CHAPITRE 32 - Paul Mornas

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Lundi 21 octobre 2013
9 h 10, Observatoire de Paris, avenue Denfert-Rochereau à Paris, 14e arrondissement


— Corinne ! Savez-vous où je peux trouver le dossier LOFAR[1], s’il vous plaît ?

Pas de réponse. Elle doit encore traîner dans le bureau de Pénélope.

Bien installé devant mon écran d’ordinateur, je réfléchis à certains aspects concernant mon futur article dont certains éléments me font défaut. Malheureusement, je ne peux demander à Paul de m’aider, ce dernier étant reparti à Aix-en-Provence pour quelques jours afin de rejoindre Astrid. Je suis bien obligé d’attendre son retour, à moins de me débrouiller seul pour retrouver les paramètres qui me manquent, ce qui va me prendre du temps.

Sur le site de l’observatoire de Paris, je croise continuellement Pénélope qui affiche un regard de jeune fille enamourée depuis sa reprise, début septembre. Sempiternellement, elle semble satisfaite de me contempler comme si j’étais devenu un dieu de l’Olympe. Il y a de cela une semaine, j’ai fini par comprendre la raison de ce regard biaisé et de ce sourire énigmatique qui rivalisait, à coup sûr, avec celui de la Joconde. À cet instant, il m’était apparu que toutes les femmes possédaient la faculté de se fondre dans l’œuvre de ce cher Léonard. Et à propos de la gaieté permanente de mon homologue, c’est Corinne qui m’en avait soufflé la cause.

Tout d’abord, dès son retour de vacances, Pénélope avait tenu à m’offrir un présent pour me remercier d’avoir assuré l’intérim de son service. Mais quel cadeau ! Après en avoir déchiré l’emballage, j’avais halluciné en lisant le titre de l’ouvrage : « Guide des plus belles plages de Corse ». Aussitôt, je m’étais demandé si c’était du lard ou du cochon. Après m’être renseigné auprès de Paul, j’avais découvert que Pénélope avait appris inopinément que je devais me rendre en Corse pour mes prochaines vacances, mais sans en connaître la destination précise. De mon côté, j’avais complètement remisé aux oubliettes que l’île de Beauté était l’endroit préféré de ma plus proche collègue, et cela depuis de bien nombreuses années.

Circonspect, j’avais dès lors cuisiné Corinne qui avait commencé à me faire des allusions douteuses après que Pénélope soit revenue de ses congés. Le lendemain, Corinne m’avait questionné sur la liaison que j’entretenais avec un ancien mannequin vedette, ce qui ne la regardait pas. Mais comment avait-elle su ? Décontenancé, j’avais exigé qu’elle me dise de qui elle tenait cette information, soupçonnant que cette indiscrétion provenait de Paul qui n’avait pas été capable de fermer sa bouche. Le mercredi, j’avais finalement avoué à Corinne que j’avais enfin trouvé chaussure à mon pied, ce qui me valut d’être félicité pour cette heureuse perspective. Puis, le jeudi, les interrogations étaient devenues de plus en plus insidieuses, bien plus pointues jusqu’au vendredi soir, Corinne s’étant lâchée en me livrant que Pénélope m’avait surpris en galante compagnie auprès de deux très belles pépées sur une plage de Corse, appuyant bien sa locution sur l’adverbe « très », l’adjectif « belles » et la nomination « pépées ».

