Jour 13
La pluie gouttait lentement, quittant chaque feuilles d'arbres pour tomber vers le sol, toujours plus bas. Luce admirait ce paisible spectacle depuis une heure. Elle n'avait pas le droit de sortir de sa chambre, séparée d'Asmodée et des Vikings depuis leur arrivée à Alfheim. Elle avait beau crier, menacer, pleurer, les elfes refusaient de la laisser sortir. Un médecin venait tout les jours, lui offrant de quoi se documenter et tester des médicaments sur elle. Elle avait hésité à les consommer, mais avait fini par céder en se sentant dépérir. Deux semaines s'étaient écoulées, et elle était à deux doigts de sauter par sa fenêtre pour leur échapper. Frustrée de ne même pas pouvoir communiquer avec ses compagnons de voyage, elle espérait qu'ils soient toujours vivant. Elle soupira, se leva et s'approcha de nouveau de la porte de sa chambre, peut-être que si elle donnait un bon coup de pied dedans... Puis elle se rappela qu'elle avait craché du sang la dernière fois qu'elle avait fait un trop gros effort physique. Juste au moment de cette constatation, la porte s'ouvrit pour laisser place à deux elfes, l'un avait un regard respectueux tandis que l'autre ne lui offrait qu'un coup d’œil empli de mépris. S'inclinant à peine, elle s'assit sur le rebord de son lit, se doutant que la discussion à venir ne lui plairait que peu.
« Nos hommages Thémis la Sage et porteuse du don d'Yggdrasil. Nous sommes deux émissaires envoyés par la royauté.
— Nous allons vous soumettre notre offre, coupa l'elfe hautain.
— Bien, mais j'aimerais... »
Un reniflement sarcastique l'interrompit, l'elfe la regardait de haut. Préférant se taire, elle prit sur elle, se concentrant sur sa respiration.
« Tu n'es pas en position de quoique se soit. A vrai dire, tu devrais être reconnaissante que nous ne t'ayons pas simplement tuée pour avoir amené des humains de Midgard ici. »
Elle eut envie qu'il sente la douleur rongeant son être, qu'il la subisse durant plusieurs mois, qu'il vive ce qu'elle avait vécu, qu'il souffre ! Puis se reprenant, elle se détourna des intrus pour écouter leur proposition sans trahir son agacement.
« Le peuple d'Alfheim ne voit pas l'intérêt de créer une Promesse avec toi... »
Elle s'arrêta de respirer.
« Nous te proposons un accompagnement vers ta transformation. »
Si elle avait eu son coutelas à portée de main, il aurait peut-être eu des séquelles. Même s'il était plus rapide et vif, il ne pouvait pas lui faire de mal, car elle ressemblait à un artefact précieux pour eux.
Il fallait qu'elle voit Asmodée et Hedda, elle avait besoin d'en parler.
Elle avait surtout besoin de retrouver des repaires, instables et particuliers, mais étrangement rassurant.
« Je désire en discuter avec mes compagnons de voyage, déclara-t-elle fermement, les bras croisés sur sa poitrine.
— Ceux qui sont morts ou l'être démoniaque entrain d'être disséqué ? demanda moqueusement l'elfe hautain.
— Celeborn ! Tu dépasses les limites ! Sois plus respectueux... »
Luce avait du mal à réaliser ce qu'on venait de lui annoncer, elle ne vit pas les regards effarés de ses hôtes, ni l'espace se distordre. L'esprit égaré, elle avait l'impression de revivre le cauchemar de son premier périple à Midgard. Sauf que cette fois, elle était la fautive, elle était celle qui avait causé la mort de ses compagnons, d'Hedda. Elle eut l'impression d'étouffer, elle n'entendait plus rien. Et l'instant d'après, des cris déchirant emplirent sa tête. S'agitant brusquement, le souffle court et totalement désorientée, elle boita jusqu'au lieu d'où provenait ces plaintes déchirantes. Il n'y avait que des cellules vides, pourtant du sang se mêlait à la terre.
Asmodée.
Elle eut l'impression de s'écrouler en le voyant se vider de son sang, il était démoniaque, mais ce n'était pas juste. Une boule dans sa gorge l'empêchait d'inspirer ou de communiquer. Elle passa une main à travers les barreaux, la posant délicatement sur la joue de l'être en face d'elle. Ses yeux avaient cet air tourmenté qu'elle n'avait qu'imaginé en s'interrogeant sur ce qu'était la vraie souffrance. Son visage était humide de larmes, elle ne savait pas qu'un ange déchu pouvait pleurer. Des pics métalliques et noirs de poison s'enfonçaient de part et d'autres de lui. Ses lèvres sèches articulaires quelque chose, mais elle ne le comprit pas. Il avait les pupilles rouges et l'air plus menaçant que jamais. Cette situation était ridicule, comment l'un des plus puissants démons des Enfers avaient-ils pu se retrouver dans une telle situation.
