Jour 12

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Asmodée était d'une humeur massacrante, mais personne ne s'en plaignait, car cela bénéficiait à tout le monde. Il ramait pour dix hommes et comblait la plupart des désirs sexuels de l'équipage. Luce observait de loin, désapprobatrice. Cependant, elle n'avait pas l'énergie pour se battre contre la nature pécheresse des autres, elle avait déjà assez à faire avec la sienne. Plus vite ils arriveraient à Alfheim, plus vite leurs chemins se sépareraient. Ce voyage faisait ressortir ses vieux démons, notamment son angoisse d'être mise à l'écart et son amour avorté pour Nathanaël. Elle s'était rendue compte, quelques jours plus tôt, qu'elle n'arrivait plus à visualiser son visage. Une crise d'angoisse avait suivi cette constatation terrible. Furieuse contre elle-même et le reste du monde aussi, elle préférait rester dans son coin et ne pas prendre part au déboire de ses compagnons de route. Son regard se perdait souvent dans l'horizon, sa croix roulant entre ses doigts, elle repensait à ces deux derniers mois.

Elle s'était réveillée dans son lit, chez elle et sa mère avait failli faire une crise cardiaque en la voyant prendre son petit déjeuné dans la cuisine ce matin-là. La petite bonne femme l'avait serrée fermement dans ses bras, embrassant ses deux joues et rendant grâce à Dieu pour le retour de sa fille. La jeune femme avait eu l'impression d'être poignardé en plein cœur à cette réaction, car elle allait devoir annoncer son départ presque définitif. Elle n'avait rien dit les premiers jours, souffrant en silence pour le bonheur de sa famille. Bonheur éphémère, car l'inévitable s'était produit, sa mère avait vu la graine et les nouvelles au journal. Elle avait été déclarée morte, mais que si on la croisait, il fallait le signaler. Sa mère avait posé de nombreuses questions, inquiète, et avait malheureusement réalisée que l'état de santé de sa fille se dégradait de plus en plus. Son père avait été furieux contre l'état et le monde entier, mais parce qu'il était impuissant. Que pourrait-il faire à part cacher sa fille pour la protéger ? En parallèle de cela Luce avait tenté de garder la face, jusqu'au jour où elle avait été incapable de se lever. La graine grossissait à vu d’œil, drainant son énergie vitale sans scrupule. Elle avait dû renoncer à son plan, devenir une Fugitive dans son état revenait à se condamner à mort. Plusieurs nuits blanches avaient été nécessaire pour qu'elle trouve une solution. Et c'était avec trop de regrets, presque à moitié morte, qu'elle avait quitté ses parents pour voyager jusqu'à Asmodée, le seul pouvant l'aider. C'était tout ou rien, soit il acceptait, soit il la dénonçait. Elle ignorait encore pourquoi il avait cédé, mais c'était pour le mieux, jamais elle n'aurait pu sen sortir toute seule pour cette fois.

Les bruits dans la cabine d'à côté lui retournèrent le cœur. Sortant précipitamment sur le pont, parmi les rameurs, elle réussit à réprimer la nausée. Depuis son arrivée à Midgard, son état s'était un peu stabilisé. Elle pouvait marcher un peu toute seule, ne vomissait quasiment plus et dormait sans faire plus de cauchemars que durant sa quête. Elle avait juste l'impression d'avoir un sursis.

« Pour combien de temps encore ? » murmura-t-elle doucement aux vagues se heurtant à la coque du bateau.

Elle releva le regard et se figea en voyant l'horizon menaçant. Jörmungand arrivait. Courant prévenir l'équipage, elle hésita un peu avant de débouler dans la cabine où les ébats d'Asmodée avaient lieu.

« Jörmungand est là, déclara-t-elle droite et fière, il faut se préparer au combat. »

Elle ne voulait pas détourner le regard, elle voulait être forte et le témoigner ainsi pour montrer qu'elle était insensible à la séduction du mal. Mais elle fut étonnée de voir la tourmente dans les yeux de son compagnon de voyage, qui remit sa chemise et posa sa main sur son épaule.

