CHAPITRE 36 - Une impossible vérité

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Samedi 21 juin 2014
11 h 27, rue Murillo, Paris 8e arrondissement

Je me réveille, récupérant peu à peu mes esprits, tandis que je constate qu’Isabelle n’est plus à mes côtés.
Tiens ! Isabelle est déjà debout ! Elle doit être en train de se préparer ou d’ingurgiter son petit-déjeuner.

C’est au milieu d’un champ de bataille que je sors du lit, ne prenant même pas le temps de passer ma robe de chambre, ma préoccupation première étant de retrouver mon amoureuse pour le plaisir de l’embrasser et de la ressentir tout contre moi. Nu, j’ai beau parcourir chacune des pièces, la recherchant dans tous les coins, mais Isabelle n’est pas là et semble s’être absentée pour aller acheter quelques croissants.

En l’attendant, je pars pour aller me doucher, avant de m’habiller. Aussitôt fait, je vais dans le petit salon pour glisser un album du groupe Radiohead dans mon lecteur de CD-Rom, puis je sélectionne la chanson Creep dont les paroles me paraissent de circonstance pour cette journée si spéciale.

When you were here before, Couldn't look you in the eye, You're just like an angel,
Your skin makes me cry, You float like a feather, In a beautiful world,
I wish I was special, You're so…[1],

Au bout de cinq minutes, je quitte le petit salon pour aller récupérer mon smartphone afin de joindre Isabelle, espérant la retrouver au plus vite. Désabusé, je m’aperçois que j’ai omis de brancher l’appareil hier soir, la batterie étant presque à plat. Toutefois, je tente de le remettre en route, ce que je parviens à faire. Après avoir appuyé sur l’icône « téléphone », je constate que j’ai reçu un certain nombre d’appels et de SMS, bien plus que d’ordinaire. Comme l’année précédente, j’imagine que la famille, les amis et collègues, et même Pénélope se sont tous concertés pour souhaiter mon anniversaire. D’urgence, je consulte le journal de mon portable, ne repérant pas le prénom d’Isabelle parmi les dernières sollicitations de toutes natures. Je remarque celui de Claire qui a cherché, plusieurs fois, à me contacter et à me faire parvenir, en parallèle, une flopée de messages. J’y découvre de la même façon un SMS d’Éliane qui se perd à travers une multitude de correspondants. Malheureusement, la batterie du smartphone s’essouffle, me laissant sans possibilité de joindre Isabelle.

Et merde, j’aurais dû penser à le brancher !

Tandis que je pars dans ma chambre pour aller mettre mes chaussures, je relève que la valise d’Isabelle a bel et bien disparu ; ce qui commence sérieusement à m’inquiéter. Arpentant le couloir et les corridors, visitant chaque pièce, je constate qu’il n’y a aucun bagage en vue. Puis, cogitant davantage à la vue de la porte d’entrée que je regarde fixement, je réalise que je ne l’ai pas entendue s’ouvrir ni même perçu le cliquetis si caractéristique de la serrure qui aurait dû me faire émerger de mon assoupissement, hier soir. Que se passe-t-il et qu’a-t-elle fait de sa valise ?

De plus en plus Interrogatif, je regagne ma chambre, identifiant que mon lit est bien sens dessus dessous. Qu’ai-je donc bien pu faire cette nuit pour que les draps se retrouvent dans cet état ? Je suis certain de n’avoir pas rêvé : Isabelle était bien là, hier soir, et elle portait la robe bleue que je lui avais offerte. De plus, j’avais été heureux de découvrir les boucles d’oreilles et le bracelet sur elle. Maintenant, il faut bien que je me fasse une raison : Isabelle semble s’être évaporée.

Après plusieurs autres questionnements, je suis de plus en plus persuadé qu’Isabelle n’a pu franchir la porte d’entrée, toujours fermée à double tour, car si elle était vraiment partie, pour quelle motif aurait-elle pris la peine de verrouiller cette porte après avoir quitté l'appartement ? À moins que sans m’en aviser, elle soit allée chez elle en prenant sa valise !

