CHAPITRE 29 - Les 14 étapes de la passion

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Samedi 3 août 2013
9 h 12, Abbazia, hameau de Prunelli-di-Fiumorbo, Haute-Corse


— Olivier... ! Olivier !
— Que se passe-t-il ?

Je sors à toutes jambes de la chambre pour me précipiter vers la salle de bain qui s’avère non verrouillée, détail qui ne doit pas, outre mesure, m’étonner, Isabelle m’ayant au préalable averti de la singularité de cet étage. Après avoir ouvert la porte, je la découvre debout à travers la cabine, un jet puissant la rinçant abondamment. L’eau claire fouette la surface de son corps, ondule sur son buste aux côtes légèrement saillantes avant de ruisseler sur son ventre très peu renflé. Captivé par cette eau qui chemine sur sa peau, je regarde ce spectacle de la même manière qu’un feu de cheminée.

J’attends en vain son propos qui n’arrive toujours pas. Puis, continuant d'observer le silence, elle repose le pommeau de douche avant de se saisir d’un drap de bain pour s’essuyer énergiquement.

— Tu m’as appelé, Isabelle ! Que désirais-tu ?

— Ma mère m’a confirmé que les Maillard allaient débarquer cette après-midi. Ils seront hébergés ici pour une dizaine de jours. Au départ, c’était mardi prochain qu’ils avaient prévu de s’amener. Ensuite, cela devait être lundi qui vient. Par expérience, je m’en doutais un peu  qu’ils avanceraient leur arrivée. C’est bien pour ça que j’ai préféré anticiper mon programme !

— Ah ! Mais que les amis de tes parents soient là, qu’est-ce que ça fait au juste ?

— Eh bien ! Ça va être la barbe pour nous deux, je t’assure. Pour préciser ma pensée, on risque d’avoir deux gardes du corps en permanence à l’intérieur de la propriété, comme pour l’année précédente, ce qui avait obligé Claire à aller se trouver des coins tranquilles pour aller se baigner. Donc, la piscine, ce n’est plus pour nous. Par ailleurs, si je m’entends bien avec Jean, ce n’est pas pareil avec son épouse qui est chronophage. Elle n’arrête pas de poser des questions, même les plus saugrenues. Si elle découvre que tu es astrophysicien, elle va souhaiter que tu l’embarques sur chaque planète et que tu lui expliques tout ce que tu sais.

— Dis-moi un peu ! À quel titre y a-t-il des gardes du corps ici et à l’intérieur de la propriété de tes parents ?

— Ils ne viendront pas à l’intérieur de la maison, mais ils auront une voiture climatisée à disposition, garée sous un arbre tout près du portail et face à la piscine. Pour les toilettes, ils pourront profiter de celles du sous-sol. Il faut que je te précise que l’ami Jean, comme d’habitude, joue toujours sur tous les tableaux, car c’est un politique. Il sera à la fois en visite privée chez nous, étant donné qu’il adore séjourner dans cette villa, mais aussi en visite officielle.

— Quel cinéma !

— Voui ! Tu as tout compris !

— Ah !

— Oui ! Et tu as raison de faire « Ah ! », car ce n’est pas tout ! Comme pour l’année dernière, son conseiller ROOObert va rôder dans les parages, même s’il crèche dans un hôtel situé à proximité, pour être au plus proche de son patron et surtout de moi, car il sait que je passe mes vacances ici l’été. Tu le connais, celui-là, puisqu’il t’a écrasé les pinceaux. Donc, ça va être la barbe. Tiens ! À propos de barbe, pose donc tes fesses sur le tabouret... je vais m'exercer à te raser à l’ancienne pour m’entraîner.

— Tu m’inquiètes d’un coup…

— Il ne faut surtout pas, mon petit Olivier que j’adore plus que tout !

