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Éberluée, elle dût attendre que Hona s’installe en face d’elle pour admettre que c’était bien elle, qu’elle était bien là. Devant les traits fins, le regard intense de son amie, Gaëlla sentit un sentiment indescriptible inonder son cœur en lambeaux.
Une pensée traversa son esprit : Hona avait témoigné en sa faveur, elle allait peut-être être libérée d'un instant à l'autre...
– Tu… tu es là… Que fais-tu ici ?
Le silence lui répondit. Craignant que la jeune fille ne l’ait pas entendue pas à cause de la plaque qui les séparait, elle poursuivit :
– Tu ne sais pas à quel point je suis heureuse de te voir… Comment… ? Est-ce que tout va bien pour toi ?
Essuyant ses yeux rougis, elle attendit une réaction de la part de son amie. Hona la fixait sans répondre, et Gaëlla était cette fois certaine qu’elle avait saisi ses mots, alors pourquoi restait-elle de marbre ? Le doute la saisit, et un frisson courut le long de son dos.
– Hona ?... Tu ne crois pas ce qu’ils t’ont dit sur moi, n’est-ce pas ? Rassure-moi, tu sais que je suis innocente ?
Le regard de Hona se durcit tout à coup, et ses lèvres fines se tordirent en une expression de dégoût. Gaëlla se sentit giflée lorsqu’elle lâcha finalement :
– Comment j’ai pu être aussi naïve ? Comment j’ai pu me confier à toi, alors que tu étais derrière tout ça ?
Gaëlla encaissa le coup. Non… Pas elle…
– Si j’avais su qui tu étais, reprit la jeune fille, je t’aurais tuée sans hésitation, je te le jure…
Désormais, une lueur de haine mêlée de douleur brillait dans ses prunelles claires. Gaëlla tenta de répliquer, mais l’air lui manquait et sa voix resta coincée dans sa gorge. Un poids immense s’était abattu sur ses épaules et au creux de son estomac. La tête lui tournait, des fourmis engourdissaient ses mains.
– Ils m’ont posé un tas de questions à ton sujet, continua Hona, d’un ton d’où perçait le mépris le plus profond, et j’ai été placée comme suspecte, aussi. Ils me croyaient complice, bien sûr, étant ta seule amie.
– Hona, parvint enfin à articuler Gaëlla, je t’en prie, regarde-moi, écoute-moi… Jamais… Jamais de la vie je n’aurais pu…
– Ce n’est pas moi qui ai voulu te voir, tu sais. C’est eux qui tenaient à nous confronter. Mais je n’ai rien à te dire. À part que tu mérites ton sort.
– Je n’ai rien fait, Hona. Tu les crois mais tu ne connais pas le contexte…
– Quel contexte ? rétorqua sèchement la jeune fille. Il n’y a que les preuves qui comptent, et je ne vois pas pourquoi ils chercheraient à t’accuser si tu étais innocente.
– Mais enfin, tu te rends quand même compte qu’ils feraient tout pour annoncer publiquement qu’ils ont coincé les coupables des attentats ! se défendit Gaëlla, atterrée. Ces documents sur mon compte, ça ne fait pas de moi une terroriste ! Ils ont fait le lien seulement à cause de mon témoignage suite à mon enlèvement par l’un des vrais membres des Ediles de l’Ombre. La caméra du Bitonio le prouve, il s’agit d’un…
– Tu penses vraiment que je vais t’écouter ? Comment en es-tu arrivée à te faire kidnapper par ce type, en premier lieu ? C’est bien que tu étais impliquée dans l’organisation, ou que tu étais mêlée aux réseaux complotistes d’une façon ou d’une autre. Et pour je ne sais quelle raison, ils ont voulu t’empêcher de parler et t’ont écartée, c’est tout…
– Hona ! s’écria Gaëlla, exaspérée. Pourquoi aurais-je déclenché la bombe de l’attentat alors que j’étais dans l’immeuble ? Réfléchis par toi-même, bon sang ! Ça n’a aucun sens, tu étais avec moi, tu as vu ma peur, ma détresse !
Elle crut avoir gagné la partie, jusqu’à ce que son amie réponde, le regard toujours aussi froid :
– J’ignore pourquoi tes camarades t’ont abandonnée à ton sort là-bas, mais c’est sûrement parce que tu as survécu qu’ils ont tenté de t’éliminer en te kidnappant plus tard.
À ces mots, Gaëlla resta muette de stupéfaction plusieurs instants, puis poussa une exclamation frustrée, et se prit la tête dans les mains, au comble de l’accablement. Elle comprit qu’il n’y avait rien à tirer de son amie. La trahison que Hona pensait avoir subie, et tout ce qu’on avait dit sur son compte pour l’appuyer, l’avait irrémédiablement convaincue de sa culpabilité.
Ce n’est pas possible… Elle ne peut pas me laisser tomber… Je ne peux pas l’avoir perdue, pensa Gaëlla, sonnée.
Un mouvement face à elle attira son regard. Hona s’était levée de sa chaise, et la considérait avec plus de répulsion que jamais.
– Croupis bien en enfer à jamais, dit-elle.
Et elle fit volte-face, laissant Gaëlla seule dans la salle.
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