CHAPITRE 14 - Une étrange grand-mère maternelle

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Dimanche 14 juillet 2013
13 h 30, musée d’Orsay, Paris 7e arrondissement


Attablés dans l’ancien restaurant du palais d’Orsay, nos yeux restent grands ouverts sur le plafond qui a gardé toute sa magnificence d’autrefois. Un serveur, venu d’on ne sait où, nous conseille pour le choix des menus. La salade César nous convient parfaitement.

Au cours du repas, nous échangeons différents commentaires sur les quelques peintures que nous avons appréciées, notamment celle de Bouguereau qui a attiré l’œil d’Isabelle, ce qui me force à éclaircir un point qui me turlupine :

— Tu me parles souvent de ton grand-père, mais tu t’exprimes rarement au sujet de ta grand-mère. Elle a pourtant laissé beaucoup de traces dans ta mémoire.

— Tu avais remarqué ?

— De temps en temps, tu relates la riche histoire du grand-père sans évoquer celle de son épouse qui semble être rangée aux oubliettes.

— Olivier. Je n’ose pas t’exposer le souvenir de ma grand-mère maternelle, parce que cela m’obligerait à te révéler certaines choses qui seraient forcément inconcevables à tes yeux. Je découvre de mieux en mieux ton esprit rationnel…

— Tu me surprends, Isabelle ! Ton discours est étrange ! Tu parais même soucieuse, précise-moi ce qui te tracasse à ce point, juste pour que je me fasse une petite idée ?

— Je n’y tiens vraiment pas.

— Ah ! Maintenant que tu m’as mis l’eau à la bouche, j’aimerais en savoir davantage !

Voilà qu’elle me regarde comme deux ronds de flan…

— Alors tant pis pour toi ! Je démarre l’histoire, mais j’anticipe déjà ta réaction, je commence à te connaître.

— Je t’écoute attentivement, Isabelle, et je te promets de ne pas t’interrompre !

Tandis que le garçon nous sert deux cafés, je me rends compte qu’Isabelle hésite avant de se lancer dans son explication.

— Quelques mois avant le décès de ma grand-mère maternelle, d’inhabituels cauchemars ont perturbé mes nuits. J’avais évoqué ce souci avec maman qui, à partir de cet instant, m’a considérée bizarrement. Le lendemain, elle a jugé bon d’en rediscuter avec moi pour me rassurer, mais aussi pour être au fait de la teneur de mes rêves. Je lui ai précisé des détails qui ont, sans conteste, ébranlé ma mère… Elle m’a crue, car elle se doutait déjà de quelque chose à cause de cette tache de vin présente sur ma hanche. Elle m’a expressément recommandé de partager mon vécu avec ma grand-mère qui était très malade à cette époque. Le week-end suivant, nous nous sommes rendues à Bully. Cela n’avait pas traîné… Maman m’a laissée seule avec ma grand-mère… elle s’appelait Marianne... et elle m’avait alors montré une marque qui représentait la patte d’un gros félin… c’était exactement la même que celle que tu peux voir tous les soirs sur ma hanche. C’est entre quatre yeux que nous avons commencé à discuter de ce qui nous réunissait et cela a duré une bonne partie de l’après-midi. Au cours de ce long conciliabule, j’ai appris que je devais être concernée par… je n’ose même pas articuler ce qu’elle m’avait confié… Elle avait prononcé mot pour mot « toi aussi, tu es touchée par la grâce » et c’est bien par ce mot grâce que mon aïeule avait défini cette particularité reçue en cadeau par notre lignage féminin. Ne me regarde pas ainsi, Olivier, cela me déconcerte…

C’est vraiment flippant son histoire… Mais, elle se rend compte de ce qu’elle raconte. J’hallucine en l’écoutant…

