CHAPITRE 42 - Coups de théâtre

17 minutes de lecture

Samedi 15 août 2020
12 h 40, moulin des Brumes, Bully, Seine-Maritime


— Astrid, là, je pense que les Tuttavilla nous attendent et qu’il est temps d’y aller ! dis-je à mon épouse, après m’être incliné sur la tombe d’Isabelle et avoir arrangé au mieux la composition florale.

Nous traversons le village et après roulé jusqu’à l’entrée du chemin de calcaire menant au moulin, la C5 s’engage à faible allure, à travers les prairies. Tandis que je me rapproche du portail, j’entrevois Gueule-de-Broc qui porte un lourd cageot de légumes dans son jardin, réalisant qu’elle claudique légèrement.

Je commence à entrapercevoir l’importante clôture maçonnée de briques entourant le moulin des Brumes. J’imagine qu’on est attendu, car les deux battants sont restés grands ouverts. Trois voitures sont déjà garées à l’écart, dont celle de mes parents, ce qui a la particularité de m’étonner puisque je n’avais pas prévu de les découvrir ici. Tandis que nous avançons lentement vers la bâtisse, je remarque que William s’amuse avec une petite fille blonde qui bande un arc. Fermant un œil pour viser, elle s’emploie à tirer sur une cible qui n’est qu’une vulgaire boîte de conserve.

Très vite, je me dégage de l’habitacle, mon infini bonheur étant de retrouver mon aîné qui m’a beaucoup manqué ces derniers temps. Je me dirige vers lui pour l’embrasser.

— Coucou, mon papa !

— Bonjour, mon garçon ! Tu as réussi à te trouver une copine de jeu. Quel est son prénom afin que je puisse saluer cette jolie demoiselle ?

— Elle s’appelle Jeanne d’Arc !

— Jeanne d’Arc ? Jeanne d’Arc ! Ah ! C’est le prénom de ma mère, ça ! Tu le prononces, car elle joue avec un arc, je suppose.

— Non, papa, c’est aussi son prénom ! Dis à mon papa tous tes prénoms !

La petite fille se retourne vers moi et de ses yeux verts tout malicieux, elle me sort « Isabelle Claire Jeanne d’Arc Joséphine ! », avant qu’une voix derrière moi m’interpelle.

— Bonjour, Olivier, cela faisait un petit bail qu’on ne s’était pas revus. J’ai appris que tu me croyais à Marseille. Mais non, je n’y habite plus depuis près de cinq ans. Embrasse-moi d’abord, je t’expliquerai ensuite.

— Avec la Covid dans l’air. Tu ne penses pas qu’il vaut mieux s’abstenir ? Soyons fous ! Es-tu d’accord pour un coup de coude ?

— … Oui ! Tu as parfaitement raison ! Soyons fous… Maintenant, je suis à Charles Nicolle… et exerce dans le service cardiologie. Tiens ! j’aperçois Astrid qui hésite à descendre de voiture. Ah ! Elle vient de me reconnaître ! Cela me fait un énorme plaisir de te retrouver, Astrid ! Comment vas-tu ?

Je relève qu’Astrid a les larmes qui coulent sur ses joues. Elle se rapproche de Claire qui pleure à son tour. Toutes deux s’effondrent dans les bras de l’une de l’autre. J’essaie de me retenir devant tant d’émotions, tandis que les Tuttavilla sortent de la maison pour nous étreindre. Puis je constate que Père et Mère sont là et qu’ils sont accompagnés de l’abbé Anquetil.

C’était probablement ça la surprise : d’abord la présence de Claire, puis la découverte de cette petite Isabelle dont je n’appréhende pas la raison du prénom « Jeanne d’Arc » au troisième rang tandis que je saisis bien l’existence du quatrième « Joséphine » qui est celui de la maman de Claire, ce que je sais déjà, après l’avoir repéré dans le cimetière. Autre cadeau de taille, le fait que Père et Mère ont été invités, ce qui va m’éviter de courir jusqu’au Mesnil-Peuvrel pour aller déposer Mathieu et Chloé. Je m’empresse d’embrasser mes parents. En même temps, je salue le curé de Bully qui fait donc partie des convives, ainsi qu’il me l’avait fait pressentir lors de notre dernier entretien téléphonique. En revanche, je ne vois aucun membre de la famille Häkkinen, ce qui m’étonne.

