Jour 17

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    Luce se réveilla en sursaut au milieu de la nuit, l'angoisse l'étouffait, elle avait du mal à respirer. Asmodée n'était plus là, sa place froide depuis un moment. C'était la première fois qu'elle ne dormait pas une nuit complète. Un sentiment de détresse serré son coeur, sans qu'elle ne comprenne pourquoi, elle avait un mauvais pressentiment. Elle vérifia l'état de sa Promesse, perçut le lien, mais l'émotion étrange ne venait pas de là. Elle se leva, mit un châle et occulta de son esprit le ballonnement gênant qu'elle avait. Ses pieds nus glissaient sur le carrelage froid, produisant un doux bruit de frottement. Est-ce qu'Asmodée s'absentait souvent durant son sommeil ? Ce n'était pas impossible, elle se doutait qu'il lui dissimulait de nombreuses choses la concernant. Elle tourna au mauvais endroit, se trompant de chemin pour aller à la bibliothèque. Le couloir devant elle se perdait dans les ténèbres et malgré un frisson d’appréhension, elle s'avança, car une porte entrebâillée laissait passer un filet de lumière. Son cœur battait la chamade, et ses mains tremblaient, depuis qu'elle avait appris pour sa grossesse, elle faisait bien plus attention à tous les signes qu'elle n'avait pas vu auparavant. Comme les nausées et les vertiges, qu'elle pensait être simplement des séquelles de la graine d'Yggdrasil implanté dans sa poitrine. A ces premiers symptômes s'étaient ajoutés une sensibilité accrue, elle avait une mélancolie constante depuis une semaine sans raison particulière. Mais Asmodée ne voyait rien, et elle n'avait même pas besoin de le dissimuler. Il aurait fallu qu'il s'intéresse réellement à elle pour s'en rendre compte, et même à ce moment-là, il aurait éliminé cette hypothèse rapidement, car les êtres d'origine divine ne pouvaient se reproduire. Luce avait donc supposé qu'il était devenu fertile sans le savoir, une sorte de don d'elle-même par leur Promesse, puisqu'elle avait toujours désiré fonder une famille. Chassant ses réflexions, elle se concentra sur la porte, cédant à sa curiosité.

« Elle ne sait rien. »

Asmodée était adossé à un bureau, peut-être le sien, et parlait à une personne échappant à son regard. Parlait-il d'elle ? Ou d'une autre personne ?

« Tu ne peux pas simplement penser que la pilule passera comme ça ! s'exclama l'interlocuteur invisible.

— Hel a beau être caractériel, elle ne pourra rien faire. Si elle s'oppose à moi, elle risque de simplement disparaître, car elle ira à l'encontre de sa parole.

— Tu sais bien qu'il y a des moyens détournés... »

Un silence lourd pesa un instant entre eux, avant que l'un des deux soupir.

« Quelle idée aussi de faire d'elle ta reine. »

Son compagnon ne répondit rien, absolument pas prêt à se justifier.

« Et pourquoi ce revirement soudain d'ailleurs ?! s'exclama bruyamment l'inconnu, définitivement un homme. Tu refusais l'offre depuis si longtemps, et voilà que pour la protéger... Tu n'aurais même pas fait cela pour Esmée.

— Esmée avait beau être belle, ce n'était qu'une coquille vide, murmura As'.

— Et en quoi elle est différente ? Tu vas me faire croire qu'elle vaut mieux, qu'elle est plus qu'Esmée ?! »

Qui était cette Esmée ? Une ancienne amante ? Il lui semblait pourtant qu'il n'y avait pas eu d'attachement entre lui et ses conquêtes.

« Esmée était une erreur, une abomination. Tu le sais bien, jamais elle n'aurait dû voir le jour.

— Tu parles d'elle comme d'un déchet... »

La tristesse dans sa voix émue Luce, peut-être que cette Esmée était juste une amie ou l'amante du mystérieux interlocuteur ?

« Parce qu'elle l'était.

— Sidonay ! Tu ne peux pas parler ainsi de ta fille, de mon seul amour...

— Arrête tes bêtises, tu n'es pas capable d'aimer, grogna Asmodée, l'air passablement énervé.