— Continue Isabelle… Ne t’inquiète pas, je suis tout ouïe…

— … Bon ! Maman n’avait pu tirer profit de ce don ni mon arrière-grand-mère et ce fut pareil pour ma trisaïeule. Mais apparemment, il aurait existé d’autres femmes de cette même lignée matrilinéaire qui auraient hérité de cette faculté… De mémoire, mon grand-père, qui avait entrepris de retracer la généalogie de Marianne Cœurderoy, m’avait sorti le nom de Françoise Arrachequesne. Trouvant ce patronyme amusant, je l’avais noté quelque part. Bref… Marianne fut bouleversée par ce legs durant toute sa vie. Elle n’en avait jamais parlé à personne, sauf à son époux Charles, mon grand-père, et à une seule de ses filles, Éliane, ma mère, en raison de la marque découverte sur ma hanche. Ce fut la raison essentielle de mon voyage en Finlande, car je désirais en avoir le cœur net. J’avais, dès lors, entrepris une démarche personnelle, celle d’identifier, en toute discrétion, si l’une de mes trois cousines finlandaises, Heidi, Aleksandra, ou Brigitta, avait bénéficié de ce cadeau qualifié de divin. Quant à ma tante Béatrice, je n’ai pu le découvrir, car elle préférait se rendre au sauna à des heures impossibles. Je lui ai pourtant tendu la perche en lui narrant cette vieille anecdote relative aux sorciers de Bully… Rien n’en est sorti.

Autant d’incrédulité de la part d’Isabelle me sidère et m’agace prodigieusement.

— Tu souhaites me demander quelque chose, Olivier ? Mais, ne reste pas le regard fixe comme ça, j’ai bientôt fini…

— Non ! Je m’interroge… J’étais en train de me dire… Décidément, ces histoires de magiciens semblent te perturber, mais, je t’en prie, continue ton récit !

— C’est au cours de cet entretien particulier que j’ai appris que ma grand-mère avait fait des songes analogues aux miens, ainsi que Françoise Arrachequesne, l’arrière-grand-mère de ma grand-mère, ce qui remonte assez loin dans le temps. Cette aïeule aurait aussi perçu des visions qui ressemblaient à ceux de Marianne et aux miens à quelques détails près… Ce qui me paraît extraordinaire !

— … Ah oui !

— La caractéristique principale : ces rêves ne concernent que les filles issues d’un même lignage féminin, sachant que certaines héritent du don, d’autres pas… Je n’entrevois pas la raison… Maman est allée consulter une psychogénéalogiste qui a trouvé la tradition surprenante. Elle veut traiter ce sujet dans un prochain ouvrage.

— Hum ! Incroyable en effet… Devant le tableau de Courbet, tu m’énonçais que les femmes étaient comparables à des poupées russes. Vous vous passez le relais en sautant des générations, si j’ai bien compris…

— C’est un peu ça, Watson !

— Je t’entends, Isabelle ! Là, tu me découvres bouche bée devant ton récit à dormir debout… Et je ne me suis pas endormi, car je suis effaré par ce que je viens d’entendre.

— Mais je m’en doutais, Olivier ! Voilà pourquoi je souhaitais m’abstenir de te rapporter cette anecdote.

— Bon ! Je continue à t’écouter. Chaque jour, des millions de gens réalisent des cauchemars. Il n’y a rien d’étrange à cela.

— À un détail près ! Ces rêves sont récurrents et semblent relater une histoire homogène sous la forme d’un puzzle. La veille de son union, ma grand-mère fit un songe similaire au mien, à un tel point qu’elle avait eu peur de se marier. Finalement, elle a fini par épouser mon grand-père. Heureusement puisque je suis là.

— Bien ! Alors, décris-moi maintenant ce que tu vois… J’ai envie d’être effrayé. Cela fait bien ad vitam æternam que mon oncle ne m’avait pas brossé une fable analogue… Tiens !

— Il n’est pas très ancien puisqu’il date du soir où je suis allée chez toi pour la toute première fois, ce fameux soir au cours duquel je me suis affrontée à ta sacro-sainte pudeur et à ton horloge…

— Comment pourrais-je oublier une pareille soirée, chère Isabelle ?

