CHAPITRE 33 - William

8 minutes de lecture

Mercredi 26 mars 2014
7 h 58, rue Murillo, Paris 8e arrondissement


Un appel téléphonique de la mère d’Isabelle m’informe que bébé est né au centre hospitalier de Bastia à cinq heures trente-deux du matin et que le petit chérubin et sa maman vont bien. C’est donc un garçon qui portera, suivant l’ordre établi, les prénoms de « William Olivier Nicolas Éric », Nicolas étant celui de mon père et Éric celui du paternel d’Isabelle, apportant avec le mien placé au second rang une filiation symbolique. Je suis ravi de ce choix et entreprends d’emblée de réserver un billet pour Bastia.

Après avoir débarqué à l’aéroport, j’aperçois le Touran des parents Tuttavilla qui sont venus spécialement d’Abbazia pour me récupérer et m’emmener à la maternité, distante d’une bonne dizaine de kilomètres.

Dans sa chambre, Isabelle est heureuse de m’étreindre tout contre elle. Le temps est passé trop vite, beaucoup trop vite lorsqu’on réalise que nous ne nous étions plus revus depuis le Nouvel An. Je suis surpris d’être présent dans cette chambre d’hôpital et devant Isabelle qui m’apparaît totalement épanouie, resplendissante. Je l’embrasse. Il me semble qu’il émane de sa personne une sorte de pureté tranquille, sereine, indéfinissable. La blancheur de sa chemise de nuit renforce davantage cette impression.

— Tu me manques ! m’affirme-t-elle.

— Pareil pour moi, Isabelle. Je t’aime toujours autant même si nous n’avons pas eu l’occasion de nous retrouver plus fréquemment, ces derniers temps et tu en connais les raisons.

— Je suis désolée, Olivier. Tu souhaitais assister à la naissance, mais il était déjà trop tard pour te prévenir.

— Ne sois pas désolée, Isabelle. Je suis venu et c’est cela qui compte, même si j’aurais préféré être là, à tes côtés, au moment de l’arrivée de William.

Je jette un regard sur mon fils qui dort à poings fermés, ce qui ne dure pas puisqu’il se réveille parce qu’il a faim. Je n’ose même pas le prendre dans mes bras par peur de le blesser. Mais c’est Isabelle qui se lève aussitôt pour s’installer dans un fauteuil de repos, puis saisissant sa progéniture pour le positionner contre son sein, elle dégrafe son soutien-gorge d’allaitement pour nourrir l’enfant. Je découvre pour la première fois des petites lèvres goulues qui s’agrippent à l’aréole et cet instant de vie d’une grande beauté originelle m’émeut considérablement.

Pendant ce temps, Isabelle me livre que son paternel n’arrête pas de naviguer entre Bastia, Abbazia, et aussi Ajaccio en raison des projets immobiliers ou d’équipements communaux qui abondent depuis le début de l’année. En outre, j’apprends que Claire, qui depuis le premier janvier a rejoint l’hôpital de la Timone à Marseille, prendra un avion le week-end prochain pour venir lui rendre visite. Je lui explique que je lui téléphone régulièrement pour obtenir des nouvelles d’Astrid depuis la mort de Paul.

— Si Astrid peut s’en tirer, ce sera grâce à toi, Isabelle !

— Pourtant rien n’est encore gagné. Claire m’a confié qu’elle était en liste d’attente d’un greffon.

— Greffon ? On va donc lui transplanter un autre cœur !

— Tu as tout compris. La bonne nouvelle c’est qu’elle a été classée en priorité nationale ; il s’agit donc d’une patiente en super-urgence. Aussitôt qu’un donneur aura été repéré, Astrid sera immédiatement appelée par le service cardiologie de la Timone. Voilà pourquoi elle ne doit pas trop s’éloigner du secteur. Elle est donc consignée dans sa villa d’Aix-en-Provence.

— Finalement, ça me paraît logique. Je ne suis pas près de la revoir à Paris, Astrid.

William arrête la tétée avant de reprendre la mamelle goulûment.