— Remballe ton lot de sermons, nous avons beau être perverti et être tombé du Ciel, jamais Dieu ne nous a enlevé notre capacité à aimer. N'oublie pas que c'est nous qui l'avons trahit, non lui qui nous a abandonné. »

Sous le choc, le jeune femme n'arrivait pas encore à traiter toutes les informations qu'elle recevait. Paralysée, elle assimilait doucement le danger qu'elle courrait en étant enceinte.

« Tu n'oserais pas dire de telle chose si Lucifer était encore là, cracha Asmodée.

— Mais il n'est plus là et tu t'apprêtes à prendre sa place, pour détruire prétends-tu mais c'est par amour que tu le fais en réalité !  Et c'est ça qui réduira ce monde en cendre... »

Un bruit de combat fit regarder Luce par l'interstice, elle y vit son compagnon frapper violemment un démon aux cheveux d'un rouge intense. Ce dernier releva la tête et leurs regards se croisèrent. Une expression de joie intense se peignit sur son visage, une lueur sadique s'allumant dans ses yeux. Elle ne le vit pas venir, il esquiva si vivement Asmodée, l'assomma et Luce lâcha un petit cri de stupeur. Il s'avançait vers elle et sans qu'elle sache comment, elle réussit à se reprendre. Son protecteur et seul allié dans cet endroit était inconscient sur le sol, sa survie ne dépendait que d'elle-même. Il ne l'épargnerait pas si elle avait bien comprit la conversation précédente. Sa position devint défensive, les poings durement serrés, elle lança un regard froid à son adversaire qui ne sembla que plus amusé.

« Mais quelle petite fouine est venue mettre son nez dans les affaires des autres ? se moqua le démon. Ouh mais c'est qu'elle ferait presque peur avec son regard tueur. Que comptes-tu me faire petite ? »

Il ouvrit doucement la porte, et saisit sa main d'un geste souple. Luce resta imperturbable.

« Parce que tu ne me feras même pas une égratignure avec ça. »

Elle frémit à ses mots, offusquée. Mais une part d'elle savait pertinemment qu'il avait raison. Elle se libéra de sa poigne d'un mouvement sec et dans un même temps, une lame apparut au milieu du torse de son adversaire. Furieux, il se retourna et fit face Asmodée qui avait eu le temps de se relever.

« Bel, on t'a déjà dit que tu étais trop gourmand ?

— Tu es mal placé pour faire ce genre de commentaire, Sidonay... »

Il cracha du sang et la sensation angoissante qui avait réveillé Luce étreignit de nouveau cœur. Quelque chose allait se passer, et cela n'allait pas lui plaire. Elle avait envie de mettre sa main sur son ventre, cependant, ce geste la trahirait. Les deux démons continuaient à se taper dessus, elle pouvait s'éclipser et il le valait mieux pour elle. Ils étaient éternels, à contrario de sa personne, elle risquait gros à rester proche d'eux. Il fallait par ailleurs qu'elle voyage à Shishiyo, le temps de réfléchir à ce qu'elle avait entendu. Elle irait en parler avec As' après, mais elle ne voulait pas le faire maintenant et elle craignait pour la vie de l'embryon. Et puis certaines informations qu'elle avait entendu remettait en cause ce qu'elle avait trouvé dans les livres.

Il faisait attention à quelles informations lui parvenait, elle ne pouvait pas se fier uniquement à ce qu'elle trouverait ici.

Pourquoi avait-il besoin qu'elle ne tombe pas sur ces données ? L'air froid autour d'elle lui donna la chair de poule. Elle marcha plus vite, pressée de partir. Une fois dans la chambre, elle fourra dans son sac les affaires nécessaires à quelques jours de voyage. Elle positionna sa bassine, mit de l'eau, rangea la bouteille et alors qu'elle allait sauté, elle vit Asmodée entrer. La rage peinte sur son visage l'inquiéta pour sa survie.

« Je reviens dans quelques jours, murmura-t-elle, nous discuterons de cela plus tard. »

Elle sauta et la main de son compagnon se referma dans le vide. Elle n'était plus là pour voir l'éclat meurtrier dans ses iris.