— Bref ! Après être retournée chez moi pour me coucher, j’avoue que j’ai beaucoup pensé à toi… quand je me suis endormie, je suis tombé dans ce rêve récurrent, lequel s’est révélé bien plus précis que les précédents. Je t’expose les séquences telles que je les ai vécues.

— Des séquences ? Bon, je t’écoute !

— Je suis étendue sur une imposante litière, en plein milieu d’une pièce circulaire percée de meurtrières. Je distingue qu’il s’agit d’une tourelle dans laquelle des tentures multicolores et épaisses sont pendues du plafond jusqu’au sol. Le ventre bien rond, je souffre le martyre. Il faut que je me rende à l’évidence : je suis grosse de plusieurs mois. Puis les évènements s’accélèrent comme dans un film fantastique : les jours et les nuits se succèdent à une vitesse folle. Le temps paraît figé comme s’il n’existait pas… Des servantes s’affairent autour de moi, l’une d’entre elles, également enceinte, apporte de l’eau chaude dans une vasque, une autre range une longue robe dans un grand coffre en bois, à lourde serrure. Puis une matrone, portant une coiffe pointue, apparaît pour me dévisager. Bien à l’écart, un prêtre est présent près de ma couche. J’ignore la raison, mais il est là et semble influent. J’accouche dans d’effroyables douleurs. La sage-femme se saisit du bébé par les pieds, c’est une petite fille, qu’elle ondoie. Un corbeau me regarde par la meurtrière. Après, je réalise que la conséquence de ce mariage clandestin est épouvantable. J’ai eu très peur…

— Que se passe-t-il en second lieu ? lui demandé-je, incrédule.

— Les jours s’écoulent comme le soufflet d’un accordéon, s’étirant et se contractant selon les évènements. Je donne naissance à un garçon qui grandit. Son père lui apprend le maniement des armes. Les nuages filent à vive allure. Les enfants sont déjà âgés et je peux estimer qu’ils doivent avoir un peu plus de 10 ans. Le temps s’arrête pour faire place à une juridiction improvisée par ce qui me semble être un magistrat. J’ai perçu qu’on le désignait par le terme bailli. Il est de mèche avec un ecclésiastique de haut rang. Un inquisiteur, capuche noire sur la tête, témoigne qu’une de mes suivantes a avisé un serviteur de l’église que je détenais un grimoire contenant des recettes. Je réponds à cet émissaire qu’il s’agit de fragments de parchemins relatifs au Livre des Subtilités des créatures divines[1], le livre des remèdes prescrits par la bienheureuse Hildegarde de Bingen. Tout cela est resté fidèle dans ma mémoire !

— Hildegarde de Bingen ? Mon oncle Alexandre ne cessait pas de me faire écouter des compositions musicales de cette femme.

— Olivier, j’ai parfaitement entendu ce nom que j’ai recherché par la suite sur internet[2]. C’était une guérisseuse, une mystique et une musicienne du douzième siècle. Bref ! Pour en revenir à l’inquisiteur, il m’accuse de sorcellerie pour avoir passé un pacte avec le Diable. Une marque découverte sur mon corps en est la cause. Ce sont des prétextes sournois que le tribunal a trouvés pour me condamner à être brûlée vive. Je sais que mon mariage contracté en secret n’a jamais été pardonné par la famille de l’archevêque. On me rase la tête, on me pose une mitre, puis on me tire du cachot. Je suis ensuite traînée jusqu’à un bûcher. Je brûle, Olivier, les flammes me lèchent. Je ne respire plus et je veux mourir pour ne pas trop souffrir. Voilà comment j’ai vécu l’épisode, décousu, haché, mais c’est à peu près ça, car parfois les séquences deviennent nébuleuses.

— Mon tendre amour que j’adore plus que tout, calme-toi, maintenant. Tu m’as foutu le bourdon. Il faut absolument que tu écrives des scénarios. Le cinéma a besoin de toi. Vraiment !

— Moque-toi, Olivier !

— Je pense sincèrement que tu es en train de t’aventurer dans un curieux chemin. Soyons sérieux, s’il te plaît. Tout ce que tu me narres n’est pas possible scientifiquement. Tu t’adresses à un chercheur, un docteur en sciences. Tu ne peux pas exposer une pareille histoire. Cela n’a aucune signification.

