CHAPITRE 38 - Un objet qui devrait se trouver ailleurs

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Samedi 28 juin 2014
10 h 58, porte de Clichy, Paris 17e arrondissement


À la gare de Marseille-Saint-Charles, c’est le TGV de 6 h 59 qui avait eu ma préférence pour une arrivée à Paris, gare de Lyon, à 10 h 17. Ensuite la ligne de métro automatique 14 m’avait permis de débarquer Porte de Clichy où Olivier guettait ma venue. Raisonnablement, je ne pouvais l’obliger à faire un détour pour aller me chercher en plein Paris, comme cela avait été planifié initialement.

À l’angle du boulevard Berthier et de l’avenue de Clichy, près de la station de métro, j’attends Olivier sur le trottoir, ma valise bien serrée entre mes jambes, ayant déjà prévu de coucher à l’hôtel si jamais nous devions rentrer tardivement. Après avoir récupéré la voiture près de chez lui, Olivier m’a envoyé aussitôt un SMS pour me signaler la couleur de la Clio, louée pour la journée. Satisfaite d’apercevoir un véhicule de même type qui semblait s’arrêter à ma hauteur, je m'oblige à identifier le conducteur avant d’enfourner ma valise dans le coffre, lui évitant de sortir de l’habitacle. Prenant le temps de l’embrasser alors qu’une Audi nous fait des appels de phare, je constate qu’Olivier est habillé comme un ministre et qu’il a peu dormi. Je remarque également qu’il possède un nouveau téléphone, le même que le mien, et qu’il s’en sert comme GPS pour entreprendre le trajet Paris-Bully.

Après notre départ, le silence s’impose naturellement jusqu’à la gare de péage de Buchelay. Dès son franchissement, nous évoquons la mémoire d’Isabelle qui nous manque beaucoup. Après un arrêt sur l’aire d’autoroute de Villeneuve-en-Chevrie, Olivier amorce un long monologue, bavardant de choses et d’autres, tout en me confiant qu’Isabelle et lui n’étaient pas tombés amoureux par hasard et que cette rencontre, audacieuse au départ, semblait avoir été programmée par une force invisible provenant d’il ne savait où. C’est à cet instant qu’il commence sérieusement à m’inquiéter, car je constate qu’il ne me parle pas, mais déparle.

Avec Olivier, je dois m’attendre à tout, car tout ce qu’il est en train de me débiter vaut son pesant d’or. Voilà qu’il entame un exposé sur une certaine « Vanessa », une jeune infirmière, dont l’existence ne me dit absolument rien. Devant mon visage qui extériorise le scepticisme, il me soutient mordicus que le prénom de cette personne avait été exprimé après qu'il soit revenu à lui, au cours de son deuxième malaise. Peut-être que cette révélation s'était produite pendant que je me dépêchais d’aller récupérer le défibrillateur cardiaque à la ferme des Roys. De toute évidence, en raison de ma disparition momentanée, je n’avais pas pu entendre les quelques bribes de cette conversation, ce qui m’aurait autorisée à comprendre ce qu’il est justement en train de m’éclaircir. Puis, il a embrayé sur une expérience de mort imminente dont il ne m’en avait jamais dit un mot, ce qui m’a obligée à opérer un léger recul sur mon siège. S’en apercevant, il m’explique qu’il a ressenti la présence de Vanessa pendant qu’il était ailleurs, n'ayant pu découvrir où au juste. Sans lui parler, comme par une sorte de télépathie, elle lui avait précisé l’endroit où était située sa propre tombe.

Honnêtement, je l’écoute et je ne sais plus où je dois me mettre tellement son histoire commence à me faire peur, ce qui ne l’empêche pas de persévérer à me raconter le fin fond de son voyage extraordinaire. Ainsi, au mois de juillet dernier, avant son départ pour la Corse, il s’était rendu au cimetière de Saint-Ouen pour vérifier l’existence de la sépulture de cette infirmière, ce qui avait été le cas, m’affirme-t-il. De plus, continue-t-il, il avait eu l’audace de photographier le monument funéraire, dont le portrait de la défunte, qu’il avait aussitôt envoyés par SMS à Isabelle afin qu’elle n’ait aucun doute sur le phénomène qu’il avait vécu durant cette expérience de mort imminente. Mais pour quelle raison, ma meilleure amie ne m’avait-elle pas avisée de cette chose étrange avec moi qui était sa plus proche copine ? Dans tous mes états, je lui demande de m’arrêter à l’aire suivante, prétextant une envie urgente, mais ayant surtout besoin de récupérer mes esprits. Au bout de cinq minutes, je remonte en voiture, inquiète de la suite.

