Jour 15

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    Le réveil, le lendemain matin, fut compliquée. Un poids lourd encombrait sa poitrine, et Luce crut un instant qu'elle allait mourir étouffée. Puis, l'engourdissement du sommeil disparaissant, elle constata que pour la première fois depuis des semaines, elle n'avait plus mal à la tête. Soupirant de soulagement, elle déduisit qu'il ne lui restait que des courbatures due à ses activités nocturne. Et lorsqu'elle repensa à la nuit précédente, elle grimaça. Cela avait été plus désagréable que ce qu'elle avait imaginé. Soulevant comme elle le put le bras de son nouveau compagnon, elle faillit le lâcher en voyant le tatouage brillant ornant son poignet gauche. Elle ne sut pas déterminer si elle était triste ou émue, c'était beau mais aussi une preuve incontestable qu'elle avait remis sa vie, et celle de ses proches, entre les mains d'un des puissants seigneur des Enfers. Une envie de prier monta en elle, finissant de la convaincre de se lever. Elle prit sa tunique et un pantalon, attacha ses cheveux et ses manches avec de la corde. Malgré son statut non officiel de Fugitive, elle gardait son uniforme, à défaut d'avoir d'autres vêtements. Peut-être que, puisqu'elle allait mieux, elle pouvait retourner chez ses parents et récupérer quelques unes de ses affaires. Se dirigeant à pas de loup vers ses affaires, elle réussit à dégoter sa bassine légèrement poussiéreuse. Combien de temps était-elle restée inconsciente ? Combien de jours avait-elle veillé sur As' ? Étrangement, probablement moins d'un mois puisqu'elle ne s'était pas transformée en poussière. Peut-être que cette histoire d'effacement n'était qu'une invention de l’État, et de l'Alliance, pour les garder dépendant d'eux. Elle n'avait pas couru de risque, même lorsqu'elle avait logé chez Asmodée deux mois, elle avait fait deux voyages vers Midgard. Elle n'avait pas osé remettre un pied sur Terre depuis le développement de la graine, par peur de mettre en danger sa famille. Mais puisque celle-ci était retournée à son état initial, elle ne pensait pas que cela poserait un quelconque problème. Se tournant vers Asmodée, elle décida qu'il serait plus sage de lui laisser un mot expliquant ce qu'elle était partie faire. Histoire que cela ne crée pas un problème à résoudre plus tard, autant éviter de jouer avec les humeurs de l'ange-déchu.

    Un regard sur sa chambre la rendit mélancolique, mais elle n'avait pas le temps de s'y attarder. Elle était quasiment certaine que le gouvernement avait mis des alarmes autour et dans la maison de ses parents pour les prévenir d'une intrusion par un Voyageur. La blonde serra les dents lorsqu'un courant d'air froid vint la faire frissonner dans ses vêtements trempés. Maudissant cet inconvénient des Voyages, elle s'activa. Elle retrouva sa valise, y fourra quelques uns de anciens vêtements, mais il ne lui restait pas grand chose. Ce qui lui laissa assez de place pour ajouter son matériel à dessin, ses livres sur les plantes qu'elle avait acheté pour sa formation, quelques bocaux avec des végétaux séchés et plusieurs photos. Refermant avec un peu de peine la malle, elle s'interrogea sur la façon dont elle allait la transporter. La laissant en plan pour l'instant, elle descendit au rez-de-chaussée, salua sa mère qui lâcha le plat qu'elle tenait.

« Luce tu dois partir tout de suite, ils ont mis...

— Ne t'inquiète pas, je m'en doute. Je fais juste un tour à l'église et je repars. J'ai besoin de prier un peu, d'avoir un peu de calme.

— Tu sembles aller beaucoup mieux, constata la bonne femme.

— Oui, j'ai trouvé une solution à mon problème. »

Tout sourire, elle s'éclipsa pour éviter que sa mère ne pose plus de questions à ce sujet. Les détails ne lui plairaient pas, et il lui paraissait complexe d'éviter le sujet de sa Promesse, surtout quand c'était autant visible. Son regard retomba sur le tatouage scintillant doucement et se savoir lié à quelqu'un, même celui avec qui elle l'était, remua un peu quelque chose en elle. Une phrase lui revint, qu'il avait dite et tourmenta le reste de son trajet. Qu'avait-il entendu par tirer avantage de cette situation ? Elle était sous sa coupe, mais elle préférerait peut-être précipiter la fin de leurs Mondes que de se retrouver dans une situation compromettant son âme, plus qu'elle ne l'avait déjà fait. Elle n'avait absolument pas envie de devenir folle ou pervertie ou...