— Je conçois que cela n’a aucun sens. T’en parler me gêne, car je connais ton esprit rationnel qui n’accepte que les choses explicables.

— Je pourrais te faire le récit suivant : à la ferme du Mesnil-Peuvrel, des journaliers, ainsi que mon aïeul d’ailleurs, ont pu voir apparaître à plusieurs reprises une dame blanche. Elle est souvent montée sur un cheval, traversant les terres avant de pénétrer dans la petite chapelle. D’autres ont pu apercevoir qu’elle portait un voile. Bref, quelque chose d’analogue ou d’approchant, puisqu’il existe plusieurs versions. Comment apporter un crédit à de telles légendes ?

— Je comprends ton point de vue. Pourtant, en ce qui me concerne, Olivier… Tu ignores le reste…

— Quoi encore ?

— Ma grand-mère m’a révélé que je pouvais être dotée occasionnellement de pouvoirs médiumniques ou autres pratiques de ce genre-là, ce qui fut le cas pour Françoise Arrachequesne, l’arrière-grand-mère de ma grand-mère, je te rappelle.

— Je crois qu’on va s’arrêter là, car tu m’inquiètes beaucoup, Isabelle ! Déjà, pour que tu respires mieux, je te recommanderais de remettre ce que tu as dans ton sac… ce petit accessoire ou plutôt cette lingerie qui te convient si bien habituellement sinon, tu risques de prendre froid ! Ah ! J’oubliais de te signaler : j’ai eu mon père hier au téléphone et j’ai pu discuter cinq minutes avec lui à propos de l’horloge. Il ne sait rien de ce meuble à part qu’elle provient d’un héritage Prevel. Mais, à mon avis, après l’avoir écouté, j’ai eu l’impression qu’il en connaissait bien plus sur son histoire.

— Je m’en doutais, mais tu as raison, mon trésor, changeons de sujet. J’avais anticipé que tu aurais ce genre de réaction lorsque l’on te confronte à l’inexplicable ! Quant à mon délire d’ordre vestimentaire, je t’avouerais que c’est la première fois de ma vie que j’ose aller si loin pour mon amoureux… Par conséquent, je reste comme je suis, tant que je serais dans le musée, étant parfaitement à l’aise sans… Considère que c’est un gage… 

Désemparé, je commande un second café pour me remettre de toutes mes émotions. Isabelle demande la même chose au garçon tandis qu’elle attrape son sac à bandoulière pour s’emparer de son paquet de chewing-gums. Mon caoua terminé, je saisis une dragée dans la coupelle que le serveur a posée au milieu de la table, puis une autre avant d’inviter Isabelle à se lever pour continuer la visite de l’exposition temporaire.

Dès le tourniquet franchi, toute souriante, Isabelle me susurre :

— Oublie tout ce que je t’ai raconté, c’était une blague, un prêté pour un rendu !

— Un prêté pour un rendu ?

— À propos de ton histoire de fantômes au Mesnil-Peuvrel ! C’était aussi une plaisanterie, n’est-ce pas ! Tu me l’avais déjà relatée, cette histoire, l’autre soir, à l’hôtel de Poulpry. Je suis très heureuse de me retrouver ici, dans cet endroit et à tes côtés. Nous allons pouvoir reprendre la visite que nous avions été obligés d’écourter…

— Ah ! Cela me rassure… Tu adores mentir pour me berner, hein ! Ah, Robert. Je m’en souviendrai de celui-là… ROOObert. Il m’a empêché d’approfondir un très discutable tableau peint par un… certain Olaf Arbo… Ce nom te dit quelque chose… Sérieusement, tu le connais ce monsieur…

— C’est un type un peu allumé, mais très sympa… Je suis fière d’avoir posé pour lui…

— C’est bien pour cela que je vais pouvoir étudier attentivement ce tableau que je n’avais même pas eu le temps d’admirer l’autre jour !