Tout s’enchaîne, car nous nous dirigeons aussitôt dans le salon pour boire une coupe de champagne avant de passer directement à table, chacun récupérant son verre pour le placer près de son porte-nom. Dehors, William et Mathieu continuent de jouer, faisant connaissance avec cette délicieuse petite fille dont l’énumération de ses prénoms m’oblige à me questionner.

Assis au milieu de l’imposante table de monastère avec à ma droite les Tuttavilla et Claire à ma gauche, je constate qu’Astrid va se trouver en face de moi et qu’elle va devoir voisiner avec l’abbé Anquetil qui prend un réel plaisir de bavarder de choses et d’autres avec mon père jusqu’à lui demander des nouvelles de monseigneur Romé. Depuis que la ferme du Mesnil-Peuvrel avait récupéré son lustre d’antan, mes parents ont pris l’habitude de traverser l’Atlantique pour venir se détendre de temps à autre à la campagne. Peu à peu, retrouvant ses marques, mon père avait adopté une pratique, celle de se rendre au moulin des Brumes pour rencontrer son architecte préféré, son ami de toujours se plaisait-il à préciser, depuis qu’il avait découvert la seconde horloge dans le moulin, à son grand étonnement.

Sirotant ce qu’il reste de champagne dans ma coupe, je ne peux m’empêcher d’écouter Claire qui questionne Astrid pour tout savoir de sa santé actuelle. De même, je m’oblige à suivre la conversation entamée par l’abbé Anquetil qui s’adresse à mon père à propos du Mesnil-Peuvrel. Tous deux demeurent debout, hésitant à s’asseoir. Je ne perds pas une miette de tout ce qui est en train de se raconter, me comparant à Corinne qui m’avait enseigné la technique radicale pour entendre différentes discussions en même temps. Ainsi, les travaux concernant les dépendances étaient sur le point de se terminer et il subsistait une interrogation au sujet de la petite chapelle qu’il convenait de restaurer dans les règles de l’art, après que les archéologues aient replié les tentes renfermant les artefacts.

Toujours à l’écoute de cette riche conversation, je découvre que l’abbé Anquetil avait été très attentif à l’anecdote consécutive au comportement étrange de ma regrettée Isabelle lorsqu’elle s’était retrouvée à proximité des grands chênes et plus particulièrement devant la petite chapelle. Cette anecdote, exposée par Claire en 2017, lui en avait rappelé une autre, repérée dans une liasse conservée aux archives départementales de Seine-Maritime. C’est l’année dernière qu’il était retombé dessus par hasard, ou plutôt sur une histoire analogue qui était consignée dans une série relative au clergé régulier. Son étonnement fut de constater que la légende, rapportée depuis des siècles, concernait au premier chef la terre du Mesnil devenue plus tard le Mesnil-Peuvrel. La curiosité l’emportant, il avait réussi à décrypter plusieurs feuillets, malgré une écriture ancienne parfois illisible. Ces écrits datant de siècles différents relataient l’existence d’une dame blanche qui semblait apparaître dans une sorte de brouillard, à proximité de la petite chapelle. Intuitivement, en raison de la présence des chênes plusieurs fois centenaires, l’abbé Anquetil en avait déduit que cet endroit cachait quelque chose, supputant même que c’était soit à l’intérieur, soit à l’extérieur du monument. Pour en avoir le cœur net, il avait aussitôt sollicité le CRAHN, le Centre de Recherches Archéologiques et Historiques de Normandie, y rencontrant des membres de cette association. À l’issue de ces entretiens, il leur avait communiqué un mince dossier fort bien fort documenté. En Parallèle, il était parvenu à joindre mon père pour obtenir la permission d’effectuer des fouilles préventives dans sa propriété normande. Et cela Père ne m’en avait jamais informé, ce qui me paraissait navrant.

Par la suite, un an plus tard, une autorisation préfectorale avait été délivrée pour entreprendre les premiers sondages. Puis très rapidement, l’équipe d’archéologues avait retrouvé un squelette dans un sarcophage en calcaire sous le pavage. Sur le couvercle, l’un des opérateurs, présent sur le site, avait identifié les armoiries des Prevel, Pevrel ou Preuvel qui se lisaient d’or, fretté d’azur, sur le tout, un écusson d’argent chargé de trois trèfles de sinople. Autres trouvailles importantes : plusieurs épées rouillées avaient été détectées sous le maître autel, puis un bénévole, assisté d’un archéologue chevronné, avait tiré de l’oubli une plaque, laquelle devait être scellée naguère contre le mur. Elle paraissait être tombée sur le sol avant d’être escamotée par un dépôt de couches successives de terre qui s’étaient superposées au fil des siècles.