Finalement, Olivier m’avait conté un récit de dingue auquel aucune personne saine d’esprit ne pouvait avaler sans passer par la case asile psychiatrique. C’est là qu’il avait repris sur un autre sujet, enfonçant le clou puisqu’il me confessait qu’Isabelle et lui portaient un très lourd secret, m’explicitant qu’ils étaient cousins au énième degré, ce que j’avais capté après avoir écouté Éliane qui avait lâché le scoop au moment où elle avait sorti les papiers de famille qui se trouvaient en sa possession à Abbazia. De plus, Olivier avait planté le clou beaucoup plus loin, tentant de m’expliquer que les visions d’Isabelle, ainsi que les siennes, lui avaient permis de découvrir les dessous d’une page d’histoire ancienne, cela grâce à cette expérience de mort imminente, une EMI comme il se plaisait à le dire. Dès lors, j’avais fini par accrocher les wagons, étant donné qu’il m’avait narré, déjà, l’année dernière, les hallucinations qu’il avait vécues, au cours d’un épisode relatif à la Révolution française, ce qui voudrait signifier qu’il aurait eu, presque coup sur coup, deux expérimentations de cette nature, ce qui me paraissait infondé, mais j’avais entendu parler de pareils cas dans notre service cardiologie. D’ailleurs, un éminent confrère néerlandais, le docteur Pim van Lommel, venait de publier une importante étude sur ce sujet.

Durant tout le trajet, le moulin à paroles, tout à côté de moi, avait réussi à me sortir tout ce qui lui passait par la tête. J’étais tout ouïe alors qu’il me développait tout l’historique d’une épopée moyenâgeuse, à la fois cruelle, anecdotique et incroyable qui s’achevait avec ce que l’abbé Anquetil lui avait révélé : le patronyme Tuttavilla était d’origine italienne, mais résultait d’un nom bien normand, celui d’Estouteville. Ainsi, Isabelle était la descendante en ligne directe de Guillaume d’Estouteville, l’archevêque de Rouen, celui qui avait été l’artisan principal du supplice atroce d’Alix Malet de Graville. J’avoue que j’aurais dû prendre des notes en écoutant ce fatras verbal indescriptible qui m’en avait fait écarter du latin. Le pompon final, je me le donne en mille, ce fut de me déclarer qu’il avait ressenti de la peur pour Isabelle, une peur viscérale, celle qu’il lui arrive quelque chose de grave après tout ce qu’il avait retenu, provenant de la bouche de l’abbé Anquetil. Surpris de mon étonnement, il avait continué m’expliquant qu’Isabelle avait été victime d’une malédiction surgissant de la nuit des temps.

Au cours de ce bavardage à une seule voix, j’apprends que, durant ces deux jours passés en Corse, il s’est recueilli devant la dépouille d’Isabelle, avant de se rendre à l’accueil pour connaître le numéro de chambre de Pascal Paoli, le conducteur de l’automobile accidenté. Ce dernier, bien amoché, avait exprimé ses profonds regrets pour le décès d’une personne qu’il admirait, jurant sur sa mère que la direction de la voiture s’était immobilisée sans en saisir la raison. C’est ainsi qu’il avait perdu la maîtrise de l’Audi, laquelle avait percuté le muret pour chuter ensuite dans le ravin. Les airbags semblaient avoir fonctionné. Malheureusement la tête d’Isabelle avait cogné très fort sur le longeron droit vertical de l’habitacle, ce qui avait provoqué un traumatisme crânien au niveau de l’os pariétal, la cause principale de son inconscience diagnostiquée par le médecin arrivé sur place. À Ghisoni, Olivier s’était aussi rendu dans le garage où était entreposée l’Audi endommagée pour essayer de reconstituer le drame, constatant que l’avant gauche du véhicule avait été bien défoncé. Puis, il était allé sur le lieu de l’accident pour comprendre le scénario qui s’était joué. Tandis qu’il m’en effectuait un récit détaillé, je visualisais la scène au cours de laquelle l’Audi tombait, vrillant par la suite pour s’abîmer du côté conducteur. Restée dans le silence, j’en savais désormais davantage sur les circonstances de ce qui avait coûté la vie à Isabelle, me taisant définitivement après toutes ces révélations.