— Tu me parais excité, Olivier ! C’est Freyja qui te donne des ailes ?

— L’entrée de l’expo est par ici, Isabelle ! Je vais être obligé de te canaliser.

— Tu as raison, canalise-moi, mon amour.

Le regard d’Isabelle s’est tout de suite braqué sur trois panneaux figuratifs, rassemblés en un seul, devant lesquels une dizaine de visiteurs se sont agglutinés. Je cherche à me passer des commentaires de ma guide, attendant que le groupe s’éloigne pour commencer la lecture de la première planche. Pendant ce temps, délaissant le triptyque, Isabelle s’avance lentement vers un large et unique corridor pour découvrir la première œuvre qui se présente à elle. Isabelle semble pressée, tandis que je prends mon moment pour déchiffrer l’affiche centrale, afin de m’imprégner de l’histoire de Snorri Sturluson[3], un féodal islandais qui, après s’être impliqué dans les luttes politiques, avait rédigé le Codex Regius et l’Edda de Snorri.

Toute cette lecture me rappelle de vagues souvenirs, ceux liés à ma formation d’astrophysicien. Très vite, je me remémore quelques-unes des divinités que j’avais fini par oublier. Lorgnant dans la direction d’Isabelle, je constate qu’elle piaffe d’impatience, ne pouvant tolérer que je ne me tienne pas à ses côtés.

Elle est un peu capricieuse sur ce coup-là, quand même.

Histoire de la tester, je lui lance un large sourire avant de la rejoindre. Lasse d’effectuer le pied de grue, elle se dirige vers une œuvre de Mårten Eskil Winge intitulé la bataille de Thor contre les Géants. Je la rattrape pour écouter ce qu’elle peut me préciser sur cette œuvre, me laissant envelopper par sa voix mélodieuse qui me provoque une sorte d’ivresse.

En état d’hypnose, je la piste jusqu’à un nouvel espace encore plus vaste, dédié aux peuples de la mythologie nordique : les Nains, les Géants, les Alfes, les Vanes et les Ases. Et nous voilà repartis à travers le méandre, bordé de hautes cloisons modulaires, ce qui me colle le mal de mer. Sonné par son flot de paroles non-stop, je poursuis le doux parfum de mon amoureuse qui tente de me fournir des explications pour chacune des réalisations.

Si Isabelle a vraiment la science infuse sur toutes ces divinités, elle le devait à son grand-père maternel qui lui avait inculqué ce savoir prodigieux en raison de ses origines normandes. Ne prétendait-il pas descendre de l’antique et illustre famille de Bohun, des comtes de Hereford en Angleterre, rien que ça. Qu’Isabelle ait accepté d’incarner le personnage de Freyja pour Olaf Arbo ne devrait donc pas m’étonner. Je suis à cran, même si je parviens à me contenir. J’ai hâte de revoir la toile sur laquelle elle demeurera figée pour l’éternité. Au fur et à mesure de notre progression dans ce long labyrinthe entrecoupé d’espaces à thèmes, je commence à être intrigué par le manège d’Isabelle qui apparaît de plus en plus nerveuse.

Récupérant ma main, Isabelle me tire par le bras, me plantant devant le tableau de Peter Nicolai Arbo : La chasse sauvage d’Odin.

— Ce tableau est celui qui est et restera le témoin de notre premier vrai baiser d’amour ! me souligne-t-elle satisfaite.

— Mais il y a l’autre qui est derrière ce panneau ! Tu ne souhaites pas le contempler ?

— Je le connais et celui-là ne compte pas. Il n’aurait jamais dû être là… D’ailleurs, j’ai téléphoné à Olaf hier dans l’après-midi… C’est une drôle d’histoire qu’il a fini par me raconter ! Cette toile a été commandée par l’un de mes plus fervents admirateurs… que je n’ai jamais vu… Un milliardaire suisse ou néerlandais, je ne sais plus, que j’avais, paraît-il, croisé avec sa femme lors d’une manifestation à Genève… C’est ce que m’a rapporté Olaf !