Après quelques secondes de réflexion, je récupère ma veste pour sortir. Aussitôt parvenu dans la rue, je la parcours dans les deux sens, avant de me diriger vers la boulangerie. Personne ! Après être retourné vers mon immeuble, il me vient à l’esprit que je devrais peut-être aller faire un tour dans le parc Monceau dont j’arpente les sentiers plusieurs fois, repérant les endroits où nous avions partagé maints baisers. Dépité, je rentre à la maison pour me saisir de mon smartphone qui laisse véritablement à désirer. Je jure de le changer au plus vite. Rapidement, je parviens à le remettre en marche. Aussitôt, j’intercepte Claire qui m’appelle pour me souhaiter mon anniversaire.

Et ça, je n’allais pas y couper de la journée.

Je décroche. Claire est en pleurs et elle n’arrive pas à articuler un seul mot.

— Claire ! Que se passe-t-il ?

— Oliv…

— Quoi ?

Un long silence s’impose, tandis que Claire essaie de se reprendre.

— Isabelle est morte !

— Quoi ?

— C’est impossible !

— Si ! Elle a eu un accident de voiture en Corse.

— Ce n’est pas possible ! Tu me racontes des blagues, elle…

Voilà que mon smartphone recommence à faire des siennes. Un bogue et la communication qui disparaît. Je tente de rallumer l’appareil, puis j’appuie sur l’écran. Je retrouve enfin Claire, qui semble s’être calmée.

— Pardonne-moi, Claire. Que se passe-t-il ? lui demandé-je, entre deux sanglots.

— Isabelle est décédée. La voiture est tombée dans un ravin…

— Que me racontes-tu ? Quelle voiture ?

— La voiture d’un cousin de Letizia Colonna… Elle s’est encastrée dans un parapet avant de s’écraser sur les rochers, là où coule le Fiumorbo.

— C’est impossible ce que tu me rapportes ! Impossible ! Et tu dois me croire, Claire ! Là, elle doit être chez elle…

— Pourquoi m’affirmes-tu que ce n’est pas possible ? Ses parents ont été reconnaître son corps et c’est bien elle. Isabelle est morte et bien morte...

— C’est probablement une jumelle ou un sosie. Fais-moi confiance !

— Mon Dieu, Olivier, tu vas trop loin ! La longue robe bleue et fleurie qu’elle portait, c’était bien toi qui lui avais offerte, non ?

Soudainement, je réalise que Claire évoque bien Isabelle. Je pleure ! De grosses larmes ruissellent sur mes joues. S’impose un silence. Je parviens à me ressaisir.

— Maintenant, je te crois, Claire, mais j’ai vraiment du mal à l’avaler.

— Je suis comme toi, Olivier. Moi aussi, je chiale ma meilleure amie et je n’arrive toujours pas à imaginer qu’elle soit morte.

— Peux-tu me raconter les circonstances de ce qui s’est passé ?

— Elle était dans la voiture d’un cousin de Letizia : Pascal. Isabelle me l’avait présenté une fois. C’est lui qui conduisait. Allait-il trop vite ? Il connaissait pourtant ce secteur en raison de son activité commerciale. Son auto a percuté le parapet et elle est tombée dans le ravin.

— C’est le défilé de l’Inzecca ! Nous avions déjà pris cette route en revenant de Ghisoni ! dis-je.

— Effectivement ! Maintenant, je me souviens de ce nom !

— À quel endroit ?

— Après ou avant le tunnel, à proximité d’un barrage, mais je n’en suis pas certaine.

— Je pense savoir où c’est. Ce serait la zone où Isabelle a eu une attitude étrange lorsque nous avions traversé ce défilé au cours des dernières vacances d’été.