Cette confidence me fit l’effet d’une bombe qui aurait éclaté sur mon passage. D’abord, interloqué, j’avais bien essayé d’en savoir davantage en questionnant ma secrétaire, mais les réponses étaient restées évasives et énigmatiques. Le lundi suivant, conscient de marcher sur des œufs, je l’avais invitée au restaurant pour continuer une discussion délicate et à l’abri des oreilles indiscrètes. Si, aujourd’hui, je peux faire un condensé précis de ce que j’avais pu recueillir comme informations, mon oncle Alexandre en aurait fait une crise cardiaque : primo, Pénélope se rendait chaque année à Bravone dans un centre de vacances naturiste, ce qui m’avait étonné ; secundo, Pénélope était en train de somnoler sur un transat aux côtés d’un nouvel ami déniché sur place lorsqu’elle fut réveillée par des applaudissements, des rires et des hurlements de femmes, et c’est là qu’elle n’en avait pas cru ses yeux en me repérant sur la plage de Bagheera ; tertio, Pénélope avait été estomaquée de me retrouver dans le plus simple appareil. Réaliser que ma collègue, du service d’à côté, m’avait découvert complètement nu me dérangeait au plus haut point, et cela m’avait considérablement déstabilisé dans un premier temps ; quarto, j’aurais manifesté une attitude pas très catholique en chahutant et en jouant avec deux dames, dont l’une paraissait enceinte, mais Pénélope avait des doutes sur cette grossesse supposée : quinto, mon approche auprès de la Vénus fut telle que j’aurais témoigné d’un état un peu trop viril aux regards d’une certaine assistance, surtout d’un groupe de jeunes gens qui avait, dès lors, ovationné ma prestation. N’avais-je pas vécu un véritable cauchemar à ce moment-là ? Prenant Corinne entre quatre yeux, je n’avais pas nié les faits, mais que Pénélope, pareille à une nonne devant un âne en érection, m’ait repéré au même degré que le petit Jésus au moment de son premier cri me consternait. « Je n’ai pas l’habitude de me trouver dans de tel endroit » m’étais-je efforcé de justifier. « Ne vous inquiétez pas, elle saura rester discrète » avait tenté de me rassurer ma secrétaire qui devait s’en tenir au secret. J’en étais là, les yeux dans mon assiette, essayant de finir ma cuisse de canard et les quelques ronds de pomme de terre. Puis, au dessert, en vrac, j’avais dû lui déballer que peu m’importait que Pénélope m’ait aperçu comme au premier jour de ma naissance, et bien plus finalement. « Ça lui permettra de se faire plaisir quand bon lui semblera ! » avais-je avancé. Je lui avais ensuite expliqué que la deuxième dame, celle qui n’était pas enceinte était ma médecin personnelle, laquelle m’avait prescrit un traitement consistant à me baigner dans le plus simple appareil pour en capter la vitamine D. « Ah, votre toubib passe ses vacances à poil avec vous ? » s’était-elle étonnée. Me frappant le front de dépit, je n’avais pas répondu, préférant m’étendre sur la présence de la jeune femme au ventre pas tout à fait encore renflé qui se prénommait Isabelle et qui fut autrefois un mannequin vedette, celui-là même que Paul avait rencontré au musée d’Orsay. J’avais terminé mon dessert en lui avouant que j’allais donc bientôt devenir papa et que la thérapie avait produit son effet. Corinne en était demeurée comme deux ronds de flan, n’osant plus rien dire et ne me reconnaissant plus. « Je visualise la trombine de votre oncle Alexandre s’il vous avait surpris avec ces dames, et en train de faire le prétentieux en plus. Cela aurait été l’enfer assuré pour vous. »

On en était resté là, tandis que Pénélope me rendait davantage visite, sans savoir que ma secrétaire avait vendu la mèche. Je supposais les idées lubriques qui se promenaient dans la tête de Pénélope, ce qui me faisait sourire, imaginant ses joyeuses soirées lorsqu’elle songeait à ma personne. Encore une fois, en pensée, je remerciais Claire du fond du cœur pour ce qu’elle avait produit au plus profond de moi.

Voilà ce qui en avait été avec mon homologue. Quant à Paul, il avait repris, lui aussi, son poste d’adjoint en septembre, la même semaine que Pénélope. Il m’avait communiqué des nouvelles d’Astrid qui était revenue avec lui à Paris pour un contrôle à la Pitié-Salpêtrière, repartant aussitôt pour Aix-en-Provence. Samedi dernier, il l’avait rejoint pour passer quelques jours avec elle et je n’avais plus qu’à attendre lundi prochain pour mettre la main sur ce dossier LOFAR dans lequel j’avais consigné des notes que j’espérais retrouver au plus vite.

