Chapitre 1/2

6 minutes de lecture

Et voilà, encore un énième reportage sans âme et sans fond. Un sujet banal et pourtant récurant à la télévision comme dans les journaux papiers ou numériques. Bien sûr, il faut les aider, bien sûr que c’est triste de les voir là, assis sur les trottoirs de la ville. Pas un regard pour eux, même pas un léger sourire, histoire de leur réchauffer un peu le cœur.

Dans son divan, Élie passait de chaînes en chaîne, à la recherche d’un sujet passionnant, innovant ou juste divertissant. Rien, juste les mêmes reportages réchauffés de l’année passée, eux-mêmes repris de l’année d’avant. L’hiver avait regagné quelque peu ses droits depuis une petite semaine, une aubaine pour les journalistes en manque de conflit ou d’attentats pour alimenter leur moment de gloire.

À vingt-huit ans, elle avait déjà presque perdu tous les espoirs que lui avait conférés son diplôme en journalisme. Évidemment, elle avait déjà réalisé plusieurs stages dans des rédactions où elle avait été chargée de tâches plus ou moins ingrates, elle n’avait d’ailleurs, à son grand regret, pas contribué une seule fois à un quelconque reportage. Ça ne l’avait pas plus gêné que ça à l’époque, elle se disait simplement que ce serait différent lorsqu’elle travaillera réellement. En effet, ce fut différent, mais pas comme elle l’avait imaginé. Après son diplôme, elle trouva rapidement du travail à « Le Parisien ». Une chance en soi, on lui avait confié la rubrique des faits divers, rien de plus normal pour une jeune journaliste. Seulement, ça faisait maintenant trois ans qu’elle se coltinait cette rubrique, et elle s’était vite redue compte qu’en plus d’écrire du vent, comme elle le disait, il y avait une forme de cycle, une redondance saisonnière : l’été, il fait chaud, l’hiver il neige... Chaque saison avait son article phare. À chaque fois elle essayé d’écrire un article un peu différent, mais dès qu’elle sortait un peu de la « norme raisonnable » comme s’amusait à le lui répéter Charles Demarais, autoproclamé « le maître du divers » et son premier supérieur hiérarchique, elle se retrouvait contrainte à réécrire un article plus conforme.

Du coup, histoire de se rassurer un peu, elle avait pris l’habitude de regarder les informations du monde, sur sa télé ou par internet, dans l’espoir de tomber sur un reportage ou un article de vrai journalisme, avec de la recherche, qui fait réfléchir et donne envie de savoir plus. Pour elle c’était ça le métier de journaliste. À son grand regret, ce n’est visiblement pas le genre d’article le plus répandu en ce moment.

Alors que d’habitude, elle prenait la peine de chercher pendant environ une heure, aujourd’hui, après une petite quinzaine de minutes, elle éteignit sa télé et ferma son ordinateur portable. Elle prit sa veste, son Moleskine et un stylo, l’instant suivant, elle était assise sur un des bancs du quai de métro en face de son appartement. Elle n’avait jamais vraiment réussi à l’expliquer à son entourage, mais elle aimait le métro. Elle y rencontrait toutes sortes de personnes, même si elle ne leur parlait pas forcement. Souvent, elle se contentait d’observer et de noter dans son carnet quelques lignes. Elle n’était encore jamais allée jusqu’au bout de la démarche de publier un de ses articles, mais elle y songeait de plus en plus, une sorte de blog journalistique.

Elle ne savait même pas où elle allait et s’en fichait bien de toute façon, ce qui lui importait c’était le voyage plus que la destination, puisqu’au final, elle reviendrait chez elle. Elle attendait simplement le prochain métro. Le panneau en affichait deux qui devait arriver en presque en même temps, elle ferait son choix au hasard, ce sera sa petite vengeance sur ce monde beaucoup trop formaté à son goût. En attendant elle avait déjà commencé à observer les gens autour d’elle : un vieux, un bouquet de fleurs dans les mains, un air plutôt triste, une jeune femme, environ la trentaine tirée à quatre épingles, s’aspergeant de parfum toutes les quinze secondes, un adolescent, écoutant de la musique sur son téléphone, ayant la décence de faire partager ses goûts musicaux avec l’ensemble du quai, et sans doute le quai d’en face aussi. Pour chacune de ces personnes, Élie notait une petite histoire qu’elle leur inventait. Le vieil homme devait se rendre au cimetière poser quelques fleurs sur la tombe de sa défunte épouse. La jeune femme prenait visiblement le métro pour la première fois, son désir de discrétion venant du fait qu’elle rendait visite à un amant. L’ado revenait de l’école et allait rejoindre sa bande d’amis pour refaire le monde en fumant cigarettes ou joints et buvant des bières, voire quelque chose d’un peu plus fort.