Après un interminable calme dans l’habitacle, tandis que nous abordions la sortie de la A28 pour récupérer la D928 en direction de Neufchâtel-en-Bray, Olivier m’avait demandé si j’avais des nouvelles d’Astrid, car il ne parvenait pas à la joindre pour l’instruire de la mort d’Isabelle. J’avais anticipé bien des questions, sauf celle-là. Évasive, je lui ai formulé qu’elle avait probablement eu envie de retrouver sa famille au Havre et qu’elle était vraisemblablement partie là-bas. « Ne devait-elle pas rester à Aix en espérant une greffe ? Elle pourrait au moins répondre lorsqu’on l’appelle ! » m’avait-il déclaré.

C’est à treize heures trente que nous étions parvenus au hameau des Brumes où Éric et Éliane nous attendaient pour déjeuner sur le pouce. Un poulet et des pommes de terre sautées avaient suffi pour nous rassasier alors que nous n’avions réellement pas faim. Éliane en avait profité pour présenter à Olivier des photos récentes de William, actuellement gardé par Letizia, l’épouse de Baptiste Colonna que j’avais plusieurs fois rencontrée.

Du moulin, Éric et Éliane Tuttavilla nous avaient embarqués dans une automobile hybride portant un logo japonais que je ne connaissais pas, mais peu importe. En approchant dans le centre du village, j’avais pu voir le fourgon funéraire manœuvrer afin que l’arrière du véhicule soit bien face au porche de l’église. À la vue de ce qui allait se préparer, j’avais senti la main d’Olivier se crisper alors qu’il s’était emparé de la mienne pour la presser très fort. Il y avait déjà pas mal de voitures qui étaient garées en épi sur le parking. Éric avait préféré se mettre à l’écart pour qu’on ne se retrouve pas au milieu de quelques individus qu’il n’appréciait pas et qui assuraient leur présence dans l’unique but de se faire remarquer. J’ignorais de qui il s’agissait, mais lui seul pouvait le savoir.

Le hayon du corbillard était levé. Le maître des cérémonies avait effectué un signe discret au personnel des pompes funèbres qui s’était d’abord incliné en signe d’hommage avant de se saisir du cercueil, le portant sur l’épaule et marchant d’un pas cadencé pour aller le placer à la croisée du transept sur une sorte de catafalque improvisé constitué de tréteaux.

Olivier m’entraîne par le poignet pour suivre le cortège et m’invite à m’installer dans la première rangée. Nous restons debout quelques instants avant de nous asseoir. Sur la bière, deux cachets de cire sont apposés ; celui de la mairie de Bastia et les scellés posés par l’entreprise chargée du convoyage jusqu’à Neufchâtel-en-Bray, ce que j’ai eu le temps de distinguer sur le cercueil, avant qu’il ne soit recouvert d’un drap mortuaire de couleur blanche.

À ce moment-là, je me suis souvenue qu’Olivier s’était envolé pour Bastia afin d’assister à la mise en bière au cours de laquelle il avait disposé plusieurs tirages photographiques, dont plusieurs de William. En outre, il avait rajouté celui du tableau sur lequel Isabelle incarnait Freyja. À propos de ce peintre, j’ai beau regarder parmi l’auditoire, il ne semble pas présent. Bien entendu, j’ai remercié Olivier de s’être rendu dans l’appartement d’Isabelle pour aller récupérer l’un des clichés sur lequel j’apparaissais dans un haras en compagnie de ma meilleure amie, résultat d’un mitraillage en règle opéré par un journaliste d’une revue people : je sais désormais qu’une copie de ce cliché, qui m’était cher, sera consignée à jamais dans ce cercueil de chêne. C’est maintenant moi qui comprime très fort la main d’Olivier en pleurant. Sortant de la sacristie, le père Anquetil fait son irruption. Presque à nos pieds, les bouquets, gerbes et couronnes se sont entassés jusqu’à ce que le maître de cérémonie qui lisse le drap mortuaire ordonne à un employé de retourner vers le porche pour y déposer les deux raquettes fleuries qu’il était en train d’amener. Ses semblables, qui suivent, ont compris le message et repartent dans l’autre sens, tandis que famille, proches, amis et voisins commencent à prendre place sur les bancs de l’église.

