de son cœur. Une petite bosse, de cinq centimètres de diamètre, violette et d'où partait des racines semblables à des veines. L'Arbre Monde avait implanté une graine qui s'était jumelée à son cœur, ils ne pouvaient vivre l'un sans l'autre. C'était en tout cas la théorie qu'elle avait construite, mais elle ne comprenait pas en quoi cela serait cohérent avec cette histoire de 'don'. En quoi devenir un arbre pouvait être une grâce ? Grimaçant, elle décida qu'il valait mieux écouter la possible solution de son hôte.

« Puisque ton problème tire sa source du fait que tu es de nature humaine, malgré ta capacité à voyager, la solution parait évidente. Il te faudrait changer de nature.

— Hum oui...

— Mais tu ne peux pas changer de nature, c'est physiquement impossible dans tous les Mondes existants.

— Peut-être que dans un Monde qu'on ne connaît pas, commença-t-elle, il pourrait... »

Son air blasé la dissuada de continuer, il en savait savait bien plus sur les Mondes qu'elle n'en saurait jamais.

« Puisque tu ne peux pas changer de nature, il te reste une possibilité.

— Autre que de devenir un arbre je suppose...

— Évidemment, soupira-t-il exaspéré par son sarcasme. Il te faut partager le pouvoir qui te consume. »

Malgré la douleur et la fatigue, l'esprit engourdit elle chercha ce qu'il sous-entendait. Puis cela lui vint, elle sut exactement où il voulait en venir. Les traits tendus, elle attendit pour recevoir l'impact de ses mots. Sans s'en rendre compte, elle s'enfonçait les ongles dans la chaire tendre de sa main.

« Il te faut t'engager avec quelqu'un, lâcha-t-il. Accomplir une Promesse, avec quelqu'un possédant une espérance de vie plus grande et ne pas la briser. »

La question était de savoir qui pourrait s'engager ainsi avec elle, alors qu'elle était humaine. Certes, elle était convoitée depuis qu'elle avait hérité du don d'Yggdrasil et que cela se savait. Mais on la voulait plus morte que vive, sans savoir que la graine ne survivrait pas sans elle. Et son interlocuteur n'était très clairement pas quelqu'un capable de tenir un tel serment. Demander d'être fidèle au démon dirigeant le cercle démonique de la luxure, revenait à espérer voir du soleil en Bretagne. Il était donc hors de question de lui demander ce service.

Il ne lui restait que des créatures tel que les elfes ou les nains.

En tout cas, c'était si elle ne voulait pas se coltiner un pseudo dieu ou un alchimiste. Il y aurait trop de conflits concernant ses croyances et cela rendrait inenvisageable tout possibilité de fonder un foyer sain. Les nains n'étaient pas mauvais, elle savait qu'elle aurait leur respect. Le problème était qu'elle serait prise comme concubine, tout cela parce qu'elle restait humaine. Les elfes prendraient peut-être cela plus au sérieux, ils avaient une proximité importante avec la nature et vu qu'elle portait en son sein ce qui serait la descendance d'Yggdrasil... Même si elle n'obtenait aucun engagement, elle ne repartirait pas bredouille de cette visite. Elle pourrait avoir accès aux bibliothèques et rechercher plus au sujet de la prétendue Ariane, seule personne à avoir aussi obtenu ce don. Ariane n'était qu'un pseudonyme pour cette pionnière, mais elle pourrait quand même en retrouver des traces. Il valait mieux pour elle être une Ariane qu'une Daphné.

« Cela ne laisse que l'option des elfes, partagea-t-elle.

— Parfait, s'exclama-t-il en se levant, dans combien de temps pars-tu ?

— Dans combien de temps partons-nous, plutôt. »

La main sur la poignet, il se retourna lentement vers elle, une expression figé collé au visage. Elle pouvait quasiment lire ses traits la sidération face à son audace, comment osait-elle essayer de le contraindre à quelque chose ? Elle, si faible et impuissante, qu'il logeait aimablement dans sa demeure, pensait lui imposer sa volonté ? Elle sut que si elle n'argumentait pas rapidement sa phrase, elle allait se retrouver sur une colonne de pierre au-dessus d'un gouffre sans fond. Agitant faiblement la main, elle s'empressa de s'expliquer.

« Je n'ai pas la force d'aller seule à Alfheim ou autre part... Tu risques d'avoir un arbre dans une chambre d'ami si tu me laisses à moi-même. »

Désespéré, Asmodée laissa tomber sa tête contre le bois de la porte. Si elle n'avait pas eu peur qu'il change d'avis, la jeune femme aurait poussé un cri de victoire.

    Alfheim n'était pas accessible par Midgard. Devoir se relancer dans un long périple épuisait d'avance Luce, mais ce n'était pas comme si elle avait le choix. Fermement appuyée sur le bras d'Asmodée, elle attendait que celui-ci repère où ils devaient se rendre. Normalement, selon leurs recherches, Alfheim était accessible par l'océan cosmique en gardant le cap vers le Nord. Seulement, personne ne vivait au Nord, donc ils ne pourraient pas trouver un bateau là-bas.

« Passons par l'Est, je connais un groupe de valeureux Vikings, suggéra-t-elle gentiment avant de perdre patience.

— Oui, mais nous avons plus de chances de croiser des Voyageurs...

— Je ne vois pas où est le problème, trancha-t-elle fermement. Ils me pensent morte et jamais ils ne pourront me reconnaître, parce que cela irait à l'encontre de leur logique. Quant à toi, tu ne ressembles pas vraiment à l'idée qu'on a... »

Il haussa un sourcil, mais elle préféra ne pas épiloguer, l'incitant d'un geste mou à aller vers l'Est. Du coin de l’œil, elle scruta sa silhouette et convint qu'effectivement, contrairement aux illustrations qu'elle avait vu sur Terre. Elle fut d'autant plus convaincue que le mal se cachait mieux sous de belles apparences, qu'en ayant l'air d'un monstre à trois têtes, crachant du feu. Trop absorbée par ses pensées, elle trébucha et s'agrippa fermement au bras qui la soutenait à moitié.