Hésitant encore à s’asseoir, l’abbé Anquetil part pour aller récupérer son vieux sac de cuir près d’un des canapés, revenant avec une liasse assez épaisse comprenant divers fascicules sur laquelle j’avais cru décoder sur la jaquette « Chapelle du Mesnil-Peuvrel ». Mon père, ayant saisi le document que le curé lui soumettait, se mit à le parcourir jusqu’à sursauter avant de me le communiquer. À mon tour, je déchiffrais la publication, survolant les feuillets pour repérer plusieurs photos ; du sarcophage ouvert contenant un squelette et des morceaux d’anciens tissus, l’autel en partie démonté, trois épées datant du Moyen Âge. Si le dessus de la châsse avait éprouvé bien des dommages, on pouvait distinguer un écusson qui serait celui des Prevel d’après l’abbé Anquetil. La dernière page concernait la petite pierre rectangulaire qui avait subi un sérieux nettoyage et sur laquelle avait été gravée la transcription suivante :

Cy gist le corps de noble homme Guillaume de Preuvel en sont vivant chevalier seigneur du Mesnil et autres lieux hoe d’armes de la compagnie du sire Martel de Bacqueville lequel trépassa le mardi xixe jour davril mille cinq cens vingt cinq et noble dame Alix Malet de Graville sa feme laquelle décéda le xxie jour de juin mille quatre cens quatre vingt trois priez dieu pour eulx

La lecture de cette épitaphe me procure aussitôt la chair de poule, puisque cette plaque gravée constitue la preuve que je n’ai rien inventé du cauchemar que j’ai vécu et qui a été révélé par une expérience de mort imminente. En tant qu’astrophysicien, je suis en train de réaliser que je n’ai pas halluciné et que j’ai concrètement accompli un voyage temporel, le vieux rêve des auteurs de science-fiction, et ceci à travers ma propre conscience, laquelle s’était intriquée avec celle de mon aïeul qui appartenait à ma lignée patrilinéaire, telle était mon explication. Cet aspect que je parviens à comprendre néanmoins me paraît obscur, car il n’apparaît aucun témoignage d’une personne qui aurait expérimenté la même chose que moi. Devant ce fait prodigieux, je ne peux que penser à Isabelle, estimant que c’est à partir du commencement de notre vie amoureuse que nos existences ont été chamboulées irrationnellement, puisque moi, de la même façon, j’ai été doté de pouvoirs étranges, lesquels m’ont autorisé de visiter des époques charnières, celles traversées par certains de mes ancêtres lorsqu’ils furent confrontés à l’adversité. Mon âme, si je dois respecter la définition de l’abbé Anquetil, a-t-elle été intriquée à travers un univers spatio-temporel, m’obligeant à assister à l’atroce exécution d’Astrid Malet de Graville, ainsi que la décapitation de Marie Anne Duchastel, deux femmes appartenant au passé dont la caractéristique me permet de croire maintenant qu’elles devaient se rattacher au lignage matrilinéaire qu’Isabelle ? J’en suis là ! Maintenant, comment aborder le sujet avec Claire ? Bien malgré moi, je lui tends la liasse qu’elle se met à feuilleter avant de se retourner vers moi pour me faire transparaître son étonnement à la vue des noms qu’elle vient de découvrir sur l’épitaphe : Guillaume de Peuvrel et Alix Malet de Graville.

Le dessert et le café terminé, je demande à Claire de bien vouloir me suivre dehors, car j’ai expressément besoin de lui parler à propos des pages qu’elle a parcourues.

— Tu vois Claire, en plus de la boucle d’oreille, tu as eu, sous tes yeux, la seconde preuve que je ne t’avais pas raconté d’histoire. Je n’avais jamais pu inventer cette « Alix Malet de Graville », puisqu’elle n’existe dans aucune généalogie ni aucun document relatif à cette famille Malet. Or, sur cette pierre, on repère bien les prénom et nom de « Alix Malet de Graville »… ce qui continue de me donner la chair de poule.

— J’avais bien appréhendé à la tête que tu faisais, Olivier ! Cela me surprend aussi et je ne peux pas t’apporter d’éclaircissement à ce que je ne comprends pas. Et s’il n’y avait que ça !

— Il y a encore autre chose, Claire ? Que veux-tu dire ?

— Je t’en parlerai plus tard ! Ce n’est pas l’heure !