Isabelle enfile un peignoir qu’elle ne ferme pas comme à son habitude, puis s’emparant d’un blaireau, elle commence à le frotter dans un bol de savon. Dans le miroir de la salle de bains, je peux voir la mousse onctueuse être étalée, d’abord sur le menton, puis sur les joues. Malhabile au départ, prenant ensuite de l’assurance, Isabelle me badigeonne le visage sur l’air de Figaro du Barbier de Séville, ce qui me fait sourire, car c’est la première fois que je l’entends chanter en italien.

Largo al factotum della città, largo !
Tralala-lalala-lalala-la !
Presto a bottega che l’alba è già, presto !
Tralala-lalala-lalala-la !

Tandis qu’elle ouvre un tiroir pour attraper un coupe-chou, le silence s’impose lorsqu’elle découvre ma mine déconfite devant un tel instrument de torture, elle le rabat pour le ranger avant de saisir un autre rasoir, celui-ci de sûreté.

— Je vais enfin t’expliquer, Olivier ! Pendant que je m’occupe de toi, tu ne parles surtout plus, sinon tu risques d’être défiguré, car c’est la première fois que je m’exerce à raser un homme. Toi, tu es un privilégié... Bon ! Je savais bien, et cela depuis un moment, que les Maillard allaient rappliquer chez nous, mais j’ignorais quand exactement. Dès que j’ai compris que le jour allait venir rapidement, je suis allée sur internet pour te concocter un programme dont tu te souviendras toute ta vie. Je te suggère un périple de deux semaines à travers la Corse, mes parents étant favorables pour qu’on s’éclipse. Ils vont même jusqu’à me confier le Touran.

— Vraiment sympa ! Je les remercierai personnellement.

— Je t’ai demandé de ne pas ouvrir ton clapet, j’ai failli t’écorcher ! C’est grâce à mon père que nous partons. Tu as remarqué, il ne mord pas ! Je continue mon propos : j’ai pu réserver différents endroits pour y passer la nuit. Au pire, on pourra se reposer dans le Touran sur un matelas double et gonflable. On pourra le faire en repliant les sièges arrière. En réalité, je ne pense pas qu’on en aura besoin, mais ce sera salutaire, rien que pour les siestes ou dans les cas où on aurait envie de nous détendre. Est-ce que tu as compris le message ?

— Tu as vraiment tout prévu ! N’oublie pas la pompe, cela pourra nous être utile !

— Elle est intégrée et électrique sur ce modèle de couchage. On n’a qu’à la brancher sur la prise de courant du Touran. Ce que je veux t’offrir, c’est une sorte de lune de miel avant l’heure.

Le rasage terminé, Isabelle m’embrasse à pleine bouche, me mordille l’oreille et me chuchote :

— Va préparer tes affaires et récupère ton précieux agenda sur lequel tu notes tout. Ce que je te propose va te changer de ton confort habituel. On va petit-déjeuner et on part aussitôt. Tu vois, je préfère un homme qui ne pique pas, finit-elle en me caressant le visage.

Après avoir salué et remercié les parents d’Isabelle, nous voilà lancés sur la route en direction de Bastia. Sur le trajet, Isabelle me prévient qu’elle a planifié un parcours initiatique dont la durée serait constituée de plusieurs étapes, réparties sur quatorze jours, le retour étant prévu pour le samedi 18 août au matin puisqu’il nous faudra récupérer Claire au passage, en début ou en milieu d’après-midi, lorsqu’elle débarquera à l’aéroport de Bastia. L’idée de cette virée avait soudainement surgi de l’esprit d’Isabelle, après qu’elle eut assisté à la messe du dimanche au cours de laquelle elle avait prié à la mémoire de son grand-père, me précisant qu’elle s’était postée à proximité de la quatorzième fresque de la passion du Christ, ce qui expliquait tout.

Je conserve le silence sur les premiers kilomètres, considérant que cette évasion improvisée devrait ressembler davantage à un pèlerinage.

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