« Reste ici, ne bouge pas. Tu n'es pas en état de te battre. »

Son ton froid contrastait fortement l'aura protectrice se dégageant de ses mots. Puis grimaçant de douleur, une fois l'adrénaline retombée, Luce réalisa qu'il disait cela pour ne pas avoir fait tout ce chemin inutilement. Les deux guerrières eurent le temps de se rhabiller et de sortir avant que la blonde finisse pas acquiescer. Sans un autre coup d’œil pour elle, il partit et la laissa seule. S'asseyant à même le sol, la jeune femme commença à prier, car s'était tout ce qu'elle pouvait faire. Plus le bateau s'agitait, plus le bruit des pas s'intensifiait, plus fort elle prier pour le calme de cette tempête. Ils pouvaient s'en sortir, elle devait juste y croire et patienter. Sauf que l'angoisse montait petit à petit, la gagnant morceau par morceau sans aucune pitié. Le bruit du tonnerre la fit trembler physiquement et la pluie s'abattait si violemment sur eux, elle n'entendait même pas les chants vikings. Un frisson descendit le long de son dos et elle sentit la graine grignoter un peu plus d'espace.

Elle devait sortir.

Jugeant que mourir ainsi, enfermée dans une cale de bateau, sans voir le danger, serait bien trop horrible pour elle, elle se releva difficilement. Ce fut sa hache à la main, ses cheveux fermement attachés, qu'elle apparut sur le pont. Pâle comme un fantôme, elle voulait comprendre pourquoi Jörmungand disparaissait en la voyant. Elle pensait qu'il y avait un lien entre eux peut-être. Ce n'était pas un hasard, car les deux voyages qu'elle avait effectué, avaient ce même moment où elle croisait le regard du serpent avant qu'il ne disparaisse. Le vent tourbillonnait, et les rameurs gardaient le cap malgré cela. Enfin, c'était ce qu'elle espérait. S'ils dérivaient trop... S'avançant vers l'avant du bateau, elle vit de loin Hedda et Asmodée, côte à côte, face à Jörmungand. Elle le vit plonger vers la guerrière et avec une force qu'elle ne se croyait pas capable d'avoir, elle lança sa hache. Figée par la soudaine terreur qui l'habitait, elle observa la tête du serpent se redresser, une hache entre les deux yeux, son regard jaune la transperçant plus que le froid glacial.

Il va me tuer.

Trop absorbée par ce contact visuel, elle ne se rendit pas compte des actions d'Asmodée. Ce dernier était furieux depuis des jours, pour la première fois depuis des millénaires, il avait une interdiction, celle de ne pas toucher à Luce. C'était une gamine, mais parce qu'il se l'interdisait, il mourrait d'envie de la prendre comme il l'entendait. Et plus il la convoitait, plus il luttait, plus il était d'une humeur exécrable. Quand elle avait déboulé dans la cabine où il avait ses affaires, il avait cru que sa dernier once de raison allait le quitter. Mais il y avait eu ce qu'elle avait dit, et comme elle était très douée pour le faire, elle l'avait ramené sur terre. Il s'était prétentieusement placé comme protecteur, pour qu'elle ne mette pas inutilement sa vie en danger. Pour qu'il ne se retrouve pas inutilement à Midgard, qu'il n'ait pas fait autant d'investissement de temps et de patience pour rien. Il avait pensé à tort qu'un serpent géant ne devait pas être si dur à combattre, sauf qu'il n'était pas armé et qu'il n'était pas sur ses terres. Trempé et presque impuissant, il avait vu le serpent plonger vers la guerrière qu'affectionnait la Voyageuse. Cependant, ce n'était pas du sang d'Hedda que le bateau fut éclaboussé. Atterré, il avait fixé la hache, alors que lui n'avait pas songé une seule seconde à sauver la viking. Il s'était lentement tourné vers la direction d'où provenait l'arme qui avait figé la créature mythologique. Et il l'avait vu là, debout et le teint blafard. Il ne sut pas s'il avait envie de la tuer pour lui avoir désobéi ou s'il l'admirait pour sa bravoure. Se ressaisissant, il s'approcha rapidement d'elle, prenant fermement son épaule tandis que ses jambes cédaient sous son poids. Elle s'appuya sur lui, et occultant ces idées malsaines de son esprit, il se tourna vers la menace directe. Certes, il ne mourrait pas, mais passer l'éternité en bouillie dans l'estomac d'un serpent au fond d'un océan ne lui plaisait guère comme perspective. Il avait d'autres projets à réaliser. Pourtant, il n'y avait pas à s'inquiéter, car déjà le ciel s'éclaircissait et le serpent avait disparu. Interdit, il refusa de se détendre trop vite. Il était le seul, l'équipage avait repris le rythme pour corriger leur trajectoire et le leader du groupe parlait avec son second pour essayer de déterminer dans combien de temps ils seraient au Nord.