Le bruit du métro commençait à se faire entendre et à couvrir la musique du jeune, au grand plaisir d’Élie, qui ne supportait plus cette « mélodie » répétitive. Elle se leva pour s’éloigner un peu de lui, et ne pas risquer de l’avoir dans le même compartiment. Le temps de jeter un regard en arrière à l’ado, elle heurta quelqu’un et senti quelque chose de chaud se répandre sur sa poitrine d’abord, puis sur son ventre. L’odeur ne laissait aucun doute, du café, ce qui pouvait lui arriver de pire, un chocolat chaud, elle aurait pu faire avec, mais du café ça c’était ce qu’il pouvait lui arriver de pire. Elle s’apprêtait déjà à s’énerver sur la personne, mais dès qu’elle leva la tête, elle le reconnut, Jim ! Tous deux sortaient de la même promotion, ils avaient été très proches pendant leurs études, mais s’était perdus de vue une fois diplômés. À la fois confus et content, il se mit à bafouiller pour s’excuser et finit par l’inviter à aller boire un café. Elle lui répondit que c’était déjà plus ou moins fait et se mirent à rire comme s’ils s’étaient quittés la veille au soir.

Ils se retrouvèrent le soir même autour d’une bière dans un des bars où ils avaient leurs habitudes d’étudiants. Un seul sujet revenait régulièrement dans leur conversation : le travail. Elle lui expliqua, dans les moindres détails, comme se passait une journée type dans la rédaction du parisien et son envie d’écrire de « vrais » articles. Lui, au contraire d’Élie, avait décidé de créer son propre journal, mensuel à la fois sérieux et satyrique qu’il avait baptisé « Paradoxe » et dont la devise était : « Que la nuit rende au jour ce qui lui appartient. » L’idée lui était venue à la suite de toutes les affaires politico-financières plus ou moins éthiques qui sont sorties ces dernières années. Des affaires sombres qu’il souhaitait mettre à la lumière du jour. Alors qu’il lui expliquait comment il avait réussi, avec son équipe de deux journalistes issus de la promotion qui avait suivi la leur, à démanteler un réseau de prostitution protégé par un élu local véreux, elle avait les yeux qui brillaient. Elle qui cherchait encore il y a quelques heures des articles journalistiquement intéressants, elle était quasiment en train de vivre l’histoire qu’il lui expliquait, comme un reportage télévisé captivant dont il aurait été la voix off. Ils discutèrent ainsi pendant plusieurs heures, les bières aidant, Élie était de plus en plus séduite, non seulement par l’homme, mais aussi par son projet. Elle avait l’impression qu’il avait créé le journal parfait. De l’investigation, de vrais sujets et surtout une vraie conséquence lorsqu’un article paraissait. L’espoir d’enfin pouvoir faire ce qu’elle aimait commençait à grandir de nouveau. Ce soir-là ils rentrèrent, tard, chacun de leur côté, un peu éméchés, mais heureux.

Le lendemain matin, malgré un mal de crâne épouvantable accentué par une journée lumineuse qui lui frappait le visage au travers de la fenêtre, Élie se sentait bien. Elle ne cessait de penser à Jim et son journal et les opportunités que tout cela impliquait.

Il était à peine 9 heures du matin, un dimanche, mais elle savait qu’il ne dormait ce certainement pas, un bosseur comme lui travaillait sûrement déjà sur une affaire en court, « pas de répit, pour les vrais journalistes », il le lui avait suffisamment répété hier, une sorte de mantra. Elle fouilla dans son sac quelques secondes et finit par retrouver sa carte de visite, mit en route sa bouilloire pour son thé matinal et l’appela, bien décidée à se lancer dans une véritable carrière de journaliste d’investigation.

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