« Trop perturbée de constater que je ne possède ni croc, ni queue fourchue ?

Einzeller. »

L'insulte avait dû être traduite, car son aide ricana brièvement. Maudissant mentalement les pierres de traduction trop performantes, elle se concentra sur le chemin s'étalant devant elle. Peut-être pourraient-ils atteindre le village d'Hedda en moins de temps que ce qu'ils avaient planifié en avançant rapidement.

    Le village n'avait pas réellement changé depuis trois mois. Lorsqu'elle y était passée la première fois, la neige tapissait encore certaines buttes, ce n'était que le début du printemps. Un sourire aux lèvres, elle contempla les changements apportés par l'arrivée de l'été. Les champs étaient couvert de blé vert, ou autres pousses trahissant la fécondité du sol. Des fleurs bruissaient doucement avec le vent, les prés en étaient couverts, là où les moutons n'avaient pas mâchonnés l'herbe grasse et verte. Se sentant plus énergique, Luce se redressa un peu et lâcha presque le bras d'Asmodée, cherchant du regard une tête connue. L'ange déchu la contempla alors qu'elle s’avançait seule, hésitante et se demanda, la mine renfrognée, si elle ne jouait pas la comédie depuis des semaines. Puis il la vit tanguer comme un bateau au début d'une tempête et il réalisa que non, si elle avait pu, elle ne se serait pas imposée sa présence, car la solitude lui allait comme un gant. Il s'approcha et attrapa fermement le bras alors qu'elle avait une faiblesse soudaine, la faisant retourner à sa posture recroquevillée.

« Nous n'avons pas fait tout ce chemin pour que tu te casses la figure maintenant.

— Merci, marmonna-t-elle se reposant sur lui. Hedda habite dans la deuxième maison à droite, c'est une...

— Bonne amie ?

— Plutôt une excellente compagne de voyage, c'est à elle qu'appartient ma hache. »

Il aurait pu balancer un commentaire désagréable sur l'arme au flan de la jeune femme, mais songea que ce serait une perte de temps. Il ne voyait pas la praticité de la chose, il était probablement bien plus dangereux que Luce avec cet objet. Donc même avec, elle ne pourrait rien contre lui ou une quelconque menace, il serait dans tous les cas obligé de s'occuper de sa protection. Elle n'était même pas capable de marcher, alors comment pouvait-elle espérer pouvoir se battre sans rien y connaître en plus ? Les humains s'accrochaient bien trop à leur vie, qu'est-ce qu'il donnerait pour savoir qu'il y aurait une fin à la sienne. Secouant la tête, il sortit cette idée de son esprit, il n'était pas tombé aussi bas. Il jeta un coup d’œil à la blonde et changea d'avis, en fait il était au fond du trou mais il creusait encore.

    Hedda accueillit chaleureusement les voyageurs, s'intéressant essentiellement à comment se portait Luce qu'elle n'avait pas vu depuis leur séparation à Nidavellir. Les deux échangèrent pendant un long moment, Luce détaillant un peu trop ses péripéties au goût d'Asmodée. Cela lui rappelait de mauvais souvenirs et il jugeait que ce n'était pas idéal de s'exposer ainsi. Grognon, il ne prit pas part à leur discussion, lui qui pensait la Voyageuse un minimum rusée, il était grandement déçu.

« Est-ce que vous êtes promis l'un à l'autre ? »

La guerrière affichait une mine très sérieuse et Luce sembla s'arrêter un moment.

« Non, répondit-il à sa place d'un ton trahissant son exaspération.

— Je ne suis pas spécialement adepte de... »

La blonde ne put finir sa phrase, car Asmodée avait posé un main sur sa bouche, l'air contrarié. Elle fronça les sourcils, avant de se libérer et d'entamer le sujet de leur venue. La femme plus âgée leur proposa une couche pour la nuit et il faillit rouspéter, ils auraient pu partir dans l'après-midi pour le Nord. Le temps comptait, il n'allait pas passer son éternité à accompagner une gamine risquant de se transformer en arbre à tout moment. Puis il vit l'état de cette prétendue gamine, la fatigue dans son regard et la prise faible qu'elle avait sur son bras était un bon indicateur. Prenant sur lui, il songea que ce serait bête qu'elle meurt de fatigue après les efforts qu'il avait fait pour l'accompagner jusque-là.

C'était le chaos, il le sut avant l'entrée fracassante de Mammon. Etait-ce parce qu'il avait trouvé la mort de Jésus trop facile ?  Peut-être bien. Alors il ne fut pas étonné de voir Mammon débarquer en claquant violemment la porte de sa chambre. Il n'aurait pas été surpris si cela avait été Satan, mais Mammom restait calme la plupart du temps...

« IL N'EST PLUS LA ! cria l'intrus.

— Et Lucifer ? demanda tranquillement Asmodée en continuant à lire.

— Il a disparu. »

Ce ne fut qu'à ces paroles que l'ange-déchu accorda un regard à l'indésirable. Son livre commença à se tordre sous la pression de ses doigts. Mammon avait le nez en sang, ses cheveux habituellement blanc étaient rouge de sang, des fractures multiples et surtout, ce qui choqua Asmodée, ce fut l'air désespéré sur son visage.

« Quoi d'autre ? l'interrogea froidement le blond.

— Belphégor, Belzébuth et Satan te cherchent, car Hel t'a désigné... »

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