— Olaf ? Un milliardaire ? Genève ? Toi ? Qu’est-ce que ce bazar ? Quel est le lien entre tout ça ?

— Mais je te l’avais déjà expliqué l’autre jour ! Tu étais encore dans la Lune ! Ne t’avais-je pas notifié qu’Olaf, un de mes meilleurs amis, ancien mannequin avec qui j’avais défilé, était devenu un peintre reconnu en Norvège ? Ne t’avais-je pas relaté qu’Olaf me suppliait de poser pour lui afin d’incarner la déesse Freyja depuis plusieurs années ?

— Oui, Isabelle, tu m’avais raconté tout cela, mais je n’avais pas eu le temps de tout intégrer… Et puis voilà, j’avoue que la présence de Robert et la cavalcade à travers toutes ces œuvres m’avaient perturbé sur le coup.

— Tiens donc… Cela ne m’étonne pas de toi… Olaf m’a communiqué une primeur. Le commanditaire était l’un des diamantaires les plus célèbres de la planète…

— C’était ? Pourquoi ? Il ne l’est plus !

— C’est délirant ce que je vais te rapporter, mais cet homme est mort d’une crise cardiaque dans sa maison de Genève… cinquante-neuf ans ! Olaf était en train de lui téléphoner pour l’informer que sa commande était prête… Depuis six ans qu’il l’attendait, sa peinture… Le pauvre… Olaf venait tout juste de lui apprendre que j’avais consenti à poser pour Freyja… Je suis la cause de son décès… C’est moi qui l’ai tué… C’est idiot quand même ! Paix à son âme…

— Et la famille… Elle ne désire plus le tableau ?

— Les proches de monsieur Harsm… Il se nommait Rodolphe Hars… Hors… Je ne sais plus… Ce diamantaire n’avait pas versé d’arrhes. Cette commande était uniquement basée sur la confiance…

— Et les enfants ?

— Il n’a pas de descendance… La veuve était présente lorsque Olaf a téléphoné à ce monsieur… Elle ne veut plus entendre parler de cette peinture, car elle affirme que c’est juste après cet appel que son époux s’est effondré sur le sol.

— Quelle histoire, Isabelle ! J’en reste bouche bée. Tu as véritablement de super pouvoirs. Je vais devoir te baptiser Wonder Woman à partir d’aujourd’hui.

— N’importe quoi, Olivier ! Ce qui m’inquiète, c’est surtout que ma trombine va apparaître dans cette exposition pendant trois mois. À moins d’intenter un procès. Ce n’était pas du tout prévu. J’espère que je ne vais pas évoquer de vieux souvenirs à d’autres.

— Combien vaut ce tableau ?

— À mon avis… Quelques milliers d’euros.

— Tu me communiqueras les coordonnées de cet Olaf…

— Qu’est-ce que tu envisages, Olivier ? Tu ne vas tout de même pas…

— Ne t’occupe pas, Isabelle ! Je vais voir ce que je peux entreprendre… Je vais négocier.

— Cela représente une sacrée fortune… Tu l’accrocheras dans l’appartement de tes parents ? Et puis, te rends-tu compte s’ils tombent sur cette peinture ? Et ton oncle ? Tu le prépares pour une crise cardiaque ? Non, Olivier, ce ne serait vraiment pas raisonnable…

— Cette œuvre, je la désire. À partir de maintenant, je vais la considérer comme la plus belle du monde. Plus tard, dans cinq cents ans, dans mille ans, elle remplacera celle de la Joconde.

— Là, je crois que tu exagères, un peu !




[1] Appelé Physica suivant une édition de 1533.

[2] Bienheureuse, devenue Sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179), moniale visionnaire, naturaliste et médecin, compositrice, canonisée en 2012. Elle est l’autrice de plusieurs œuvres musicales ou écrites ; la Physica ou Livre des Subtilités des créatures divines.

[3] Snorri Sturlusson (1179-1241) ; diplomate islandais, poète et historien, auteur de nombreuses sagas dont le codex Regius et l’Edda de Snorri.

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