CHAPITRE 13 - Retour au musée d'Orsay

14 minutes de lecture

Dimanche 14 juillet 2013
8 h 20, rue Murillo, Paris 8e arrondissement


Dans l’attente d’une commande en rupture de stock, Isabelle, qui devrait être déjà en Normandie pour une quinzaine de jours, en compagnie de Claire, avait décidé de rester à Paris.

Dès son réveil, elle a émis une furieuse envie, celle de retourner au musée d’Orsay afin de redécouvrir l’exposition que nous avions abandonnée à cause de Robert, ce crétin de Robert qui avait servi d’alibi à mon adoratrice, et que je devrais désormais remercier pour la contribution exceptionnelle à laquelle il avait participé à son corps défendant.

Alors que nous nous douchions ensemble, Isabelle s’est laissée aller à quelques confidences, m’avouant que c’est elle a pris l’initiative de me tendre sa bouche devant le tableau La chasse sauvage d’Odin, pour vérifier ma réceptivité au chant des sirènes.

Tout en s’essuyant, ma petite menteuse, qui a fini par me dévoiler ce qu’elle me dissimule depuis près de trois semaines, continue son numéro, s’escrimant à me faire comprendre que l’intermède amoureux qui s’était ensuivi le lendemain chez elle avait dérapé. Consterné par son propos, je ne perçois pas où elle veut en venir, mais je la sens soucieuse, voire assez en colère.

Je la scrute en coin.

Sur sa lancée, elle poursuit sa diatribe contre moi, cherchant à me culpabiliser pour une raison qui m’oblige à m’interroger sur la nature même de sa logique : je l’aurais compromise en la fourrant dans de sales draps, affirme-t-elle.

Suis-je bien réveillé ? Je la prie d’éclairer ma lanterne, ce qu’elle refuse, quittant la salle de bains pour aller se préparer dans ma chambre. J’essaie d’en découvrir davantage en la pistant jusqu’à l’embrasure de la porte. Je l’observe et constate que ma douce colombe n’est pas dans son assiette et que ses lèvres expriment une réelle fermeté.

Néanmoins, elle s’efforce de faire bonne figure, fouillant dans sa valise pour récupérer les vêtements avec lesquels elle compte s’habiller pour visiter l’exposition. Elle revient vers moi, fixe ses prunelles dans les miennes, puis enchaîne quelques pas pour se réfugier tout contre moi. Là, semblant s’échapper de sa coquille, elle tente de me signifier que son moral est au plus bas depuis trois jours en raison d’un souci imprévu dont elle ne veut pas me révéler la teneur. Je me sens évidemment coupable, n’ayant rien remarqué, d’autant que c’est moi qui l’aurais placée dans une position délicate. Interrogatif, je retourne dans la salle de bains.

Mais de quoi me parle-t-elle ? Je ne comprends rien ! Mais que lui arrive-t-il donc ?

Sur ces entrefaites, mademoiselle sort de ma chambre pour m’attendre dans le corridor dans l’intention de m’apporter des précisions.

— Bien ! Je vais t’expliquer de quelle manière tu m’as mise dans une situation difficile. Tout d’abord, notre troisième rencard, fût-ce dans les arènes de Lutèce, avait pour but de nous retrouver afin de mieux nous connaître… Et d’un ! Cela dans un esprit de courtoisie, de convivialité et de respect mutuel. Et quand bien même, j’avais employé l’expression se mesurer dans un corps à corps, ce n’était qu’une image, cher monsieur, une simple idée qui se rapportait au lieu de notre rendez-vous. Et par conséquent, monsieur Olivier, je n’imaginais pas une seconde que vous auriez pu prendre à la lettre tout ce que je vous avais suggéré… Tu es un naïf, Olivier, un véritable niais ! Pardonne-moi si cela te vexe ! Deuxièmement, je consens que cette expression fût une formule malheureuse. Je l’avais utilisée pour t’émoustiller dans l’ascenseur. Te voir baver derrière moi m’amusait. On aurait dit le loup de Tex Avery. C’est de ma faute, car j’aurais dû t’expliquer avant que l’on franchisse la porte de mon septième ciel qu’un corps à corps ne signifiait pas, dans mon esprit, une relation charnelle comme tu continues désespérément de le croire. Troisièmement, l’homme galant que tu es censé représenter n’aurait jamais dû se comporter ainsi. 