— Tu bavardes et répliques exactement comme Isabelle… Là, ta réponse me laisse interrogatif.

— Je déteins de plus en plus sur elle, car j’y pense souvent, Olivier !

— Astrid t’a-t-elle confié qu’elle avait espéré que tu sois son témoin de mariage ?

— Oui, elle me l’a signalé en arrivant. Je regrette de ne pas l’avoir été. Profondément !

— Pourquoi cette absence qui a duré si longtemps ?

— Cela va être compliqué de me justifier, Olivier ! Pour Astrid, je l’ai suivie médicalement, tant qu’elle résidait à Aix. Par la suite, elle a souhaité retrouver son appartement du boulevard Malesherbes, ce que je comprenais. Ultérieurement, elle a pu être observée par le docteur Diaz, celui qui t’avait pris en charge. Te remémores-tu de lui ?

— Oui, je m’en souviens trop bien, mais ça ne répond pas à ma question : pour quelle raison, ne prenais-tu pas des nouvelles d’Astrid ?

— Le docteur Diaz m’en communiquait régulièrement. Je lui avais donné pour consigne de ne pas lui dévoiler où j’exerçais désormais. Ce fut pareil pour Éliane. De plus, j’avais changé de numéro de téléphone.

— Mais pourquoi, Claire ?

— Tu venais de… Je suis profondément désolée, je ne peux rien te justifier, c’est trop compliqué dans ma tête.

— Bien ! Je n’arrive pas à saisir ton comportement, même si tu as déménagé à Rouen pour rejoindre Charles Nicolle. À Marseille, tu m’as confié que ce docteur Diaz avait été ton amant. Cela ne me regarde pas, mais j’ai pensé que c’était lui le papa de ta « petite Isabelle ».

— Mon Dieu, Olivier ! Si tu savais ?

— Quoi ?

— Bon ! Il est l’heure de tout t’avouer… de te livrer toute la vérité. Pour ma conscience d’abord… Tout à l’heure, « petite Isabelle » comme tu l’appelles t’a donné dans l’ordre tous ses prénoms.

— Oui ! Isabelle Claire Jeanne d’Arc et…

— Joséphine, celui de ma mère. À ton avis. Pour quelle raison celui de « Jeanne d’Arc » se situe-t-il en troisième position ?

— J’imagine que cela t’a plu.

— C’est toi qui, à la naissance de William, m’as expliqué que William porterait les prénoms de « William Olivier Nicolas Éric », avec celui du père en deuxième rang, puis ceux des grands-parents en troisième et quatrième position. J’ai emprunté ce bon conseil pour Isabelle. « Jeanne d’Arc », c’est le prénom de sa grand-mère, c’est-à-dire ta mère.

— Euh… Tu vas trop loin, Claire ! Autant que je me remémore, je n’ai jamais couché avec toi. Tu dois faire erreur !

— Si, souviens-toi !

— À Marseille ?

— Oui, mais ce n’est pas tout !

— À Paris aussi, après l’inhumation d’Isabelle. Je t’avais hébergée chez moi…

— Alors, compte un peu ! Les obsèques d’Isabelle, c’était le 28 juin 2014, soit une semaine après sa mort légale et « petite Isabelle » a vu le jour le 26 mars 2015, ce qui fait approximativement neuf mois.

— Je suis profondément désolé, Claire, je ne me rappelle pas de t’avoir honorée ce jour-là.

— Cette nuit-là, plutôt… Effectivement, tu m’as invitée à dormir chez toi, ce que je ne souhaitais pas au départ. Bref… J’ai couché dans le même lit que toi…

— Là, il va falloir que tu m’expliques ce qui s’est passé…

— Bien ! Mais tu ne m’interromps pas, d’accord ?

— … Raconte !

— Comme pour Isabelle, tu m’as fait peur. Tu n’arrêtais pas de la nommer dans ton sommeil. Sans doute, n’aurais-je pas dû me mettre de son parfum la veille. Mais à un moment, tu m’as entreprise charnellement, Olivier. Tu étais au-dessus de moi. Je ne pouvais rien faire. J’ai bien tâché de maîtriser cette situation en essayant de garder le contrôle, mais tu es parvenu à t’introduire en moi.

— Eh ! Oh ! C’est impossible ce que tu me contes là.

— Je te jure que c’est vrai. Si tu désires tout savoir, j’ai d’abord été contrainte de t’entretenir…

— … t’entretenir ?

— Entretenir la chandelle si tu comprends ce que je veux dire.

— … ?