    Shishiyo grouillait de vie même à cette heure de la nuit. De nombreux panneaux publicitaire éclairait son chemin, elle dissimula son visage sous la capuche de sa cape, tentant d'ignorer la brûlure vive à son poignet gauche. Les passants ne la remarquait pas, il était courant de voir des Voyageurs en ces lieux puisque c'était une des ville qu'on explorait lors de la formation. Luce marchait d'un pas vif tout en fouillant du regard les alentours. Elle repéra un coiffeur un peu plus loin, ouvert en horaire de nuit. Cette métropole avait la particularité d'avoir une vie diurne et nocturne, les commerces ouvrant par alternance selon leurs préférences. Elle entra dans le magasin et expliqua en quelques mots qu'il lui fallait devenir méconnaissable. Elle en ressortit contente, ses cheveux teint en brun étaient bien plus court que prévu, mais cela la changeait. Remettant ses mèches derrière ses oreilles, elle erra dans les rues jusqu'à trouver un repère visuel qui lui permit de se remettre en direction de l'hôpital vu lors de sa formation. Les lumières des néons s'adoucirent pour céder leur place à l'aube, et parmi les badauds présents pour ce spectacle, Luce traversa le pont séparent les deux falaises où se nichait la métropole. Les infrastructures installées par terrasse jouaient avec le vide, narguant la gravité. S'engageant dans une allée longeant le gouffre, elle profita de cette petite promenade à l'extérieur. Vivre chez Asmodée était confortable, mais souvent elle était nostalgique de la nature de son enfance. Elle finit par atteindre l'hôpital, elle inspira, expira et entra.

    Asmodée sortit de la chambre après l'avoir minutieusement saccagée. Elle ne fouillait jamais, ne posait aucune question indiscrète et sans raison apparante, elle s'était trouvée derrière cette porte. Il avait fallu que Belzébuth parle de cette foutue Esmée, évoque Hel et la place de reine la seule fois où elle le surprenait. Et elle avait fui, elle allait le regretter.

Elle lui cachait quelque chose.

Dans son regard, cette étincelle particulière qu'il avait vu, c'était de la peur. Pas une peur pour son âme comme il avait déjà entr'apperçu lorsqu'ils avaient été proches. Non, c'était une peur pour quelqu'un d'autre. Elle avait eu exactement la même expression à l'instant où ils avaient conclu leur accord pour se lier par la Promesse. Qui cachait-elle ? Lui qui avait accepté de se sacrifier cent ans, même si cela n'était rien sur l'espace de son existence, cela restait un effort. Elle avait osé le trahir, elle avait joué un double jeu tout ce temps... Il créa un passage à la limite de son domaine pour aller dans les Limbes. Il trouverait bien une femme, même une prostituée. Et elle souffrirait, elle dépérirait et regretterait son choix. Le fuir pour se rendre dans les bras de son amant serait sa dernière erreur. Il vit une jupe, sans même s'attarder sur le visage, il attira la personne à lui et se pencha. A un souffle de ses lèvres, il plongea ses yeux dans les pupilles de l'inconnue. Elles étaient trop claires, il n'y avait pas cette lueur farouche. Cette lumière qui habitait Luce, sa foi à laquelle elle se raccrochait coûte que coûte.

Elle n'aurait jamais pu le tromper ainsi, elle dissimulait autre chose.

Il s'éloigna à peine de l'inconnu, les iris rouge sang, la poigne ferme, il la garda près de lui.

« Qu'est-ce qu'une femme ne dirait pas à son compagnon qui le concernerait ? s'interrogea-t-il lui-même à voix haute.

— Une grossesse non désirée. »

Il jeta violemment son otage, le plus loin de lui pour écarter cette idée. Mais il était trop tard, elle avait fait son chemin.

Elle était enceinte.

Il se demanda comment il avait pu passer à côté de cela, depuis combien de temps... Puis il se rappela le jour de la visite de Mammon. Elle avait un drôle d'objet dans sa poche arrière, l'air désorienté et elle s'était mise à faire des recherches sur les progénitures démoniaques. Il avait écarté tous les livres donnant une réponse positive, en pensant qu'elle craignait juste de se compromettre à ce point. Il recula d'un pas hésitant et finit par rentrer. Il n'avait plus qu'à attendre et peut-être lui faudrait-il prier pour que l'histoire d'Esmée et de Viviane ne se reproduise pas.

Ce n'était pas de la colère, c'était de la peur qui lui retournait ainsi les entrailles.

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