Voilà que je me fais vertement remonter les bretelles. Tandis que je gonfle les joues pour mieux souffler, tandis que je prends sur moi pour davantage accuser les coups, tandis que je m’habille en toute tranquillité, je la laisse déblatérer tout le poids qu’elle a sur le cœur, ce qui aura au moins le mérite de la rendre zen d’ici quelques instants.

— Mais Olivier, cesse de faire tes yeux de merlan frit ! La veille, j’admets que je suis allée trop loin en te culbutant sur le bureau de ta mère, puis en t’ayant soumis une proposition malhonnête sur le canapé.

J’en reste bouche bée.

Continue, princesse, détends-toi… je t’écoute…

Bien évidemment, j’ai tout de suite regretté mon audace… Avant de partir de chez toi, j’ai fait amende honorable en te confessant que, depuis trois semaines, tu me trottais dans la tête. Malgré cela, tu as gardé cet air de chien battu, car tu n’avais pas pu obtenir les faveurs d’une dame. Bref, une fois de plus, je m’étais empêtrée dans un méli-mélo que, seul, Pierre Bellemare aurait pu raconter brillamment dans l’une de ses chroniques, sur fond d’horloge qui a tout déclenché…

— C’est du n’importe quoi, Isabelle ! Tu sais parfaitement que cela ne s’est pas passé comme ça… Tu m’as demandé si j’avais des préservatifs…

— Mais oui, Olivier, si nous en étions arrivés là, c’est à cause de ta pudeur excessive. Bellemare confirmera. Avoue qu’un être considéré comme normal ne se rend pas malade parce que la demoiselle, que je suis, découvre par accident l’anatomie du monsieur ou vice-versa. Un être ordinaire s’en amuse et c’est fini, on oublie… J’étais profondément désespérée de t’apercevoir ainsi, au même degré qu’une âme en peine… Et après j’ai chaviré, ayant l’impression que la situation m’échappait… Comment me rattraper sur ce coup-là ? Voilà pourquoi je t’ai convié à partager un gâteau d’anniversaire chez moi, pour le lendemain. Ce qui m’a obligée à décommander ce que j’avais prévu initialement avec Claire… Et ce jour-là, pour que nous soyons délivrés d’un malentendu, je me suis parée d’un chemisier vaporeux, en guise de cadeau à la hauteur de ta préoccupation de la veille…

— Bah ! tu vois, Isabelle…

— … mais aurions-nous été quittes pour autant ? Je me suis aussi posé cette question durant des heures, ensuite, j’ai pensé que pour le badinage, il serait préférable que tu attendes encore quelque temps. J’étais quasiment sûre que tu prendrais plaisir, pour un premier exercice, à redécouvrir une gorge féminine en portant un vêtement transparent… Dis-moi, depuis le temps que tu es resté célibataire, cela doit faire un bout de temps que tu n’avais pas admiré la poitrine d’une femme, hein ? 

Évidemment, je ne peux lui répondre. Je me pince assez fort pour être certain que je ne rêve pas, réfutant son argumentation, lui rappelant que la manière dont elle m’avait reçu chez elle ne ressemblait pas du tout à une visite de courtoisie. Pourquoi avait-elle pris chacune de mes mains pour qu’elles atterrissent sur ses seins ? Pourquoi avait-elle eu cette attitude lascive sur son canapé ? Visiblement, son histoire ne tient pas debout. Elle tente même de se faire croire ce qu’elle cherche à m’expliquer. Je suis en train de vivre la manifestation de sa mauvaise foi, ce qui me permet de la contredire :

— Je suis désolé, tendre et chère Isabelle, ma douce colombe, mon amour, mon cœur, ma princesse… Je me souviens de ce moment que j’ai inscrit dans mon agenda : de ton canapé, tu m’as saisi par la main pour m’amener vers monsieur Lit, c’est ainsi que tu le baptises ton lit ; monsieur Lit. Ton visage paraissait comme irradié par ce qui allait advenir de toi. Je t’ai déshabillée et tu t’es abandonnée à tes désirs enfouis. Tu portais des bas noirs alors que je pensais que c’étaient des collants. Cela signifie quand même quelque chose, ta tenue vestimentaire, non ! Puis tu as entrepris de jouer à la douanière pour me contrôler, je te rappelle…

— À la contrôleuse de billets… Pas à la douanière…

— Passons sur la profession que tu avais imaginée ! Je te remémore que tu étais très réceptive à mes caresses. Tu m’as ensuite affirmé en riant qu’une esthéticienne t’avait façonné sur le pubis un ticket de métro qui avait pour but de m’inciter à visiter le réseau souterrain.

