CHAPITRE 35 - Retouvailles

8 minutes de lecture

Vendredi 20 juin 2014 
22 h 32, rue Murillo, Paris 8e arrondissement


Dépité, je n’hésite pas à raccrocher au nez de mon père, cela bien malgré moi. Cela fait bien deux heures que je discute le bout de gras avec lui, alors qu’il tient à m’associer à son projet, m’obligeant même à y réfléchir pour plus tard, lorsque je serai à la retraite. Mince alors ! Pourquoi ne se rend-il pas compte du décalage horaire ? S’il est près de quatorze heures à Los Angeles, il est presque minuit ici.

Tout ce que Père vient de me rapporter, je le sais déjà de la bouche du paternel d’Isabelle qui m’en a tracé les grandes lignes, en y rajoutant les détails importants, et cela en une quinzaine de minutes. D’ailleurs, Éric Tuttavilla m’a aussi précisé qu’il avait envoyé à Père, début de semaine dernière, un volumineux courrier contenant des propositions nouvelles pour la modernisation et la rénovation totale du Mesnil-Peuvrel. Mon Dieu ! Je n’en peux plus de ces sollicitations inopinées, surtout lorsque j’ai beaucoup à faire comme en ce moment. Attrapant mon verre, je bois une gorgée d’eau, puis me lève du fauteuil pour saisir le magazine du mois de mai. Ce soir, mon très cher père m’a indéniablement barbé ! Mince alors !

En raison d’une réunion de dernière minute avec le président de l’Observatoire, je suis retourné à la maison, fort tardivement encore pour me remettre à la tâche. Depuis, je ne fais que ça : rechercher dans la bibliothèque des articles de presse pour les référencer dans un mémoire sans compter le papier que je dois produire pour la prochaine revue. Merde, merde, merde ! Si Corinne pouvait m’entendre en ce moment, elle n’en reviendrait pas, mais ce soir, mon père m’a bel et bien épuisé. De plus, je suis excédé par cet exercice fastidieux qui me contraint à effectuer quelques pauses durant lesquelles je m’efforce d’appeler Isabelle qui ne décroche toujours pas. À cette heure-là, elle devrait pourtant se trouver près de William ou de son ordinateur portable, prête à me répondre sur Skype. Je reprends mon travail fort agacé par cette lamentable veillée et ce tic-tac incessant qui m’irrite davantage, ce qui m’oblige à arrêter le balancier de l’horloge, espérant retrouver une paix royale, ce dont j’ai vraiment besoin en ce moment.

Il m’est tout aussi impossible de joindre Éliane et Éric Tuttavilla qui sont à Ajaccio pour l’inauguration d’une vaste opération immobilière au sein d’une « zone d’aménagement concerté », une ZAC comme ils disent. À cette heure-ci, je suppose qu’ils doivent bien s’amuser et ripailler en compagnie de Salvador Colonna, Jean Maillard, le fameux Robert et bien d’autres dans un restaurant plutôt chic. J’essaie encore une fois de contacter Isabelle, ce qui ne sert visiblement à rien, puisqu’elle ne répond toujours pas. D’ailleurs, maintenant, il se fait tard et je dois bien avouer que je n’en peux plus… tandis que mes paupières deviennent de plus en plus lourdes. Cependant, je dois tenir encore un peu pour jeter un œil sur ce dernier magazine avant d’aller m’étendre sur mon lit ou sur l'un des canapés du grand salon.

Le brouillard qui m’enveloppe soudainement me surprend, ainsi que Bernard, mon valet de ferme, qui prend aussitôt peur à la vue d’une cavalière, chevauchant dans notre direction. Elle s’arrête devant nous. À cause de son voile, je ne parviens pas à distinguer les traits de son visage qui prend forme peu à peu, tandis qu’elle descend de sa monture. Sans en comprendre la raison, je peux voir Bernard prendre ses jambes à son cou pour aller se cacher dans la grange. La mystérieuse cavalière, maintenant face à moi, semble me connaître, puis soulevant sa main, comme pour m’indiquer quelque chose, me montre l’entrée de la petite chapelle dont le porche s’ouvre par miracle. M’effleurant l’épaule pour m’inviter à…

Je sursaute, car quelqu’un m’a bel et bien touché l’épaule. Abusé par cette sensation bizarre, je consulte ma montre pour découvrir qu’il est presque minuit. Le regard dans le vague, je colle un post-it sur la page que je relirai demain, puis je range le magazine sur le bord du bureau, escomptant m’aliter sous peu, mais avant, je dois penser à recharger mon smartphone dont la batterie est faible. Au moment de brancher le câble d’alimentation, je constate qu’Isabelle est bien présente à mes côtés, tout près de l’horloge, ce qui me frappe de surprise.