Isabelle m’informe qu’elle envisage d’aller à Bully avec sa mère d’ici six semaines. Elle me précise que les poumons des bébés ne sont pas assez développés pour voyager en avion. Apparemment, cette histoire d’héritage, entre les sœurs Bohon de Secqueville et tous les ayants droit, n’est pas près d’être clôturée. Encore faudrait-il qu’Isabelle puisse assurer sa présence devant le notaire qui se trouvait à Rouen.

— Mon paternel a fait connaissance avec ton père au Mesnil-Peuvrel, m’annonce en riant Isabelle.

— Oui, j’ai appris ! Mais quelle épopée ! Il est parvenu à se libérer de ses affaires américaines pour passer une quinzaine de jours en France… Avec Mère, tout naturellement !

— Heureusement que tu étais en déplacement à Oxford durant leur périple. J’aurais bien voulu voir leur tête quand ils sont rentrés chez eux et qu’ils se sont aperçus des changements que tu avais opérés dans leur appartement pendant leur absence.

— En réalité, j’aurais souhaité être là aussi. C’est Léone qui m’a raconté la scène lorsqu’elle les a accueillis. Dès son arrivée, Mère est tombée sur le tableau sur lequel tu figures. Elle n’en revenait pas et du coup, elle m’a téléphoné alors que j’étais en pleine conférence…

— Ah ! Ton smartphone était chargé ? Cela m’étonne de toi !

— Oui !

— Je plaisante, Olivier !

— J’ai compris ! Je l’avais mis en charge dans la salle du congrès. À ce moment-là, j’ai dû interrompre ma petite causerie pour éteindre l’appareil. J’ai pu appeler ma mère une heure après. Ses premières paroles ont été : « Mais c’est quoi cette horreur ? » J’ai dû prendre mon temps pour lui expliquer que cette horreur avait pour prénom Isabelle et qu’elle sera l’heureuse maman de votre prochain petit-fils ou petite-fille qui est en route actuellement. « J’allais vous prévenir, Mère » lui ai-je rajouté. Je conçois qu’elle a dû reculer d’un pas ou deux, puis j’ai fini par lui annoncer que j’avais l’intention de t’épouser.

— Tu lui as dit carrément ?

— Mon désir n’est pas nouveau, Isabelle. J’y songe depuis belle lurette. Serais-tu d’accord ?

— Mais oui, Olivier !

— Je te propose qu’on en reparle au moins d’août lorsque je serai de retour en Corse pour les vacances d’été à venir. J’imagine qu’on aura un moment pour mettre au point ce projet auquel je n’arrête pas de penser.

— Et où fêtera-t-on cet évènement, mon petit Olivier ? En Corse, A Paris ? En Normandie ?

— Bully me semble l’endroit le plus indiqué, même si c’est Aurore qui solennisera la cérémonie civile, à condition qu’elle soit reconduite comme maire, après le résultat des élections municipales qui aura lieu dimanche prochain. Que ce soit l’abbé Anquetil qui célèbre la messe me convient parfaitement. Il faudra que je prévienne mes parents, suffisamment tôt, pour qu’ils réservent un avion. Pour en revenir à eux, lorsque je les ai retrouvés dans l’appartement à mon retour d’Oxford, j’ai précisé qu’Isabelle était la fille de l’architecte qu’ils s’apprêtaient à rencontrer au Mesnil-Peuvrel pour les travaux de rénovation.

C’est là qu’ils se sont regardés comme s’ils ne se connaissaient pas. Curieux moment de les voir ainsi, ce qui m’a fait rire.

— Ah ! Il n’avait pas encore fait la relation ?

— Bah non ! C’est vraiment étonnant de leur part. Du coup, nous sommes allés dans le grand salon pour nous verser un whisky et je leur ai mentionné ton histoire depuis que tu avais été mannequin. Après, ils ont changé d’avis sur le tableau qui avait, à partir de cet instant, toute sa place en face du portrait de l’oncle Alexandre qui, lui, n’avait pas la même opinion lorsqu’il est venu à la maison le lendemain.

— Et c’est là que tu as été excommunié !

— Presque !

— Surtout lorsque, par provocation, je lui ai montré la revue sur laquelle tu apparaissais presque dépoitraillée. Je te l’avais empruntée pour le faire sortir de ses gonds. J’ai présumé qu’il allait faire une attaque.