Le maître de cérémonie est revenu, portant un imposant trépied qu’il installe près du cercueil, puis il ressurgit pour y placer une grande photo dissimulée par un linge blanc retombant en cascade. Étant à l’origine de cette idée, je n’ignore pas que cette magnifique épreuve, prise par un chasseur d’images de renom, dont je ne me souviens pas de son identité, sera révélée à l’assistance pour laisser apparaître Isabelle défilant dans toute sa splendeur à New York.

Je repère l’abbé Anquetil qui sort de la sacristie pour s’avancer vers le chevalet. J’imagine qu’il devine ce que symbolise ce cliché, car il semble dévasté par la situation présente et regarde Olivier qui lui fait un discret signe de la tête. Après avoir effectué une génuflexion, le prêtre retire le voile recouvrant l’imposant portrait. Puis Éric et Éliane Tuttavilla se rapprochent de nous après avoir bavardé avec Béatrice qui est venue en Normandie avec son fils Joonas. Tous les quatre se sont placés à droite, alors que Olivier et moi sommes assis à gauche. J’avoue que je n’y connais rien au protocole, tandis qu’Éric, d’un geste, nous prie de rester là où on était. Incidemment, je me tourne vers mon compagnon d’infortune et j’identifie que des gouttes jaillissent de ses yeux. À cet instant, je vois une main gantée se poser sur son épaule. Tout le reste de ma vie, je me remémorerai de ce moment où il découvre le visage d’Aurore qui a manifesté sa présence, ce qui était naturel en soi. Immédiatement, ils sont tombés dans les bras l’un de l’autre. J’ai assisté en direct à un très beau moment de réconciliation et ce fut très fort, car j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. De même, je me souviendrai toujours de la tête des parents Tuttavilla qui ne comprenaient pas la scène qui s’était jouée devant eux. Plus tard, je m’engagerai à leur expliquer, avec tact toutefois, qu’Olivier et madame de Marescourt avaient vécu une histoire d’amour et qu’Isabelle en avait été au fait et qu’elle s’en était amusée. « C’est pour l’émission Surprise sur prise ? » ne manque pas de me souffler dans l’oreille Éric Tuttavilla qui a traversé l’allée pour se camper devant moi. Avant que l’abbé Anquetil commence la cérémonie, je me suis retournée pour me rendre compte de l’importance de l’assemblée. Assis à petite distance d’Aurore, je reconnais bien évidemment le ministre de la Culture, Jean Maillard, plusieurs fois croisé à Abbazia, dont la présence m’a toujours obligée à passer un peignoir pour aller dans la salle de bains, ce qui faisait rire Isabelle. Jean Maillard est donc venu avec sa conjointe Catherine, ainsi que Robert qui présente un visage rempli de tristesse. Tiens ! Jean Maillard a changé de place pour aller discuter avec Aurore qui, par opportunisme, s’était exposée à lui après l’avoir accueilli. Ah ! Olaf a quand même effectué le voyage jusqu’ici. Probablement était-il en France lorsqu’il a appris ce qui s’était passé par la presse ? À deux rangs derrière moi se trouve Ségolène qui porte un élégant chapeau qu’elle a dû débusquer dans une vieille armoire. Elle est à côté de Gueule-de-Broc qui a présenté son époux au ministre de la Culture, ce qui a immédiatement amusé Olivier qui regrette déjà son écart de conduite. Plus loin se tiennent Benjamin et Delphine Debeaulieu. L’église est déjà pleine et je ne peux voir tout ce monde qui s’agglutine jusqu’aux déambulatoires.

La cérémonie commence, tandis que je peux observer Olivier écluser ses larmes.


La fin de la messe funèbre est proche. C’est là que j’entends les premières notes découpées dans le silence de Nuvole Bianche. Cet égrènement de gammes et d’accords me subjugue tandis qu’Olivier me saisit encore une fois la main pour la serrer très fort. Je viens de comprendre la raison de cette page musicale, Ségolène m’ayant narré cet épisode du temps où Charles Bohon était encore en vie : les larmes aux eux, elle m’avait décrit la scène au cours de laquelle Isabelle s’était assise au piano pour interpréter l’adagio de la sonate au Clair de Lune de Beethoven, et c’est juste après qu’Olivier avait pris place pour jouer ce morceau assez difficile à exécuter ; Nuvole Bianche de Ludovico Einaudi. Comble de l’ironie, c’est Aurore, dont je sens la présence derrière moi, qui lui avait transmis la partition par l’intermédiaire d’Alexandre Romé, cela quelques années après leur rupture. N’y tenant plus, je me retourne à l’improviste pour la voir pleurer abondamment. Là encore, comble de l’inconvenance, elle tombe dans les bras d’Olivier pour le remercier d’avoir fait découvrir à l’assistance cet extrait du répertoire d’Einaudi. C’est en jetant un regard du côté de son époux, monsieur de Marescourt, que je m’aperçois que, comme au casino, rien n’allait plus. Rien qu’à remarquer la physionomie du bonhomme, je crains qu’il ait compris que des choses pas très catholiques s’étaient passées entre ces deux-là. D’ailleurs, l’abbé Anquetil manqua de trébucher en descendant une marche. Quant au choix musical, il était dû à Éliane qui avait entendu sa fille le jouer en boucle ces derniers temps.