— Olivier, je…

— Enfin, je termine… Tu avais réellement envie que l’on fasse l’amour, puisque c’est toi-même qui avais pris les initiatives en m’enfilant un préservatif que tu avais dissimulé dans une casquette de la RATP, celle que tu avais placée en évidence sur ta table de chevet. D’ailleurs, il n’y avait pas qu’une seule capote à l’intérieur, mais toute une collection… Tu t’en souviens, Isabelle ? Dans l’après-midi, tu souhaitais recommencer. On a remis le couvert. En prime, dans la nuit, tu voulais ton treizième mois. J’étais épuisé, Isabelle, j’étais mort, tu vois ! Et cerise sur le gâteau, tu m’as prié de vivre avec toi, ce que j’ai accepté assurément. C’est cela qui est incroyable… C’est d’avoir approuvé et de partager mon existence avec toi, le soir même…

— Oui, tendre et cher Olivier ! Pardonne-moi, je raconte n’importe quoi, mais j’affirme que nous avons dérapé. Tu n’aurais pas dû répondre à ces appels des sens. Tu aurais dû refuser de réaliser ce qui est devant Dieu, un acte sacré. Je sais que tu es de confession catholique, Olivier, il n’y a qu’à faire un tour chez toi pour le constater. Certes, c’est moi qui ai pris les initiatives et cela dès le départ. Jamais, je n’aurais imaginé que tu franchirais le rubicond. Je suis une bonne chrétienne, moi aussi. En réalité, Olivier, je te l’avoue, j’espérais être bercée dans tes bras pour que l’on puisse se connaître davantage. Ce jour-là, nous devions juste nous embrasser… et, si besoin est, accompagner nos ébats affectueux de tendres câlins et de je ne sais quoi encore. J’ignore pourquoi, mais j’ai craqué en t’emmenant dans ma chambre… Pourtant, je me l’étais formellement interdit. C’est à ce moment-là que tout a dérapé. Je n’aurais jamais dû me procurer des préservatifs, ce qui a forcément facilité le passage à l’acte.

— J’en avais acheté également, Isabelle…

— Oui, j’avais bien vu. Lorsque j’ai glissé ma missive dans ta pochette de veste, j’ai repéré ce que tu avais caché. En réalité, je voulais partager avec toi des baisers passionnés et des caresses intimes, et cela jusqu’à l’extase, mon amour… Puis nous nous serions endormis ensemble, repus, dans les bras l’un de l’autre toute une nuit. Cela aurait déjà été un moment très romantique, non ?

— Tu espérais tout ce programme, sans aucun rapport charnel ! m’étonné-je.

— Oui, c’est juste ce que j’escomptais !

— Eh bien, c’est raté ! constaté-je.

— Mais, maintenant, j’assume ce qui s’est passé, car je n’ai pas trahi mon corps et ma raison. Là, en ce moment, je suis infiniment heureuse de me retrouver avec toi ! me répond-elle en me jetant une bise sur le nez.

Dans le petit salon, je suis à l’affût de mademoiselle extrêmement très-compliquée qui termine de s’apprêter dans ma chambre. Au bout de quelques minutes, la voilà enfin prête, parée de vêtements de couturiers que j’avais appréciés sur une des couvertures d’un magazine people. Avant de quitter l’appartement, elle me fait promettre devant la photo de l’oncle Alexandre que je ne devrai pas entreprendre de gestes tendres ou furtifs durant la visite qui resterait qu’essentiellement culturelle, sous peine d’un gage.

— Je vais même te le jurer ! lui assuré-je.

Je jure aussi de t’offrir une bague de fiançailles, un de ces quatre.

Après une longue marche, à partir de la plaine Monceau jusqu’aux rives de la Seine, nous parvenons à bon port pour l’ouverture du palais d’Orsay. À l’accueil, Isabelle se charge de s’acquitter des droits d’entrée, choisissant de parcourir l’exposition permanente le matin avant d’approfondir celle temporaire, consacrée aux peintres nordiques, l’après-midi.