« Pourquoi ? sanglota-t-elle. Qu'ai-je fait ? »
Il la vit vraiment, pour la première fois. Recroquevillée, détruite par cette souffrance physique et terrassée par la culpabilité. Il entendit les cris des elfes, l'esprit embrumé il comprit la menace mais ne sut comment la prévenir. Il survivrait à un tel châtiment.
Il le méritait.
Après tout ce qu'il avait fait, c'était la destinée qu'on lui avait promis. Mais elle, elle n'avait rien fait, elle ne devrait même pas compatir pour un être tel que lui. Il se détesta de se montrer ainsi empathique, depuis qu'il avait bu à Mimir, penser était devenue une malédiction. Il regretta de ne pas avoir de pouvoir sur elle, il l'aurait fait partir rapidement. Puis il se rappela qu'il était impuissant avec les pics traversant son corps. Il ne sut à quel moment exactement il la vit relever la tête, sanglotante et le regard emplit d'une rage féroce. Il constata juste l'espace se distordant autour d'elle et l'instant d'après, ils n'étaient plus là.
Il se trouvait d'un brouillard d'un blanc éclatant. Était-il inconscient ? Oui. Observant son environnement, il constata que ce n'était pas très varié. Il battit des ailes pour s'élever, avant de se figer. Il reproduisit la même action et tordant son cou pour regarder au-dessus de son épaule, il resta béat devant la paire d'ailes aux plumes soyeuses. Il ne les avait plus depuis si longtemps, que venait-il de se passer ? Il était impossible qu'il ait obtenu la rédemption, Dieu savait tout ce qu'il se passait dans le secret de son cœur. Encore sous le choc, il se sentit aspiré vers l'arrière et se retrouva côte à côte avec Lucifer, Mammon, Bélzébuth... Horrifié, il sut qu'il était entrain de revivre cette scène qui le hantait encore, même après des millénaires.
« Lucifer, qu'as-tu fais ? »
Asmodée assista de nouveau aux mensonges de Lucifer, venu affronter et trahir son Maître. La voix si douce de l'être divin, de celui qu'il avait renié, l'ému aux larmes. Il avait envie de crier, de se débattre. Mais même en agissant ainsi, il ne pourrait pas changer les choses, car en s'opposant à son Créateur, il était entré dans cette spirale de mort et de destruction. Il avait ces besoins malsains de chair contre chair, de fluides et de perversion. Il en voulait toujours plus, parce que aucun orgasme n'était réellement à la hauteur de ce qu'il avait perdu en étant châtier du Royaume. Sombrant dans une consommation frénétique de cette luxure le dévorant, il se voilait la face, tentant d'oublier ce qu'il y avait eu lieu avant cette rébellion. Et plus il s'enfonçait dans ces pratiques, plus il mourrait à petit feu.
La scène reprit son cours, il contempla sa propre chute, il sentit ses ailes flétrir, se ratatiner et tomber. Il se souvint de la douleur qui avait déchiré son être en perdant cette partie de son corps. Il avait haïe Lucifer pour cela, et cette haine qu'il avait entretenu l'avait aidé à se perdre encore plus parmi les plaisirs de la chair. Il aurait peut-être continué à sombrer éternellement s'il n'y avait pas eu un point de rupture. Cela pouvait sembler absurde, mais lorsqu'il avait vu Lucifer le regard vide, observant ceux brûlant et suppliant devant lui, il avait été renvoyé à lui même. Il s'était soudainement sentit lasse d'exister, lasse de subir tout cela et d'entretenir cette haine. Il n'avait plus goût à rien alors que son pouvoir grandissait de jours en jours. Il pensait qu'il devait juste se distraire plus, trouver quelque chose d'encore plus tordu que tout ce qu'il avait déjà fait. Mais rien ne lui venait et c'était à ce moment-là qu'il avait eu une discussion avec Hel, qui avait évoqué une source de la connaissance, quelque chose de convoitable. Il n'avait pas beaucoup de respect pour cette faible chose qui n'existait que grâce aux croyances de son peuple, mais les autres aimaient partager sa couche. Asmodée disait souvent qu'ils n'avaient aucun savoir vivre, mais il était mal placé pour s'exprimer ainsi.