— C’est le hasard, Olivier. Ne t’accroche pas à ça…

— Et ensuite, que s’est-il passé ?

— Les secours sont arrivés rapidement de Ghisonaccia. Le cousin de Letizia était dans un sale état. Il a affirmé aux pompiers qu’il n’a pas compris la raison de l’accident, car il emprunte cette route régulièrement. Il s’en tire avec les jambes cass…

— Et pour Isabelle ?

— Pour Isabelle, son cœur battait. Apparemment, elle n’avait rien, mais elle était inconsciente. Dans le doute, une ambulance l’a transportée à Ghisoni… C’était le lieu le plus proche pour faire atterrir un hélicoptère du SAMU. Il avait été dépêché pour récupérer les deux blessés.

— Comment es-tu au fait de tout cela ?

— Par Éliane, bien sûr !

— Continue Claire, j’ai besoin de tout savoir.

— J’ai téléphoné au service des urgences de Bastia. Je ne connaissais personne là-bas. Au départ, ils ont contrôlé mon identité.

— Et pour Isabelle ?

— Lorsqu’elle est parvenue au centre hospitalier, ils ont d’abord vérifié les constantes et se sont aperçus qu’elle alternait entre différentes phases sur le score de Glasgow pour terminer sur le stade 3.

— Qu’est-ce que cela signifie au juste ?

— Qu’elle était dans le coma, un coma dépassé !

— Un coma ? Mais comment se fait-il ?

— Elle avait reçu un coup violent au crâne. Le médecin présent sur place avait un doute et a fait appeler un hélicoptère du SAMU qui est arrivé rapidement sur site. Après sa période d’inconscience, elle avait repris connaissance durant son transport, réagissant aux divers stimuli, puis elle est retombée dans son état initial en approchant de Bastia.

— Il n’y avait pas d’airbags dans cette voiture ?

— Bien évidemment qu’il y en avait !

— En tout cas, elle a été prise en charge immédiatement. Je ne peux pas te rapporter tout ce qui a été fait, ce serait trop long à t’expliquer. Ce que je peux te dire, c’est que son électro-encéphalogramme était plat. Tout de suite, le service des urgences a joint Éric et Éliane qui sont parvenus au plus vite au centre hospitalier, alors qu’ils étaient en cours d’inauguration. Mais ils avaient déjà été prévenus par Letizia qui s’était étonnée de l’agitation qui commençait à se faire sentir à Ghisoni. C’est comme ça qu’elle a su que son cousin avait eu un accident.

— Mais William ? Où était William ?

— Ah ! Isabelle l’avait préalablement déposé chez Letizia et ses parents devaient le récupérer plus tard, le lendemain en réalité.

— À quelle heure cela s’est-il passé ?

— Elle est partie de Ghisoni pour l’aéroport vers quatorze heures avec le cousin, et l’accident a eu lieu un quart d’heure après à proximité du barrage.

— Elle allait à l’aéroport ? Mais pour quelle raison ? Je ne comprends pas.

— Elle se rendait à Paris pour te faire une surprise, voilà ! Tu sais tout, maintenant.

Je suis interloqué par cette réponse qui m’oblige à davantage d’interrogations par rapport à ce qui s’est déroulé cette nuit. Je reste muet comme une carpe. J’essaie de reprendre le fil de la discussion.

— Tu as pu contacter Éliane et Éric ?

— Oui ! Un médecin coordinateur des prélèvements d’organes et de tissus s’est déjà entretenu avec eux… au cas où… Officiellement, elle n’est pas encore décédée, mais ses parents ont été immédiatement d’accord pour sauver d’autres vies.

— Mon Dieu !

[1] Quand tu étais ici, avant, je ne pouvais pas te regarder dans les yeux, tu es pareil qu’un ange,
Ta peau me fait pleurer, tu flottes comme une plume, dans un monde merveilleux,
Et je voudrais être spécial, tu es tellement…

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