— Isabelle ! m’étonné-je.

— Bon anniversaire, Olivier. Je tenais à être tout près de toi, et à minuit, l’heure du crime ! me susurre-t-elle. Embrasse-moi !

— Bon anniversaire, Isabelle ! Je n’anticipais pas à ta venue... j’ai essayé plusieurs fois de t’appeler. Tu es vraiment très forte sur ce coup-là !

— J’ai souhaité te surprendre en ce jour si particulier. Tu m’as beaucoup trop manqué !

Je la prends dans mes bras pour l’embrasser, demeurant sous le choc durant quelques secondes, car je n’espérais pas une visite aussi tardive. Ainsi, Isabelle a attendu l’heure de minuit pour me faire un sacré cadeau.

Lui caressant la joue, j’observe qu’elle a les larmes aux yeux, mais son sourire me rassure. Je relève qu’elle m’a fait l’honneur de porter sur elle la robe à vingt-neuf boutons historiés et qu’elle en a rajouté un autre, tout en bas, ce qu’elle tient à me montrer en effectuant un tour sur elle-même. Par ailleurs, ma satisfaction est à son comble, constatant qu’elle a aussi étrenné la parure de corail en partie, puisqu’elle arbore le bracelet et les remarquables boucles d’oreilles. Admiratif par l’effet que cela produit, je reste sidéré par la beauté d’Isabelle.

— Attends ! me dit-elle.

Après m’avoir témoigné un baiser sur la bouche avant de me délaisser, elle se retourne vers l’horloge, ouvre le portillon et donne une légère poussée au balancier pour lui restituer son mouvement, ce qui m’oblige à m’interroger.

Mais comment peut-il être déjà minuit alors que j’ai arrêté l’horloge vers onze heures, soit une demi-heure après l’appel de mon père ? Je ne comprends rien…

Je reprends peu à peu mes esprits, restant stupéfait par une présence à laquelle je ne m’attendais pas. Aussitôt, j’invite Isabelle à passer dans le grand salon pour lui faire découvrir la toile pour laquelle elle a posé. Entretemps, je m’apprête à la questionner, ce dont elle s’aperçoit puisque son index atterrit délicatement sur mes lèvres.

— Ce n’est plus le moment, Olivier ! Retrouvons-nous !

C’est à ce moment qu’Isabelle me saisit par le poignet. Ce geste a pour but de me faire réaliser qu’elle souhaite s’entretenir ardemment avec moi. Amusé, je la laisse me guider.

Comme je l’escompte, elle passe par le grand salon, stoppant un court instant devant le tableau représentant Freyja accompagnée de ses chats, puis s’arrête sur la photo de notre garçon qu’elle embrasse. Curieusement, elle ne commente pas l’effet que ça lui produit de se retrouver en portrait face à mon oncle Alexandre. Maintenant qu’Isabelle est à Paris, je présume que notre fils est gardé par la jeune étudiante que j’ai remarquée le jour de Noël. Dans mon for intérieur, je regrette l’absence de William qu’Isabelle aurait pu emmener avec elle. Il est encore petit et il n’aurait pas dérangé. On aurait pu aussi le coucher dans la chambre d’à côté. Tandis qu’Isabelle me tire par la main, je ne me sens pas capable de parler ou d’exprimer une réflexion, prenant conscience que la connexion ne s’établit pas entre quelques-uns de mes neurones.