« Est-ce que tu peux m'aider à aller me coucher s'il te plaît ? grommela Luce. J'ai la tête qui tourne affreusement. »

Sans un mot, il la traîna derrière lui, toutes notions de délicatesse fuyant son esprit. Il se sentait nerveux, son inquiétude et sa colère étaient retombés trop rapidement. Il aurait voulu crier sur la Voyageuse, mais il n'eut pas le temps de le faire. La jeune femme s'endormit au moment où elle s'écrasa lourdement sur son lit. Il resta là, les bras ballants, hagard et désorienté. Trop de questions agitaient son esprit, alors il se laissa tomber au sol et une fois assis, il se contenta de contempler cette scène étrangement paisible après l'enfer qu'ils avaient vécu.

S'étirant comme un chat après une sieste au soleil, Luce ouvrit lentement les yeux. Elle se les frotta, ne croyant pas à la présence d'Asmodée à son chevet. Attendait-il qu'elle se réveille pour la gronder ? Sa bouche se tordit en un rictus moqueur, elle constatait qu'il prenait trop au sérieux sa mission, à contrario de ce qu'il lui avait laissé présager. En boule sous sa couverture, le nez émergeant à peine, elle contempla son compagnon de route endormit. Ses mèches blondes retombaient en désordre devant son visage calme, soulignant sa mâchoire angulaire. Elles devaient être juste un peu trop courtes pour être attachées. En fait, à le voir ainsi assoupi, elle le trouva plutôt svelte, presque frêle. Pourquoi adoptait-il cette forme ? Chassant cette question qui en amènerait beaucoup trop d'autres, elle se leva doucement, habituée à ses muscles tirant douloureusement. Elle posa une couverture sur les épaules de l'ange déchu, –peut-être serait-il plus clément avec elle, si elle se montrait sympathique ?–, et sortit de la cabine. En baissant la tête, elle constata que la grosseur trahissant la présence de la graine avait doublé de taille. Elle avait l'impression d'avoir un cancer ou un parasite, comme un vers solitaire, qui la bouffait de l'intérieur. Repoussant ses idées morbides, elle sortit donner un coup de main au second pour garder le cap vers Alfheim.

Quelques heures plus tard, lorsque Asmodée surgit des cabine l'air sombre, elle était entourée par Hedda et un guerrière guérisseuse. Il se dirigea vers elle, pour lui passer un savon, mais s'arrêta net, sa diatribe bloquée en travers de la gorge. La jeune femme était à moitié dénudée, un sein à peine dissimulé pour permettre l'examen de la graine. Quelque chose frémit au fond de lui à cette vue, et il eut une soudaine envie de vomir. Comment pouvait-il convoiter quelqu'un d'aussi pur ? Hedda lui jeta un regard et s'il avait été humain, il aurait craint pour sa vie. Mais il ne l'était pas, malgré la nausée persistante, il resta impassible et froid. Peu importait ce qu'elle avait vu, elle ne dirait rien et serait la seule à avoir entr'aperçu cette luxure qui était son quotidien depuis si longtemps. Depuis tellement de temps qu'il ne se souvenait même pas de comment il avait vécu sans ça, il avait cette sensation, comme s'il avait toujours été ainsi. Pourtant, les cicatrices dans son dos trahissait sa vraie nature et comme parfois, quand il s'égarait dans ses pensées, il se demanda comment il avait pu en arriver là.

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Bon, je vais être obligée de passer cette histoire en 'mature'. Parce que j'ai beau essayer de faire tout les détours possibles, je suis obligée de parler un minimum sur la sexualité du perso (sinon c'est un compromis qui me fait perdre trop de réalisme :')). Cependant, il n'y aura pas réellement de scène graphique (peut-être un peu gore, mais rien de trop choquant).

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