Aussitôt les billets contrôlés, Isabelle insiste pour que l’on se dirige vers l’allée des sculptures, ne perdant pas une occasion de donner son avis pour chacune des statues croisées. Je lui emboîte le pas tout en l’écoutant. Dans mon for intérieur, je me rends compte que mon accompagnatrice s’avère être une piètre hôtesse puisque, après nous être égarés, nous voilà revenus à la réception, ce qui nous oblige à réclamer un plan afin d’éviter de serpenter parmi les œuvres présentées.

Au gré de l’inspiration de ma conférencière personnelle, je la suis, continuant de garder la foi depuis que j’ai commencé à penser mariage.

Après avoir visité le niveau médian, puis supérieur, Isabelle décide de nous rendre vers les galeries dédiées à la peinture, tant elle désire se fondre dans chacune des compositions de Degas, Manet, Corot, Ingres, Courbet.

Alors que nous repassons une seconde fois devant le tableau d’Édouard Manet le déjeuner sur l’herbe, mettant en scène une jeune femme dévêtue en compagnie de deux hommes habillés, Isabelle ne peut s’empêcher de me relater l’anecdote relative à ce scandale qui eut lieu au Salon des refusés en 1863.

— De l’histoire déjà ancienne, mon cœur, me souffle-t-elle.

Dans l’une des galeries, je découvre L’Origine du monde de Gustave Courbet, une œuvre célébrant le corps féminin représenté dans toute sa franchise et son audace. Je reste interdit devant ce tableau qui me fascine, tandis qu’Isabelle me rejoint pour me saisir la main avant de me chuchoter en souriant :

— Arrête de t’éterniser là comme deux ronds de flan, mon amour ! Tu vas t’abîmer les yeux, Olivier ! Que va penser ton oncle Alexandre, s’il te surprend ! Au préalable, il faut que tu m’expliques ce que t’évoque cette peinture, mon tendre galant ?

— D’abord, je vais commencer par l’oncle… Il aurait probablement fait une crise cardiaque, rien qu’en visitant ce musée ! Ensuite, je te le garantis : ce n’est pas toi qui as posé, le ticket de métro n’existant pas encore en 1866…

— Bravo, Watson ! Tu as correctement résolu l’énigme.

— Et troisièmement, le titre de l’œuvre L’Origine du monde m’interpelle… en tant que scientifique, je précise, mais il peut interroger un psychanalyste comme Jacques Lacan, puisque cette œuvre fut cachée derrière une autre toile commandée à son beau-frère, aussi étrange que cela puisse paraître. Mais restons cartésiens cinq minutes, il pousse la réflexion sur les premiers instants de l’univers : d’où venons-nous, Isabelle ? L’émergence de la lumière… La formation des…

— Stop, monsieur l’astrophysicien, vous m’expliquerez tout cela à la maison, on sera bien mieux…

— … Galaxies, puis des étoiles…

— À quelle époque stopperas-tu ?

— Jusqu’au jour béni où j’ai rencontré une créature adorable, prénommée Isabelle, que je vais enlacer immédiatement. Dans mes bras, Isabelle ! Je suis dingue de toi et je voudrais t’épouser !

— Déjà ! Stop ! Si tu insistes, tu vas avoir un gage ! C’est le tableau qui te met dans cet état !

— J’arrête Isabelle. Et pour toi ? Dis-moi, qu’évoque ce tableau ?

— J’avoue qu’il est troublant, mon petit Olivier ? Il m’oblige à penser que toutes les femmes sont comparables à des poupées russes, toutes reliées par un ADN mitochondrial remontant jusqu’à l’Ève primitive. 

Je me tiens encore planté devant L’Origine du monde méditant sur ce que nous sommes et sur notre destinée. Par force, je continue de m’interroger sur la frontière entre l’inerte et le vivant donc, par extension, sur la sexualité qui reste un grand mystère, et par voie de conséquence sur l’apparition de cette étrange faculté qu’ont les règnes animal et végétal à se reproduire à l’infini. C’est vraiment miraculeux de réaliser cet aspect de la vie que nous touchons pourtant du bout des doigts et à chaque instant.

— Watson, tu viens ? Watson !

Je parcours une dernière fois cette œuvre énigmatique, m’apprêtant à rattraper Isabelle lorsque je me rends compte qu’elle a disparu. Je me dirige vers la galerie Seine : personne, ni à droite ni à gauche, nulle part…

Mais où est-elle passée ?

Je la cherche désespérément lorsque je parviens à l’entrapercevoir, me rejoignant à grands pas.