Au pied de mon lit, Isabelle m’étreint tout contre elle. Ses larmes coulent abondamment contre sa joue, puis sur la mienne. Je la découvre cependant épanouie. Après lui avoir caressé le dos à travers le tissu, je tente de lui énoncer une simple question, mais, à nouveau, elle pose son index sur ma bouche pour m’enjoindre de me taire. « C’est le langage des sens qui doivent primer ! » va-t-elle encore me sortir. Je hume bien son odeur et les fragrances de son parfum habituel qui se conjuguent à celles du maquis. Dans la passion qui nous anime, comprenant la raison de sa disparition sur Skype, je me garde bien de lui poser une question saugrenue concernant son heure de départ de l’aéroport de Bastia. Là, je retrouve bien l’esprit d’Isabelle qui n’a pas hésité à faire plus d’un millier de kilomètres pour me surprendre une fois de plus.

Je la pousse sur le lit tandis qu’elle joint les paumes comme si elle sollicitait un désir ou souhaitait amorcer une prière.

— Alors, bon moine ! Heureux de me revoir ?

Je ne réponds pas, tandis qu’elle tombe à la renverse en riant. Aussitôt, je m’étale sur elle pour l’embrasser à la folie. Ma main recherche le trentième bouton du bas de sa robe que je détache. Puis je saisis ma belle amoureuse par les poignets, lui enjoignant de positionner ses bras en croix, ce qui est, après la prière, dans la logique des choses. Se trouvant à ma merci, c’est avec un sourire non dissimulé que j’entreprends de décrocher lentement, un à un, les vingt-neuf boutons qui vont la libérer de son profond émoi.

— Merci d’avoir pensé à porter ces boucles d’oreilles, elles te vont si bien ! chuchoté-je.

— En ton honneur, Olivier !

Je continue ma cérémonie, ouvrant sa robe en grand. Elle n’a pas enfilé de soutien-gorge, ce dont je me doutais bien, l’ayant remarqué alors qu’elle s’activait à restituer la bonne marche de l’horloge. Mon appétence soudaine me donne envie de savourer ses seins, puis je poursuis ma quête vers mon Graal en la privant de son précieux petit accessoire qui tombe sur le parquet. En raison de la dentelle reconnaissable, je m’aperçois qu’elle a choisi de mettre celui qu’elle avait osé enlever dans le musée d’Orsay.

Toujours cette imagination débordante, histoire de me rappeler des souvenirs impérissables.

Aujourd’hui, c’est moi l’inspecteur des douanes. Je confisque tous vos effets personnels, chère mademoiselle… Et comme je suis bon prince, je vais vous laisser que vos boucles d'oreilles... elles vous apportent un côté très sexy, car elles vous vont à merveille. Sachez qu’elles me plaisent beaucoup.

Son regard me bouleverse tandis qu’elle se met à genou sur le matelas pour libérer ma cravate qui glisse au-dessus de ma tête et qu’elle pose sur la table de chevet. Aussitôt, elle s’attaque à ma ceinture qu’elle retire avant de dégrafer mon pantalon, baissant la braguette pour tester mon état.

Le reste de mes vêtements tombe à terre, puis Isabelle s’allonge sur moi pour me tapisser de baisers.

Je suis infiniment heureux de ressentir sa chair contre la mienne et je l’embrasse passionnément, tandis qu’elle écarte ses jambes pour m’inviter à retrouver la saveur de son corps.

— Mademoiselle souhaiterait-elle que je la dévore comme un gâteau d’amour ? 

Isabelle me sourit et, en signe d’assentiment, opine du chef en de fortes inflexions.

En des gestes hiératiques, nous ressuscitons le langage de nos sens, recouvrant peu à peu les délices de nos désirs reconquis.

En ce jour d’anniversaire, Isabelle est maintenant à ma merci. Coincée sous mon torse, elle me porte un sourire triomphant et me signifie à la lecture de ses beaux yeux bleus qu’elle allait bientôt trouver l’extase qui la comblerait. Dans cette fureur de la posséder et de vivre, je lui mordille ses lobes d’oreille, me rendant compte qu’une de ses boucles s’est détachée pour glisser derrière le traversin.

Après nous être vénérés comme jamais, Isabelle s’étend à sa place avant de sombrer dans un profond sommeil.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire hervelaine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0