Tandis que nous sortons de l’église, Olivier ne parvient pas à me quitter d’une semelle. Je crois bien que je lui rappelle, pour plusieurs raisons, sa tendre fiancée, terme qui fut abondamment évoqué par l’abbé Anquetil durant son sermon. Encore une fois, je parcours Olivier des yeux et je me rends compte que son désespoir est immense.

Sur le parking, chacun se congratule dans le silence. Olivier me présente sa secrétaire Corinne, puis Pénélope, son homologue, celle qui fut surnommée « Pénélope la salope » par Isabelle, ce qui m’amuse d’autant plus que cette femme était présente sur la plage de Bagheera lorsque Olivier s’était carrément lâché en notre compagnie. Dès lors, je n’ignore plus que l’idée fixe de cette demoiselle est de mettre le grappin sur lui, depuis qu’elle a appris le décès de l’ancien mannequin et compagne d’Olivier.

Quelle opportuniste, ça me dégoûte de la voir se dandiner ainsi parmi nous ! Et Corinne qui ne cesse pas de me dévisager… Eh oui, c’est moi qui étais aussi sur la plage…

Un homme fend la foule pour s’exposer à Olivier, cherchant à lui témoigner l’expression de toutes ses condoléances. Olivier semble très touché par cette marque de sympathie, car je crois savoir qu’il s’agit du président de l’Observatoire qui s’est déplacé en personne. Maintenant, c’est encore Aurore qui revient à la charge, le prenant à l’écart pour lui parler. Elle pleure, lui aussi. Elle l’enlace devant son époux et ses enfants qui sont médusés par ce qu’ils découvrent. Personne dans l’assistance ne développe ce qui se produit, tandis que Gueule-de-Broc ne s’étonne pas de l’attitude de madame la comtesse à son égard, déclarant une de ces sorties que je garderai à jamais dans ma mémoire : « Je vous l’avais bien dit que madame la comtesse lui avait appris le catéchisme ! »

L’autre partie de la cérémonie se déroule dans le cimetière, là où Isabelle reposerait désormais. C’est en nous dirigeant vers le moulin que les Tuttavilla nous demandent de rester en leur compagnie pour y passer la nuit, ce que je refuse catégoriquement, ayant besoin d’être à Marseille, demain en fin d’après-midi, afin d’assurer ma présence à la Timone pour une opération délicate. Je me rends vite compte que le planning ne se débobine pas comme prévu, Éliane ayant communiqué à Olivier un mince dossier, copie du sien, comprenant tous les articles de presse relatifs à la mort subite d’Isabelle. Après en avoir lu un, il me le refile pour que je puisse le parcourir à mon tour.

Disparition de l’ancien mannequin Isabelle Bohon.

Isabelle Bohon qui avait fait sensation dans les années 2001 à 2003 sur les podiums pour son incomparable sourire est décédée d’un dramatique accident de la route en Corse. Le véhicule, une Audi A4, a quitté la chaussée pour se précipiter dans le ravin du défilé de l’Inzecca. Le pronostic vital de l’ancien mannequin avait été engagé lors de son transport par hélicoptère à l’hôpital de Bastia. Quant au conducteur dont l’identité n’a pas été révélée, il se trouve actuellement dans un état stationnaire. Isabelle Bohon était mère d’un enfant et la compagne de l’astrophysicien Olivier Prevel qu’elle devait épouser prochainement selon son entourage.

