vie de famille

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Michel intégra assez rapidement sa nouvelle "patrie", et du coup sa belle-famille. Il profita de formations en "culture corse" proposées par l’ONF à la fac de Corte : plusieurs semaines d’immersion en toponymie, orographie, préhistoire et langue locale. Nous étions en 1985, la fac de Corte venait d’ouvrir, l’Établissement jouait le jeu vis-à-vis du département en fournissant une multitude d’élèves à "former" aux subtilités insulaires. Déjà douze ans qu’il œuvrait sur le massif de Zonza, renouvelant l’aménagement de la forêt domaniale de l’Ospédale, ayant entrepris de gros travaux de Défense des Forêts Contre l’Incendie, avec des reboisement éparses de pins maritimes au sein de la forêt communale. Deux jumelles vinrent agrandir la famille deux ans auparavant, Anne-Sophie et Marie-Laetitia, à la grande joie de Paul et Anne-Marie Maestracci. Il est vrai que Paul, médecin émérite, reconnu et considéré par ses pairs, avait jeté tout son dévolu sur sa fille Marie-Napoléone, son soutien, son espoir, devant leur fils aîné, Don-Paul, qui s’était tourné vers des bandes "mafieuses" indépendantistes, qui sous une bannière « A droga fora ! » (la drogue dehors!) étaient plus receleurs et trafiquants en tous genres. Paul, un monsieur affable toujours en costume croisé et cravate à pois, était de son siècle, c'est-à-dire du XIX°siècle ! Il racontait sa jeunesse à Michel, la faculté de médecine de Marseille, le vapeur qui traversait la Méditerranée l’été pour la Corse, l’autocar d’Ajaccio à Sartène et son père qui l’attendait avec la charrette et l’âne pour rentrer à la ferme du Rizzanese. Il lui racontait avec tendresse son amour pour Anne-Marie rencontrée lors d’une visite à Cucuruzzu, le site mégalithique de l’Alta Rocca ; le père d’Anne-Marie, un peu vieux jeux, était fonctionnaire d’État : conservateur des Œuvres Archéologiques de Corse, tout un programme ! Alors, se marier avec un Maestracci, fils de paysan ? Heureusement qu’il était médecin… En écho, Marie-Napoléone racontait Science-Po à Paris au début des années soixante, avec la Caravelle qui la ramenait à Ajaccio chaque vacances, et enfin son père qui l’attendait à l’autobus de Sartène, avec la Renault Juvaquatre … Et aujourd’hui ? pourquoi pas son mariage avec un fonctionnaire d’État, garde forestier de surcroît, c’était merveilleux ! Anne-Marie était une femme discrète, fine et délicieuse, avec au coin du regard, une légère appréhension, voire une affliction, sans doute les déboires puis le fiasco de leur fils. De Don-Paul, elle préférait ne pas parler, une trop grande douleur pour cet aîné qui aurait dû transmettre le nom.

Les enfants Bouillane grandissaient. Marc-Antoine devenait un grand garçon, un peu ombrageux parce que trop souvent sollicité par sa mère ou sa grand-mère pour garder les jumelles, l'aîné se devait d’être irréprochable et montrer l’exemple ! Souvent il prétextait des devoirs à faire avec ses copains et s’enfuyait du foyer familial. Il avait un “cousin” corse qui avait partagé l’école primaire de Zonza avec lui. Il s'appelait Ange-Marie Leccia, natif de Bavella, le hameau montagnard du piève de Conca. Il était né parmi les chèvres qui s’égayaient autour du Tafonu di u Cumpuleddu ou « Trou de la bombe », non loin de la bergerie de Palieri. Il était né pour être pastre, chasseur et braconnier à l’occasion, pour savoir manier l’escopette et assumer la vendetta exigée des femmes. Un mâle corse ! Pourtant, il était rêveur, timide et réservé. Son père l'enjoignait à servir le cochon, à l’épieu et à la masse. Saigner au coutelas et tailler le lard. Le sang chaud et poisseux devait être un baptême de virilité et promesse de figatellu, coppa, lonzu, panzetta et autres saucissons. Pour Ange-Marie, la vie s’enfuyait par cette plaie, se noyait dans la terre de la porcherie. Il ne comprenait pas pourquoi célébrer la mort alors qu’il ne souhaitait que honorer la vie. Il sentait ses tripes se retourner. Pourtant, il lui fallait tenir son rang et de fait, se voyait adouber par le chef du clan. Souvent le soir, il pleurait en silence.

Sa mère lui apprenait à nourrir les chevrettes dont la femelle dédaigneuse n’allaitait que le chevreau, futur bouc du troupeau. La tiédeur du cœur palpitant sous laine soyeuse le bouleversait lorsque, assis en tailleur, il donnait le biberon aux puînées. Prendre soin était son antienne. Il était rayonnant devant la beauté quelque peu biblique du troupeau échevelé, de la montagne stridulante et de la mer en contrepoint. Marc-Antoine partageait avec cœur cette vie sauvage et naturelle. Ils étaient, avec Ange-Marie, comme les deux doigts d’une même main.

Quant aux jumelles, elles étaient assez espiègles et jouaient en permanence comme deux furets, courant, rigolant, chahutant sans cesse. Un rien les amusait, une chanson de Joe Dassin ou un chant de berger a cappella, les lectures du Club des Cinq, Fantômette ou Croc Blanc, qui forgeaient leurs envies d’excursions lointaines, tout était matière à imaginer une vie pleine et joyeuse.

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