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Le choc de l'annonce passé, Gaëlla insulta abondamment le groupe terroriste, puis se calma pour réfléchir.
- On doit absolument agir, dit-elle, le souffle court. Qu'est-ce qu'on peut faire pour empêcher cette atrocité ?
Romikéo la regarda un instant, puis répondit :
- Pas le choix, il faut les convaincre d'oublier leur idée.
La jeune fille, abasourdie, eut un rire sans joie.
- Tu rigoles ? Comment veux-tu faire ça ? Tu as regagné leur confiance en quelques jours, c'est déjà énorme, mais ils ne t'écouteront jamais si c'est pour les dissuader de mettre leur plan à éxecution. C'est surtout le meilleur moyen de te faire griller !
- Je n'ai pas réintégré le groupe par plaisir, figure-toi ! Le but était justement de les influencer depuis l'intérieur, et si on n'agit pas maintenant il sera trop tard !
Gaëlla soupira. Le délire utopiste de son compagnon se heurtait finalement au mur de la réalité.
- Bien évidemment, qu'il faut agir, rétorqua-t-elle, mais je n'imagine pas une seconde que tu puisses les dissuader d'agir sans éveiller leurs soupçons !
Romikéo balança la tête de gauche à droite, agacé.
- Il faut réfléchir à l'approche la plus douce, persista-t-il, de façon détournée. L'idéal serait de parvenir à les convaincre que pour renverser le pouvoir, comme ils en rêvent, ils auront besoin de l'aide du peuple. Et que se le mettre à dos en le décimant n'aboutira à rien de plus qu'au chaos complet. Tant qu'à faire, ils préfèreront une communauté rassemblée contre un ennemi commun : l'Etat, à l'anarchie totale, plus difficile à maitriser.
Gaëlla soupesa ses paroles, tout à coup moins dubitative. Ils échangèrent un long moment sur la manière de s'y prendre, puis conclurent qu'ils n'avaient pas de meilleure alternative, et que chaque seconde comptait. Alors Romikéo s'immisça dans la conversation des Ediles, feignit l'enthousiasme face à l'engouement général en écrivant qu'il était prêt à aider de n'importe quelle façon, puis attendit le moment propice pour plaçer son idée. Il relut à voix haute le message qu'il s'apprêtait à envoyer sur le groupe :
- "J'ai hâte que le projet se concrétise, et que ceux qui nous ont exclu du système payent. Pour marquer encore plus les esprits, je trouve que frapper le gouvernement directement enverrait un message puissant. Ce n'est que mon avis, mais peut-être que gagner la sympathie du peuple pourrait nous servir dans notre lutte. Avec la pagaille que la fuite des documents secrets cause en ce moment, on pourrait faire d'une pierre deux coups et ramener l'opinion générale dans notre camp. Des tas de gens commencent à réaliser que l'Etat est contre eux, et voient enfin son vrai visage. Autant se servir d'eux comme des pions, et tenter une action pour atteindre les dirigeants eux-mêmes afin de mieux contrôler les citoyens plus tard, qu'en pensez-vous ?"
Gaëlla acquiesça, pas tout à fait convaincue que leur tactique soit judicieuse, mais résignée. Ils n'avaient pas d'autre choix : ils ne pouvaient pas se permettre de prendre le risque de faire capoter le plan de l'organisation au dernier moment, comme l'avait tenté Romikéo pour l'attentat du Centre des Séances d'Approche ; ils savaient qu'ils ne devaient pas se rater.
Une fois le message envoyé, ils attendirent les réactions des terroristes en croisant les doigts, les mâchoires serrées. Ce n'était pas dramatique si Romikéo venait à se faire repérer, mais cela les empêcherait d'agir pour déjouer les plans futurs des Ediles, et ils n'auraient pas de nouvelle chance.
Les premières réponses commencèrent à affluer, et à leur grande surprise, le débat était mitigé. Certains considéraient l'idée comme un bon moyen de parvenir à leurs fins tout en se mettant une partie de la population - les nouveaux opposants au système -, dans la poche.
D'autres maintenaient qu'ils n'avaient pas besoin d'arrivistes qui avaient toujours vécu dans le confort pour les aider à finir ce qu'ils avaient commencé. À leurs yeux, le peuple était complice et méritait de payer, d'autant que viser le réel berceau de leur société, le point de départ de tout, l'endroit exact où eux-mêmes avaient été exclus, était aussi un symbole fort. Réduire en cendre le Quartier des Pouponnières, avec tous les nourrissons à l'intérieur, représentait une vengeance jouissive que nulle autre action ne pouvait égaler.
- Des malades, commenta Gaëlla devant le flux de messages, écœurée. De vrais timbrés...
- Tu crois qu'on devrait renvoyer un message pour appuyer nos arguments et faire pencher la balance ?
- Non, c'est déjà un miracle qu'aucun de ces illuminés n'ait relevé le fait que tu proposes cette option, ils sont trop occupés à s'embrouiller entre eux. N'allons pas tenter le diable et laissons la sauce prendre toute seule...
Romikéo approuva en silence, aussi tendu que la jeune fille. Ils échangèrent un regard lourd de sens, conscients de ce qui se jouait. Si les avis ne baculaient pas de leur côté, leur unique cartouche était grillée...
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