Finalement, Olivier stoppe sa lecture, car il déchiffre que je suis bel et bien pressée et que je dois prendre un train demain matin pour Marseille. Nous saluons les Tuttavilla, les remercions et leur promettons de nous revoir très vite tandis qu’Éliane m’enjoint de revenir en Corse, précisant que la villa me serait toujours grande ouverte. Même chose pour Olivier qui souhaite retrouver son fils plus fréquemment pour le regarder grandir. Mais quelle solution a-t-il pour élever cet enfant, alors que Père et Mère, comme il les cite souvent, vivent à Los Angeles et que son oncle Alexandre est voué, en totalité, à son sacerdoce ? Le diagnostic est facile à faire : Olivier n’a qu’une seule porte de sortie, celle de recouvrer un identique amour, tel que celui qu’Isabelle lui avait offert. Mais ça, cela lui sera difficile, voire impossible. Je le sais pertinemment.

Aux abords de Paris, alors qu’il est déjà tard, je demande à Olivier de me déposer dans le quartier de la Madeleine pour que je puisse y trouver un hôtel pour la nuit. Il ne me répond pas, restant confiné dans le silence, et cela jusqu’au métro Malesherbes où il me fait cette étonnante proposition, ce qui me surprend de sa part, puisqu’il me suggère de venir dormir dans l’appartement de ses parents que je ne connais pas encore.

Je sens à l’avance que ça va être du lourd, mais j’accepte volontiers son initiative. Auparavant, il m’invite dans une pizzeria proche de chez lui après avoir garé la Clio auprès de son loueur de voitures.

C’est à vingt-deux heures que je pénètre à l’intérieur de son logis pour la première fois. Immédiatement, je suis estomaquée par le luxe qui s’y cache, mais je savais déjà de la bouche d’Isabelle qu’il se désintéresse de toute cette richesse qui m’éblouit les yeux. Il profite de son déplacement vers le grand salon pour me faire admirer le tableau d’Isabelle, trônant au-dessus de la tablette horizontale de la cheminée en marbre blanc. Exposée à cet endroit, mon amie paraît défier le portrait de l’oncle Alexandre, situé tout en face. À côté du grand salon, à travers les portes vitrées ouvertes, je distingue une vaste salle qui sert de bibliothèque et juste après une pièce plus petite qui semble être une sorte de local de travail à la vue des papiers épars qui jonchent le sol. Il m’invite à m’y rendre. C’est là que je découvre l’horloge qu’Isabelle m’avait si bien décrite avec cette colombe qui s’envolait à droite. Penser qu’elle s’était extasiée ici, entraînant par voie de conséquence une belle histoire d’amour, m’émeut. Regagnant le grand salon en passant par la bibliothèque, je visionne le magnifique bureau ouvragé, tout marqueté de bois précieux.

— C’est donc sur ce fameux bureau que tout a commencé ! lui murmuré-je en souriant.

— Oui, me répond-il tandis qu’il m’exhorte à prendre le long couloir qui mène aux chambres.

— Impressionnant chez toi. C’est rare des appartements comme ça ! Et le mobilier aussi d’ailleurs.

— Il y a beaucoup mieux dans Paris, je te l’assure. Claire, j’ai quand même un problème auquel je n’ai pas réfléchi ; en fait, j’aurais dû demander à Léone de préparer un lit dans la chambre d’amis. Avec cette catastrophe qui nous habite, je n’ai même pas anticipé ce cas de figure.

— Tu ne pouvais pas prévoir l’enchaînement qui allait en découler, Olivier. Ce n’est pas grave, je peux dénicher un hôtel. Il doit y en avoir un dans le coin ?

— T’imposer de déguerpir me gêne. Je peux te soumettre une idée, considérant que mon offre peut te déranger…

— Expose-là, au moins !

— As-tu amené une chemise de nuit ?

— J’en ai une dans ma valise au cas où cela serait nécessaire. Sinon, comme tu as dû l’appréhender, je n’en mets jamais. Je n’ai pas de problème de pudeur, ainsi que tu as pu le découvrir l’année passée.

— J’ai bien compris, Claire. Tu as même rédigé une thèse sur ce thème qu’Isabelle m’avait listé pour me rasséréner. Comme je sais maintenant que tu as saisi l’initiative de te coucher près de moi, l’autre soir à Marseille, pour me réconforter, je te propose de dormir dans mon lit, mais chacun de notre côté. Cela te va ? On peut placer le traversin en travers si tu veux pour établir une frontière !

Je ne réponds pas, trouvant cette idée incongrue, mais c’est vrai que je lui avais avoué que je m’étais allongée contre lui, en cuillère, pour étouffer son chagrin. Après mûre réflexion, j’accepte sa demande.

— D’accord Olivier ! On fait comme mardi dernier alors. Pas besoin du traversin…

— Claire ! Tu peux te changer dans la salle de bain si tu le souhaites.