— N’ayons pas peur des mots, j’ai été obligée de te faire jouir… Voilà, c’est dit…

— Je rêve, Claire. Tu m’as touché le sexe durant la nuit ? Tu me racontes des histoires !

— Non, Olivier, comme en juillet 2013, tu étais en pleine crise de sexsomnie… Isabelle m’avait même rapporté que ton cœur avait cessé de battre… cela t’avait valu de te retrouver aux urgences… Tu te remets ? C’est le lendemain que j’ai téléphoné de Bully pour t’interviewer.

— Je m’en souviens trop bien ! Et ?

— Ne tournons pas autour du pot, Olivier. Je t’assure que tu m’as véritablement possédée. Je n’ai pas su gérer. C’est en voulant récupérer un mouchoir que j’ai découvert la boucle d’oreille d’Isabelle.

— Je me rappelle t’avoir rejointe dans la cuisine.

— Oui, là, j’étais dans une réelle colère contenue. Tu as dû t’en apercevoir, non ?

— Écoute, Claire, je suis extrêmement gêné par tout ce que tu me racontes. Je n’aurais jamais pu imaginer ce qui s’était passé entre nous et je suis même prêt à faire un test de paternité pour que « petite Isabelle » puisse avoir un papa comme les autres. Mais pourquoi ne m’as-tu rien révélé avant ?

— Je ne pouvais plus, Olivier. J’avais trop traîné avec cette grossesse que je considérais comme miraculeuse.

— Miraculeuse ! Tu peux le dire, car j’avais compris que tu ne pouvais pas avoir d’enfants.

— Je ne m’explique toujours pas médicalement ce prodige de la nature. Alors, pour répondre à ta question sur mon mutisme concernant ma grossesse, c’est parce que Éliane m’a appris que tu allais te marier avec Astrid. À partir de cet instant, j’ai préféré disparaître de ton entourage, consignant mes recommandations aux Tuttavilla pour qu’ils ne te communiquent pas ma nouvelle adresse.

— Mon Dieu, Claire ! je suis au plus haut point désolé. C’est la faute aux choses de la vie que l’on ne maîtrise pas forcément et qui nous oblige à effectuer des choix heureux ou malheureux. Ce qui est le cas précisément.

— Que faisons-nous présentement ?

— Claire, je vais réaliser un test ADN ou de paternité, lequel sera transmis devant notaire. Puis, je me rendrais dans une mairie pour rencontrer un responsable en vue d’établir une déclaration à l’État civil. Ainsi, Père et Mère auront quatre petits-enfants.

— Ils seront comblés, je présume, de découvrir que tu as bien travaillé. Tu vois, cette après-midi, je suis prête à leur laisser ma fille, notre fille, pour quinze jours afin qu’elle fasse connaissance avec ses frères et sœur.

— Ce qui me paraît extraordinaire, c’est que William, Mathieu et Chloé sont en train de jouer avec elle et ils ne se doutent même pas que « petite Isabelle » est leur sœur. Mais attendons le test pour être certain du résultat. Mes parents vont repartir en septembre pour Los Angeles. Ils vont pouvoir nous envoyer des kits ADN.

— Tu peux me faire confiance ! Je ne te fais pas un enfant dans le dos, si je puis m’exprimer de cette façon. Et je suis heureuse de savoir que ma fille aura deux frères et une sœur.

— C’est fou, ça ! Maintenant, Claire, je voudrais changer de sujet ! Il est tout autant important que celui que l’on vient de clore.

— Je t’écoute !

— J’ai de fortes suspicions… depuis que j’ai identifié un rapport médical qu’Astrid a laissé traîner dans le petit salon.

— Ah !

— Oui et tu as raison de faire « ah » ! En fait, je soupçonne que tu as coupé les ponts à l’origine, non pas en raison de ta grossesse, mais parce que tu ne pouvais pas me révéler qu’Astrid avait été opérée le lendemain de la mort d’Isabelle, ce qui m’aurait obligé à te poser des questions dérangeantes. C’est bien cela ?

— Mais comment peux-tu penser cela ?

— Tout simplement en raison d’un comportement dont Astrid n’a pas eu conscience et qui m’a rappelé Isabelle. De plus, j’ai découvert des documents provenant de la Timone portant une date et ton nom. Bref… je subodore qu’Astrid a reçu le cœur d’Isabelle.

— Comment peux-tu échafauder de pareilles théories ?

