Marie-Napoléone, pendant toutes ces années en Alta Rocca, fut témoin de tout ce que Michel avait enduré. Elle le voyait fatigué, épuisé, possédé d’un besoin de libération et d’évasion. Au lieu de le couver jalousement, elle organisa, non sans quelque mise en scène, avec sa superbe intelligence du cœur - « U mo core, enivre ton âme épuisée dans la jouissance. Tu as fait sauter tes chaînes de galérien en rendant les armes. Ne soit pas amer, ne devient pas vieux avant l'âge ; ne t’impose pas sans cesse des tourments et des ennuis. Évade-toi, évade-toi… avec moi, s’il te plaît » - la seule chose qui puisse lui rendre sa fraîcheur et son honneur : une retraite bien méritée, au confins des gorges du Tavignano, dans un cadre magnifique au-dessus de Corte, sous les pozzines du lac de Nino en forêt de Restonica, dans la grande maison de Séga, cette maison qu’elle possédait dans la succession de sa mère :

« Elle t'a attaché à une chaise de cuisine

Elle a brisé ton trône, et t'a coupé les cheveux

Et de tes lèvres elle a dessiné l’Alléluia » - Léonard Cohen.

« Yé dolce mia, j’y finirai mes jours en paix, donnant, sans tambour ni trompette, démission de mes espérances, de mes ambitions, de tout ». La famille y prit ses quartiers, l'île était apaisée… Anne-Sophie en classe préparatoire artistique et Marie-Laetitia en génie écologique, trouvèrent naturellement leur place à la fac de Corte.

Heureusement, grâce au dynamisme et à la foi de Marie-Napoléone, dans ce havre sauvage de Séga, Michel reprit ses activités naturalistes, travaillant avec Jacques Gamisans à l’inventaire de la flore endémique corse (Jacques Gamisans était un éminent botaniste, président du Comité scientifique « Flore corse » (Conservatoire botanique de Genève). Il fut professeur de biologie végétale à l'Université de Marseille et Toulouse. Il publia, de 1970 à 1985, dix contributions à l’étude de la flore corse où furent décrites des espèces nouvelles pour la science (Trisetum conradiae, Seseli djianeae, Adenostyles briquetii, Erigeron paolii...) et citées de nombreuses espèces nouvelles pour l’île. Un ouvrage assez complet intitulé La végétation de la Corse vit le jour en 1991, auquel participa Michel, tandis qu’en 1996 parut La flore endémique de la Corse, avec de belles photos de Jean-François Marzocchi. À partir de 1986, ses travaux s’entrelacent avec ceux du Comité flore corse), renouant avec le programme européen CypMed (Cyprès en Méditerranée) pour des comptages de batraciens (grenouille discoglosse sarde ou corse, euprocte montana et autres salamandres), retrouvant ses camarades de la cellule naturaliste de Corte, partageant avec sa douce Marie-Napoléone l’observation des rapaces pour la LPO en Balagne (bondrée apivore, autour des palombes, milans...), du côté de Belgodère… La grande différence c’est qu’il était bénévole, sans aucune responsabilité, juste un veilleur de l’espace naturel. En 2005, il eut la surprise d’être invité pour les vingt ans de l’Université de Corse Pasquale Paoli de Corte, en tant que Naturaliste Distingué. Il fut étonné d’y retrouver d’anciens élèves devenus professeurs. Comme il était dit dans le discours du doyen de l’Université « En 1985, à l’ouverture de la Faculté des Sciences sociales et techniques de Corte, il y eut deux mille élèves. Aujourd’hui, vingt ans après, deux milles personnes sont sur le campus : les mêmes ! ». Cela méritait bien un vin d’honneur ! Pour célébrer l'événement, Marc-Antoine, berger en Lozère, vient passer quelques vacances en Corse, présenter sa compagne, Cécile, et leur fille de cinq ans, Manon, à la grande joie des grands-parents. La famille se reformerait-elle, autour de la nona, Marie-Napoléone ? Comme tous bons retraités, ils eurent un agenda chargé !

Incipit vita nuaova, voici que s’ouvre la vie nouvelle, heureuse, paisible, insouciante, la dernière pour laquelle il veut vivre et dans laquelle il veut mourir.