— Bah ! Tu m’as déjà aperçue nue, je te le rappelle. Isabelle m’avait rapporté que tu avais été impressionné par mon ticket de métro.

Olivier se met à rire, mais il est visiblement gêné par ma répartie.

— Oui, tout ça, c’était hier. Pour ma part, j’ignore ce que sera l’avenir sans elle. Elle me manque terriblement… C’est bien grâce à elle que je te connais. J’espère que nous pourrons nous croiser plus souvent dans le futur. Maintenant, c’est avec un profond respect que te remercie du fond du cœur d’avoir été si présente, ce qui m’a permis de me délivrer de phobies qui n’en valaient même pas la peine.

— Puis-je me doucher, Olivier ?

— Naturellement, j’ai oublié de te le proposer.

Un quart d’heure plus tard, je réintègre la chambre d’Olivier puis installe mes quartiers sur le côté droit du lit, posant mon iPhone près de mon sac à main, tout en repérant les lieux pour m’orienter dans la pénombre si besoin était. Je réalise que c’est, ou plutôt c’était, la couche d’Isabelle. Je vois Olivier se promener dans le couloir, puis revenir pour s’introduire dans la salle de bains. Pendant ce temps, je visionne cette chambre dans laquelle s’étalent ou s’empilent sur un bureau des ouvrages, des cartes du ciel punaisées sur son mur. Cet endroit est passionnant lorsqu’on s’y attarde, car on y apprend beaucoup de choses.

Revoilà Olivier qui pénètre dans sa tanière en simple caleçon, ce qui ne m’offusque pas. Je me félicite d’avoir apporté dans son esprit une quiétude par rapport à ce qu’il avait enduré par le passé. Je vais essayer de sommeiller, auréolée du parfum d’Isabelle dont je me suis aspergée à petites doses. Sentir cette odeur qui a survolé une partie de mon existence me fait tout drôle. D’ailleurs, quelque chose me trouble ici dans cette pièce, car je ressens la présence d’Isabelle comme si elle était en train de me surveiller C’est une impression extrêmement bizarre qui me parcourt, mais il paraît que c’est ainsi lorsqu’un proche est parti pour aller à la rencontre des astres.

Me retrouver allongée sur le dos, tout à côté de cette présence masculine qui ne dort pas encore, me perturbe. Depuis combien d’années, ne m’étais-je pas assoupie auprès d’un homme ? Je me place sur le flanc pour l’écouter parler de choses et d’autres, d’Abbazia, de Bully, mais aussi de banalités. Il prend son temps pour m’expliquer la composition du cosmos, me donnant le nom des galaxies et des étoiles. Je suis fascinée par tout ce qu’il apporte dans le champ de mes réflexions. Il propose que l’on ferme les yeux pour faire dodo, telle est son expression. Il me bécote sur le front, je me retourne pour me poster sur le côté, regardant la table de chevet pour y glisser ma montre.

Vers deux heures du matin, je suis réveillée par sa main qui s’est installée anonymement sur mon ventre à travers le tissu de ma chemise de nuit. Surprise, je me repositionne sur le flanc, écartant cette patte baladeuse dont je n’ai que faire, puis saisissant mon iPhone pour allumer la torche, je tâche d’analyser la situation. Ce qui me rassure, c’est qu’il roupille comme un bébé, et pas qu’un peu… Je tente de rejoindre les bras de Morphée lorsque je ressens sa main récalcitrante qui réapparaît, relevant même ma nuisette pour me caresser.

Putain, mais que fait-il donc ?

Fort heureusement, cette main velue a cessé ce manège pour retourner d’où elle vient, puis je redescends le bas de ma chemise de nuit, la bloquant entre mes cuisses pour contrer la menace.

Mais pourquoi n’ai-je pas enfilé une culotte pour dormir avec lui ? Ça m’apprendra !

Je sens maintenant qu’il repart à la charge pour se placer à plat ventre. Cette fois-ci, le danger provient du côté droit puisque sa main parvient à tirer sur la pauvre chemise de nuit. Je suis outrée par son comportement, mais je comprends qu’il est en train de passer par un stade d’une nouvelle crise sexsomnique et du même genre que celle que j’avais diagnostiquée l’année dernière. Le bilan n’en avait pas été fameux, son cœur s’étant arrêté de battre d’après le témoignage d’Isabelle pour reprendre ensuite. Cependant, en ce moment, je dois faire face à cette situation qui ne m’amuse pas du tout.