— Je crois que tu as réussi !

— De plus, il se souvenait de toi quand tu passais en boucle, au moment des spots publicitaires. Ce qui signifie qu’il ne fermait pas la télévision lorsqu’il était seul, chez lui... En fait, il ne se gênait pas pour regarder les jolies femmes, mais ça, je m’en doutais. L’hypocrite !

— Et madame, ta mère ? Qu’a-t-elle dit ?

— À ce moment-là, elle était dans la bibliothèque, en train de tout inspecter. Elle est ainsi, ratissant tout, effleurant son index sur les meubles, les cadres pour découvrir s’il y a de la poussière. Je te rassure, le bureau n’a rien. Forcément, je ne lui ai pas rapporté que le début de notre relation s’était déroulé sur ce précieux bureau, sinon elle serait tombée dans les pommes.

— Ça t’a visiblement marqué. Je ne regrette pas de t’avoir culbuté ce jour-là.

— Et la suite aussi ! Et l’agenda qui me poursuit depuis que Claire y fait constamment allusion. Ça me fait rire maintenant que je suis au fait que tu as tout raconté à ta meilleure copine. À présent, je suis presque devenu un intime pour elle et c’est réciproque.

— Pour Claire, au moment où je t’ai rencontré, il me fallait un moyen contraceptif, ce qui n’a pas suffi puisque tu avais tapé dans le mille dès notre premier moment de folie. Je devais être naïve ! Lorsque je suis allée rendre visite à Claire, elle n’avait pas lâché le morceau pour tout connaître de notre romance.

— C’est même gênant parfois ! En tout cas, le bureau de ma mère n’ébruitera pas notre secret. Tu dois savoir que je resterai muet comme une carpe concernant la dame blanche que tu as pu voir devant la petite chapelle du Mesnil-Peuvrel. De même, je n’évoquerais jamais qu’il existe une horloge jumelle, ce qui nous obligerait à dévoiler une histoire que nous préférons oublier. De toute façon, ce serait de trop pour eux.

— Olivier, tes parents sont-ils toujours en relation avec Aurore, au cas où elle aurait appris quelque chose par Gueule-de-Broc ? Tu penses bien qu’elle est au courant de tout ce qui se passe, comme tu as pu le comprendre !

— Pas que je sache. On est tranquille de ce côté-là.

— Maintenant, Isabelle, raconte-moi la rencontre au Mesnil-Peuvrel entre ton père et le mien, car il ne m’a rien expliqué à ce sujet. Il est peu causant.

— Apparemment, ils se sont bien entendus. La première chose qu’il a annoncée à mon paternel c’est : « j’ai d’abord fait connaissance avec votre fille Isabelle qui est en bonne place au-dessus de notre cheminée. Elle est très belle ! Félicitations ! Mon fils a informé sa mère qu’un mariage serait en vue et qu’un heureux évènement est prévu pour fin mars. Ce sera une naissance avant une union, mais il faut bien vivre avec son temps. Je suis bien content pour lui depuis que son Américaine l’a quitté pour entreprendre une autre vie à Houston ! »

— Ah ! Il a dit tout ça ! Il a une sacrée mémoire et il est capable de restituer toute une conversation avec les points et les virgules.

— Oui ! Et madame Mère n’a pas pipé mot.

— Effectivement, c’est étonnant de la part de ta mère. C’est rare !

— Après, ils ont fait le tour du Mesnil-Peuvrel pour régler les détails qui titillaient ton paternel. Il voulait même une piscine comme à Santa Monica, ce qui n’est pas réalisable. Mais je sais que le projet global est en bonne voie. Après ça, mes parents ont invité les tiens dans un restaurant de Rouen et chacun est parti de son côté.

— Bien, c’est une affaire qui roule et ça s’arrange pour nous, n’est-ce pas, Isabelle ?

— Je crois que ton paternel va revenir très vite pour s’installer de nouveau à Paris. Madame Mère est déjà ravie de retrouver son chez-elle et ses amies, mais lui préférerait alterner son existence entre l’appartement de la rue Murillo, le Mesnil-Peuvrel et Santa Monica.

— Parfait ! Je vivrais avec toi, rue de Navarre.

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