Elle m’observe, le regard plein de malice.

— Pardonne-moi, mon galant, je n’ai pu m’empêcher de me rendre aux toilettes pendant que tu t’abîmais les yeux en mirant la dame du tableau !

— Déjà terminé ? Tu as fait très vite, mon minou ! En même temps, tu as d’évidence le droit d’assouvir un besoin pressant. C’est tout à fait normal, ma chérie ! lui chuchoté-je.

— Ah ! Je n’avais aucune envie à satisfaire !

— Oh, toutes mes excuses, ma colombe, j’ai cru un instant… Ah ! Tu étais partie te laver les mains !

— Pas du tout !

— Non, tu dis ! Tu t’es recoiffée alors ?

— Mais tu n’y es pas, mon cœur ! Tiens, regarde un peu dans mon sac ! Je vais te surprendre.

Tandis qu’elle décroche la bandoulière pour en ouvrir la fermeture éclair, j’aperçois un tissu blanc froissé dans le fond de son baise-en-ville. Il me faut quelques secondes pour analyser ce que je vois. Je me pince très fort, réalisant qu’Isabelle se promène sans aucun dessous…

— Non, Isabelle, tu n’as pas fait ça ? On est dans un musée Isabelle ! lui murmuré-je dans l’oreille.

— Mais si, mon amour, je connais beaucoup de femmes qui deviennent audacieuses lorsqu’elles sont bien accompagnées, je t’assure.

Non, je n’y crois pas… Elle a osé…

— Moi aussi, j’ai le droit de faire ma coquine, pour une fois ! Si tu veux redécouvrir L’Origine du monde, tu n’auras qu’à me le demander dès que nous serons de retour à la maison !

Alors qu’elle s’engage dans l’allée des sculptures, je reste sur place, consterné, par ce nouveau délire. Comment aborder la poursuite de cette visite sereinement ? Malgré la honte qui me submerge, je ne la lâche pas des yeux, naviguant à vue dans son sillage, tandis qu’elle s’exile pour aller explorer à nouveau les petites salles contiguës. Comment une demoiselle bien comme il faut peut-elle se pavaner ainsi comme si de rien n’était ? Je la vois ressortir d’un espace et m’attendre, le sourire aux lèvres. Elle tente de me prendre la main. Je cède, puis elle s’arrête pour méditer sur une peinture dénommée Égalité devant la mort de William Bouguereau, tableau montrant un ange survolant le corps d’un défunt. Cette œuvre affiche indéniablement un caractère romantique. Je dois avouer que la femme qui m’accompagne, véritable sans-culotte osant affirmer un esprit révolutionnaire, c’est le cas de le dire, est sensible au thème du sommeil éternel comme j’avais pu le constater lors de la soirée du vernissage. Je me sens obligé de lui glisser cette remarque :

— Tu sembles très réceptive à ce thème qu’est le dernier repos !

— Comme tout un chacun, et en ce qui me concerne, depuis la disparition de ma grand-mère maternelle. Mais tu sais, ce sujet est abondamment répété dans les Arts. Mais il y a bien d’autres questions récurrentes ; tout d’abord la représentation du corps humain à travers les drapés, le nu et le clair-obscur qui restent des exercices délicats à réaliser. Les peintures religieuses pour le Moyen Âge sont omniprésentes, elles se conjuguent à l’illustration de la perte d’un être cher. Il y a aussi le portrait, les scènes de guerre ou de chasse, les interprétations liées à la mythologie, les fresques et davantage aujourd’hui, les natures mortes, les paysages. Souvent, plusieurs thèmes sont associés…

— Mais pourquoi ce tableau de Bouguereau t’inspire-t-il ?

— À cause de cet ange qui recouvre d’un linceul le cadavre de ce jeune garçon. Ce tableau est un chef-d’œuvre par sa difficulté d’exécution et qui influence mon existence.

La marche, le piétinement, les arrêts intempestifs en raison de l’affluence du public nous contraignent de stopper la visite pour avaler n’importe quoi. L’option d’Isabelle se porte d’abord sur le café Campana, préférant déjeuner face à la grande horloge, avant de se raviser pour me proposer de nous rendre dans l’ancien restaurant de l’Hôtel d’Orsay où avaient eu lieu le discours et le lunch du ministre de la Culture, trois semaines plus tôt.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire hervelaine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0