Il est capable de me convaincre sans que je me rende compte à quelque chose qui me condamnerait. Il est trop rusé pour moi...

Interrompant le cours de ses pensées angoissante en entrant dans l'église, elle poussa un petit soupire, s'agenouilla, se signa et se releva. Elle lança un coup d’œil circulaire et ne repéra aucun danger. Luce s'installa dans un petit coin et se mit en présence, déchargeant tout ce qu'elle avait accumulé depuis plusieurs mois. Elle n'avait pas pris le temps de passer à une messe, ou de mettre un pied dans une église depuis qu'elle était devenue une Voyageuse. Le manque de cette sérénité et de ce lieu dont elle était une habituée, avait augmenté sa fréquence de prière, notamment dans les moments de doutes. Dans la difficulté, elle se tournait souvent vers son Créateur, et cela lui apportait la paix par des réponses. Sauf la fois où elle s'était prise une croix en bois sur la tête après avoir soumis ses interrogations amoureuses au sujet d'un garçon. Cela avait été probablement une coïncidence, mais elle aimait le présenter ainsi pour faire rire son entourage.

    Elle sortit apaisée, se promettant de revenir plus régulièrement pour assister à des célébrations. Se faufilant discrètement dans les rues, elle rejoignit sa maison et grimaça en voyant la police interroger ses parents devant la porte. Elle se glissa vers l'arrière de la maison, entra par la cuisine, monta dans sa chambre et installa son matériel pour Voyager. Ses vêtements avaient à peine eu le temps de sécher, heureusement que les pierres chauffante fonctionnaient en Enfers. Sa valise dans les bras, elle sauta et rattrapa le bord de sa bassine à la dernière minute. Elle apparut à côté d'Asmodée, trempée, sa valise l'écrasant et sa bassine sur la tête. Il se détourna rapidement, mais elle put voir ses épaules s'agiter d'un rire silencieux. Au moins, il n'était pas de mauvaise humeur. Écartant de son esprit ses regrets de ne pas avoir pu saluer sa famille avant de partir, elle se releva et soupira de soulagement en constatant que ses habits étaient secs. Puis elle se tourna vers son compagnon.

« Où puis-je installer mon bazar ? l'interrogea Luce.

—  Tu dois deuxième porte à droite au quatrième étage en prenant l'escalier au fond du couloir en tournant à gauche après la bibliothèque qui est juste en sortant de la cuisine. Donc sort de cette pièce, tourne trois fois à droite, une fois à gauche et tu atteindras la cuisine.

— Hum...

— Sinon tu peux les installer dans ma chambre, en tournant une fois à droite en sortant de cette pièce. »

Son sourire en coin lui indiqua clairement qu'il avait fait exprès. Retenant sa grimace, elle essaya d'être rayonnante.

« Je vais aller au quatrième étage. »

A peine était-elle sortie de la pièce, qu'elle l'entendit rire. Elle avait peur que ce quatrième étages ne soit qu'une légende.

    Elle avait passé le reste de la journée à errer sans trouver ne serait-ce que l'escalier pour se rendre au quatrième étage. Peut-être était-ce faible de sa part, mais elle ne s'était pas acharnée. La chambre d'Asmodée était sobrement décoré, toute en nuance de gris, il n'y avait que ce qui était nécessaire. Il lui avait paru inapproprié d'envahir cet espace, c'était ce qu'elle se disait pour ne pas avouer à quel point cela l'intimidait. Et puis elle était réticente à afficher sa vie et ce qu'elle était profondément. Abandonnant l'idée de déballer sa valise, elle avait trouvé de quoi grignoter, avant de se diriger vers la bibliothèque où elle se terrait depuis qu'elle y avait mit les pieds. D'immenses toiles d'araignée peuplaient les recoins de ma salle, certains rayons couvert de poussière trahissait le peu d'attention qu'Asmodée avait accordé à cette pièce récemment. Elle s'était une petite place proche, sur un large rebord où elle avait installé des coussins. De l'autre côté de la vitre se trouvait le gouffre avec les pics rocheux où il l'avait envoyé lors de sa deuxième visite. Elle fit la moue à ce souvenir peu agréable, s'adossa confortablement et ouvrit le premier livre de sa pile. En français, il traitait de l'apparition des Voyageurs. Avant de s'attaquer à tous les livres théologiques qu'elle pourrait trouvé, elle s'était résolue à comprendre comment elle pouvait voyager sans bassine. Par chance, la plupart des livres étaient en anglais et en français, comme c'était des ouvrages modernes. Après elle était prête à mettre sa main à couper, que les trois quarts des ouvrages étaient rédigés en langues anciennes, notamment le grec et le latin. Il y avait aussi une section entière réservée aux rituels sataniques, en passant devant, Luce avait été à deux doigts de se signer. Puis en rationalisant, elle s'était dit qu'effectuer une Promesse avec un ange déchu était bien plus compromettant que de passer devant un tel rayon.