Étrangement, penser à la source Mimir le renvoya à se souvenir. Ou peut-être était-ce quelque chose de normal lorsqu'on était inconscient, de se retrouver balloté entre souvenirs et rêves ?
« Que offres-tu en échange de cette sagesse ange-déchu Asmodée ? » l'interrogea de nouveau la Vala.
Il se vit, prétentieux et fier, se croyant plus rusé que cette création dont l'existence était due aux croyances humaines. Il aurait dû se souvenir que son propre pouvoir venait des péchés humains et qu'il avait été châtié du Paradis à cause de son orgueil. Songeant qu'il fallait donner quelque chose qui l'aveuglait au quotidien, selon les indications de Hel, il se rappela la suggestion de Mammon.
« Je te donne mon orgueil qui m'aveugle au point de persister dans le pécher. »
Il s'était avancé tel un prince jusqu'à la source, la corne G. en main, et avait bu. Depuis ce jour, il n'avait plus jamais été en paix avec lui-même. Sa haine pour Lucifer s'était déplacé sur lui-même, il avait eu subitement un tel dégoût de lui, qu'il avait failli vomir sur place. Il s'était tourné vers la Vala, voulant sa mort en cet instant précis. Puis il sut qu'il était parfaitement impuissant face à une telle créature, elle ne dépendait pas de lui. Furieux, il était parti saccager un autre endroit, même en sachant à quel point s'était futile.
Une autre scène prit place, se faisant demander à Asmodée s'il n'était pas dans une sorte de théâtre. C'était un souvenir plutôt récent par rapport aux autres. Il observa Bélphégor convaincre Lucifer d'inciter la haine et la traîtrise dans l'entourage du Fils de Dieu. Il se souvint de l'épuisement qu'il avait ressenti, bien pire que toute la lassitude de son quotidien. Il n'en pouvait plus d'avoir l'impression d'être au pied du mur, incapable de faire quelque chose pour protéger Jésus des manigances auxquels il participa que peu.
« Tu as changé Asmodée, murmura Lucifer à son encontre.
— Je ne vois pas ce que tu insinues ô puissant maître des Enfers.
— On dirait pourtant, ce n'est pas courant de voir un démon reprendre son apparence angélique...
— Avoir des queues fourchues est encombrant au bout d'un moment », répondit-il impassible.
Il avait une expression blasé, ne souhaitant sûrement pas trahir à quel point les mots de l'ange-déchu avait insinué en lui un poison. Si même Lucifer voyait un changement, alors qu'ils n'avaient pas l'habitude de se fréquenter plus que nécessaire hors des Assemblées au sommet, il y avait de quoi s'inquiéter. Il se souvint à quel point il avait eu peur, sentiment si étranger à lui depuis sa chute. Il n'y avait rien à craindre finalement, car à mordre plus gros que lui, Lucifer avait fini par être dévoré. Il ne restait rien de lui, il n'était plus qu'une ombre au fond des abîmes infernales.
Une blonde s'agitait devant lui, qui était-elle déjà ? Elle lui semblait familière. On semblait la tirer de force vers un endroit, il reconnut des êtres elfiques. Il songea qu'il était stupide pour lui de s'amuser à se fricoter avec ces créatures, capables de percevoir toute la force démoniaque flottante autour de lui. Il vit la jeune femme se débattre, c'était assez amusant, car vu son gabarit, sa force était bien trop inférieure à celle de ses futurs geôliers. Un éclat de soleil se mêla à ses mèches qui devinrent brusquement rousses, elle se tourna vers lui, le regard désespéré. Que pouvait-elle attendre de lui ? Il devait partir au plus vite s'il ne voulait pas être torturé ou pire, découpé en morceaux. Les elfes avaient cette mauvaise manie d'exécrer toute énergie démoniaque, mais nourrissaient aussi une fascination malsaine pour elle. Satan avait eu la mauvaise idée d'aller chercher la bagarre avec quelques uns d'entre eux, il avait mis plus d'un millénaire à rentrer et dans un tel état, que cela avait suffit à dissuader les Enfers de remettre un pied à Alfheim ou autre fief elfique. Alors ce petit bout de femme ferait mieux de ne rien attendre de lui, car...
« As' ! »
Puis cela lui revint, Luce. Elle s'appelait Luce et elle s'était tournée vers lui pour qu'il l'aide. Alors qu'elle était catholique et intouchable, alors que c'était une question de vie ou de mort. Il l'aiderait, enfin c'était ce qu'il avait voulu faire, mais les elfes s'interposèrent et l'entraînèrent dans les profondeurs de la terre, lui faisant découvrir un aperçu de ce que Satan avait vécu.
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