— D’abord, lorsque pour la première fois Astrid est allée dans l’appartement de mes parents, elle a dit « Tiens, ma boucle d’oreille ! »

— Étrange, en effet !

— Astrid ignore que j’ai ce genre de doutes et elle ne devra jamais en être au fait. D’ailleurs, elle ne se souvient même pas avoir évoqué cette boucle d’oreille. Claire ! Peux-tu m’assurer que j’ai tort ?

— Olivier, ta question me dérange, car je suis contrainte au secret médical. Je ne peux rien te dire. Entends ça !

— Donc, c’est oui ! Et puisque c’est oui, il me semble légitime de révéler aux Tuttavilla que le cœur d’Isabelle bat dans la poitrine d’Astrid. Je sais que cela va leur faire beaucoup de bien. Je crois qu’à partir de cet instant, les portes d’Abbazia seront grandes ouvertes pour elle, car jusque-là, elles étaient fermées en raison des convenances. Qu’en penses-tu ?

— Fais comme tu le sens. D’un côté, je comprends. Quant à moi, je ne t’ai rien révélé.

Quelques minutes plus tard, je demande à Éric et Éliane Tuttavilla de venir me rejoindre à l’extérieur, ayant une information importante à leur communiquer.

— Éliane, Éric, il est l’heure pour moi de vous apprendre quelque chose qui va vous procurer une immense émotion. Vous devrez me pardonner pour ce que j’ai à vous dévoiler, mais auparavant, vous devez me promettre de garder cette information confidentielle pour vous, rien que pour vous, et vous seulement. Ce sera juste vous, moi et Claire qui serons au courant.

Les Tuttavilla demeurent très étonnés par mon ton solennel, mais il est nécessaire qu’ils jurent préalablement devant Dieu de ne jamais divulguer ce qui pourrait ébranler Astrid. Je distingue Claire qui se rapproche de moi. Après s’être écartés pour se concerter, Éric et Éliane reviennent dans ma direction pour me faire le serment de conserver pour eux tout ce que je vais leur dire. Je les invite à contourner le moulin pour leur expliquer la vérité.

— Claire est soumise au secret professionnel et médical, donc ce n’est pas par elle que vous l’apprendrez. Elle n’a fait que son travail. Vous devrez l’excuser pour toutes ces années de silence. Pour ce qui me concerne, je connais Astrid depuis très longtemps puisqu’elle a toujours été ma meilleure copine depuis l’adolescence. Je dois bien vous avouer qu’elle est passée par différents stades avant de devenir mon épouse. Préalablement, je vais d’abord vous faire rire au cas où vous auriez eu vent de l’anecdote : c’est avec le maire du pays qu’Astrid s’est affrontée pour mes beaux yeux.

— Effectivement, Isabelle nous avait narré une histoire comme ça. Mais ce n’est tout de même pas pour ça qu’on a fait le tour du moulin !

— Non, je dois vous confesser que j’ai retrouvé Astrid par hasard, quelques mois après la mort d’Isabelle. C’est là que j’ai appris qu’elle avait subi une transplantation cardiaque. D’ailleurs, je vous avais parlé succinctement de son opération lorsque je vous avais convié pour dîner à la maison. Bref ! Pour des motifs que je ne peux pas vous détailler, j’ai fini par réaliser que c’était le cœur d’Isabelle qui battait dans la poitrine d’Astrid. Curieux hasard, me direz-vous ! Je n’irais pas jusqu’à vous exposer la date légale du décès d’Isabelle, ainsi que la date et le lieu de l’intervention, sans compter les quelques similitudes dont je vous ferais grâce… cela serait trop compliqué à vous expliquer, mais je peux vous confirmer qu’Astrid porte le cœur de votre fille. Je vous précise que si Claire ne peut pas avouer que j’ai raison, moi je peux le faire… N’exigez pas d’éclaircissements à Claire qui est en train de nous rejoindre. Déjà, si elle ne cherche pas à nous interrompre, cela veut dire beaucoup. Voilà ce que je souhaitais vous dire !

Lentement, nous retournons vers le moulin pour y boire un café, histoire de nous remettre de nos émotions. Les Tuttavilla se taisent, car ils sont très bouleversés et jusqu’aux larmes qu’ils essuient de temps en temps. Pénétrant dans la demeure, ils se dirigent vers Astrid, la regardent. Aussitôt, Éliane la prend dans ses bras.

— Que se passe-t-il ? demande-t-elle.

— Pas grand-chose, répond Éliane, j’espère tout simplement vous revoir plus souvent à Abbazia.

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