    La lumière s'amenuisa au fur et à mesure, mais cela ne perturba pas plus que cela la jeune femme qui était plongée dans ses recherches. Il était passionnant de lire les avancées scientifiques, les études et les statistiques établit au début du vingt-et-unième siècles. Il y avait eu tant de théories absurdes, tant d'hypothèses vraisemblable sans mener réellement à quelque chose.

« Luce ? l'interpella quelqu'un.

— Hum ? »

Elle sentit quelque chose chatouiller l'intérieur de son poignet gauche. Posant la main dessus, elle constata que son tatouage était chaud. Relevant la tête, elle vit Asmodée, appuyé à une bibliothèque dissimulant habilement le coin où elle lisait.

« Désolé pour la sensation, s'excusa-t-il en désignant son tatouage. Je n'arrivais pas à te mettre la main dessus, alors j'ai tiré sur notre lien.

— Est-ce que cela fonctionne même si je suis dans un Monde différent ? questionna-t-elle, curieuse.

— Probablement, les Promesse sont apparues en même temps que les Voyageurs. C'était sûrement dans le but de permettre aux humains de garder contact entre eux.

— Aucune étude n'a été menée à ce sujet ? Et alors, pourquoi cela fonctionnerait-il sur toi si c'est apparu pour les humains ? »

Il soupira et s'avança vers elle, lui tendant la main pour l'aider à descendre de son perchoir. La saisissant, elle la trouva plutôt chaude par rapport à d'habitude.

« Ne voudrais-tu pas manger un bout avant de m'assommer de questions ?

— Très bien. Mais t'es-tu réchauffé ? Ta peau est glaciale d'habitude. Ce qui était particulièrement désagréable hier. »

Il ne trahit rien de ce qu'il pensait de sa remarque, mais elle avait l'impression qu'il était un peu vexé. Son orgueil d'expert en relation charnelle avait été touché. Il l'entraîna vers la cuisine, tenant toujours sa main, et elle crut un instant qu'il ne lui répondrait pas.

« Si notre Promesse rallonge ton espérance de vie, sache que ce n'est pas son seul effet.

— Ah ? Donc à toi, elle te donne un minimum de chaleur corporel.

— Par exemple. »

Il la fit s'asseoir et une créature amena un petit repas. Se rendant compte à quel point son ventre était vide, elle dévora ce qu'elle avait devant elle, sans remarquer qu'Asmodée avait pris place face à elle, grignotant un biscuit. Et lorsqu'elle le vit, elle faillit s'étouffer avec sa bouchée.

« Est-ce si étrange de voir un suppôt du diable manger ?

— C'est plutôt le constat que même le Mal absolu peut avoir la dent sucré, qui est perturbant. »

Il grommela quelque chose d'incompréhensible. Et leur repas se finit en silence. Plus tard, quand elle y penserait, elle se souviendrait du calme et à quel point cela avait été ressourçant pour elle.

    Vint forcément le moment où elle dut se rendre au lit. Elle vit son regard sur elle, cela la fit à la fois frémir et frissonner. Elle n'avait pas envie de revivre quelque chose d'aussi désagréable, et en même temps cela libérait une certaine chaleur en elle. Elle était debout devant le lit, et le perçut nettement, présent dans son dos. Il se pencha et son souffle chatouilla son cou, lui donnant une chair de poule persistante.

« Je te promets que tu n'en souffriras pas autant qu'hier. »

Il ne pouvait pas trahir sa parole, n'est-ce pas ?

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