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La faim tenaillait Gaëlla depuis un temps indéfini. Le sandwich englouti aux urgences, après sa fuite de la cabane de Romickéo, lui semblait remonter à des siècles.

Ses dernières larmes avaient tracé des sillons clairs sur ses joues noircies par la crasse. Sous son bandage, la douleur lui cisaillait le genou, mais cette souffrance lui était familière. Elle s’apparentait à celle de la blessure qu’elle avait subie au cours de l’attentat du Centre des Séances d’Approche.

En remontant la bobine de ses souvenirs de l’épisode, Gaëlla se revit arpenter les couloirs dévastés du bâtiment en compagnie de Hona, couverte de sang et de poussière. Si elle s’était contentée de l’aimer après l’événement, et qu’elle n’avait pas cherché à revoir Romickéo ni à soulever des questions qui la dépassaient suite à son traumatisme, elles couleraient peut-être des jours heureux ensemble à l’heure actuelle.

Une solitude intense et sans fond, aussi froide que son désespoir était cuisant, s’était engouffrée dans la brèche de son cœur à l’agonie. Gaëlla se demandait comment elle avait pu un jour sourire, rire aux éclats insouciamment, tant ces émotions heureuses lui paraissaient lointaines et étrangères.

Le bruit des bottes dans le couloir lui fit soudain dresser l’oreille. Elle se crispa lorsque le bruit d’une clé dans le verrou de sa porte retentit. Une lumière blafarde s’engouffra dans la petite pièce, et deux agents apparurent dans l’encadrement.

– Suivez-nous, vous allez être interrogée, annonça l’un d’eux.

La mort dans l’âme, la jeune fille n’eut d’autre choix que d’obéir.

Après l’avoir entrainée dans un dédale de couloirs identiques, ils la conduisirent dans une salle aux murs ternes. Un bureau en métal trônait au centre, accompagné de deux chaises face à face et scindé en son centre par une cloison transparente. Gaëlla fut invitée à prendre place par un grognement menaçant, et se retrouva en tête-à-tête avec un inspecteur aux pupilles reptiliennes.

L’infime espoir qui la poussait encore à se battre, tel un ultime instinct de survie, fut soufflé lorsqu’elle comprit que sa culpabilité n’était nullement remise en question. Tel qu’elle l’avait prédit, tenter de prouver son innocence dans les crimes qui lui étaient attribués, relevait de l’utopie. Elle était condamnée d’office, et chacune de ses protestations l’enfonçait davantage dans les rouages diaboliques d’un système implacable.

Les questions qu’on lui posa étaient toutes formulées de manière à la piéger, sans lui laisser la moindre chance de s’en sortir.

Alors qu’on la raccompagnait à sa cellule, après des heures éprouvantes d’interrogatoire biaisé, Gaëlla eut la force de demander aux agents qui l’escortaient :

– Que va-t-il m’arriver, maintenant ?

Les policiers ricanèrent.

– À ton avis ? Tu espérais remettre ton nez de grognasse dehors un jour ?

Parvenus devant sa geôle, ils la poussèrent sans ménagement dans le cachot humide, avant de la laisser seule avec son malheur.

Aucune larme n’accompagna Gaëlla cette nuit-là.


Le temps s’étirait, dépourvu de la moindre valeur pour Gaëlla. Seuls les repas frugaux qu’on lui apportait témoignaient de la notion de durée, du concept de temporalité. Chaque instant était une éternité. Plus rien n’existait, ne semblait avoir existé.

Il ne restait plus qu’une activité à la jeune femme : dériver dans les méandres de sa conscience, jusqu’à perdre le fil de toute rationalité. La résignation, l’abnégation, étaient ses seules options, mais affronter cette réalité lui était trop douloureux. C’était pourquoi elle laissait son esprit l’emporter loin, la libérant de sa condition l’espace d’un instant de sursis.

Lorsqu’on la ramena dans la salle d’interrogatoire, elle se prépara à nier une fois de plus les charges qui pesaient sur elle, mais on la laissa seule de longues minutes, sans explication.

Une silhouette émergea alors d’une porte au fond de la pièce, de l’autre côté de la cloison transparente qui coupait le bureau en deux.

Le cœur de la jeune fille manqua un battement en reconnaissant l'apparition. Puis, presque aussitôt, les larmes affluèrent, emportant toute l’émotion qu’elle retenait encore.

– Hona, balbutia-t-elle entre deux sanglots.

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