Depuis son retour de Corse, vacances de la Toussaint obligent, Isabelle est en congés pour deux semaines, ce dont elle a réellement besoin. À quatre mois de grossesse déjà, ses souffrances pelviennes ont disparu et ses seins sont devenus plus volumineux et douloureux, ce dont elle se plaint. Je m’émerveille devant ce corps qui se transforme à chaque instant, ce qui me rend très soucieux.

À part ça, depuis que nous avons résolu le mystère de la femme brûlée vive, Isabelle n’avait plus jamais évoqué ce sujet, ce qui était salutaire en raison de son état actuel, notamment pour développer des pensées positives. De mon côté, j’avais cherché à glaner quelques renseignements à la Bibliothèque Nationale, département des manuscrits, mais également à celui des livres imprimés. Rien de concret n’en était sorti.

Chaque soir, je retrouvais Isabelle chez elle, rue de Navarre, afin d’être aux petits soins pour sa personne. Ce qui m’inquiétait, c’est que depuis quelques jours, je remarquais des changements importants dans son comportement qui comprenaient des sautes d’humeur, parfois ponctuées de pleurs, depuis sa dernière rencontre avec l’obstétricien.

Dans mon agenda, j’avais noté les dates de son congé maternité qui commencerait le vendredi 21 février 2014, l’accouchement étant prévu vers la fin mars et le retour théorique au lycée Janson de Sailly, première semaine de juin, sans compter les vacances qu’elle voulait prendre dans la foulée, ce qui porterait le redémarrage de son activité en septembre. En revanche, ce qui me dérangeait le plus dans l’histoire, c’est qu’elle envisageait de repartir en Corse, chez ses parents pour donner naissance à notre enfant.

En tout début d’après-midi, Pénélope vient me chercher comme c’était convenu afin que je l’accompagne jusqu’à la grande salle Cassini, située dans le bâtiment Perrault. Plusieurs congressistes sont déjà présents, dont certains de mes collègues des laboratoires de Grenoble et de Nançay, mais également Irène Jolibois qui se tient en retrait pour siroter une boisson. Tous espèrent que le président de l’Observatoire entame la session à l’heure. Juste après, un conférencier anglais doit nous briefer sur une anomalie constatée au sein de la galaxie Andromède. La salle est presque comble, mais deux sièges accolés au premier rang attirent notre attention. Nous prenons place. Pénélope en profite pour me demander si j’allais bientôt avoir l’occasion de retourner en Corse. J’allais lui répondre ma façon de penser lorsque Corinne surgit devant moi pour me tendre un bout de papier plié en quatre que je m’empresse de lire avant que la séance commence. Soudain, je me sens anéanti, donnant sur-le-champ la feuille à Pénélope. Je quitte la salle en coup de vent, fortement ébranlé d’apprendre que mon meilleur ami et adjoint Paul Mornas est décédé. J’avertis immédiatement le directeur de l’Observatoire et me sauve aussitôt pour contacter d’abord Astrid, puis Isabelle et Claire.

En larmes, Astrid me relate les circonstances de la mort de Paul : sur la route de Saint-Cannat à Salon-de-Provence, il s’était encastré contre un rocher après avoir percuté un platane en bordure de la chaussée. Le soir même, je rappelle Astrid qui m’informe que la célébration d’adieu aura lieu en l’église Saint-Jean-de-Malte à Aix-en-Provence et que demain, elle chercherait à me joindre pour me communiquer le jour et l’heure de la cérémonie. Il me resterait à prévenir ses collègues et amis.

[1] LOFAR (Low Frequency ARray) est un réseau constitué de 50 000 antennes déployées par grappes en Europe. Il existe une station française LOFAR de 1632 antennes, située à Nançay. LOFAR est capable de détecter les rayons cosmiques de haute énergie, d’observer les sursauts radio du Soleil, ainsi que les émissions radio des exoplanètes.

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