— Isabelle ! souffle-t-il.

Puis, tel Frankenstein prenant vie, ses doigts s’animent pour se poser sur mon sein, puis sur mon sexe, effleurant ma toison qui pouvait se confondre avec celle de sa bien-aimée. Je suis désespérée par l’instant que je suis en train de traverser, tandis que je renvoie cette main qui réagit d’emblée, sans compter que sa manœuvre est ponctuée du prénom Isabelle qui revient sans cesse dans mes oreilles. Dans une ultime tentative, il se rapproche de moi, collant son organe en érection contre ma hanche. Je sais bien qu’il me prend pour Isabelle, mais qu’y puis-je, puisque moi, c’est Claire, c’est clair, non ?

Non, ce n’est pas vraiment limpide dans son inconscience, puisque même endormi, il continue de me caresser, ce qui a pour conséquence de me procurer une intense bouffée de chaleur dans la profondeur de mes entrailles. Aussitôt, une étrange mécanique se met en place alors que je me positionne face à lui : il parvient à me repousser avant de s’allonger sur moi pour me donner des coups de boutoir dans le vide, percutant même ma vulve sans ménagement. Je tente de contrer cette oscillation intempestive, n’osant le réveiller violemment par peur qu’il me fasse un problème cardiaque comme l’autre fois. Je maîtrise la situation, tandis que mon vagin s’abandonne à une moiteur soudaine. J’ai mordu à l’hameçon, si je peux le dire ainsi. Il ne me reste plus qu’à suivre le courant.

Ce cas de figure, non prévu, me surprend littéralement. Cela ne m’est pas arrivé depuis des années. Il faut que je reprenne en main la conjoncture qui est en train de m’échapper. Je profite de ses va-et-vient pour entreprendre une caresse de son organe dont lui seul est le générateur du mouvement. Je n’ai qu’à attendre qu’il se lâche sur mon ventre. Récemment, à la Timone, je m’étais intéressée à cette anomalie du comportement, me renseignant auprès de l’une de mes collègues, spécialiste du trouble du sommeil qui m’a rapporté que cette cause n’était pas rare et pouvait être consécutive à la drogue, l’alcool ou à un stress important lié à un traumatisme émotionnel. Olivier se trouve bien dans cette case-là.

Il a fallu que ça tombe sur moi, c’est bien ma veine.

Alors qu’il est plongé dans une totale inconscience, je ne parviens pas à concevoir le temps que va durer sa petite affaire. En même temps, il me fait mal aux jambes m’astreignant à les écarter quelque peu pour soulager ma douleur. De plus, je me contorsionne afin d’être plus à l’aise, ce qui a pour conséquence une chose que je n’avais pas imaginée jusque-là, son pénis s’est échappé de ma main puis a frotté sur mon ventre avant de s’introduire en moi.

Soudain, je réalise…

Oh ! mon Dieu ! Ce n’est pas possible !

Passivement, je ressens son vit glisser à l’intérieur de mon vagin, tandis que je m’agrippe où je peux, empoignant derrière moi le traversin pour le mordre. Son bassin oscille de plus en plus vite, d’abord en douceur puis à la hussarde. Je le sens pousser et revenir dans mes entrailles, découvrant peu à peu des sensations que j’avais oubliées depuis longtemps. Profondément troublée par cette situation qui s’impose bien malgré moi, je laisse continuer ce flux et reflux qui commence à me rendre folle. J’approche au bout de ce que je peux concéder, car je vais jouir comme cela ne m’était jamais arrivé, m’arcboutant en arrière et me tortillant sur les flancs avant de saisir le drap du dessous pour le tirer vers moi. C’est fait ! Olivier a éjecté en moi tout ce qu’il avait à prodiguer, puis dans son néant, il s’est effondré sur le côté, toujours plongé dans le sommeil. J’ai repris mon iPhone, puis allumé la torche pour descendre du lit. Après avoir ouvert mon sac à main posé par terre, j’ai fouiné à l’intérieur, essayant, parmi tout mon fourbi, de récupérer des Kleenex pour éponger mon ventre. C’est à cet instant que j’aperçois contre le mur, à côté du pied du sommier, la boucle d’oreille en corail d’Isabelle, si caractéristique en raison du petit diamant inséré au milieu de quelques pétales, celle que Letizia avait tant recherchée dans la voiture accidentée.

Mon Dieu ! Ce n’est pas croyable.

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