Une foule est rassemblée dans ce qui semble être une petite église. La lumière est vive, le soleil transperce les hauts vitraux. Les bras de chemise remontés sur les avant-bras, les tempes transpirantes, les hommes ont l’air de souffrir de la chaleur, même à l’intérieur de la nef. Les femmes portent des jupes longues en toile légère et de petites coiffes blanches. On entend des murmures, des gloussements de jeunes gens, l’assemblée semble d’excellente humeur.

C'est l’été à Braux, petite commune de la vallée de la Meuse. En ce jour radieux, les derniers nés du village vont être baptisés ce matin : c’est un jour de fête.

Ce samedi 30 juillet 1695, tout le village est donc rassemblé autour du curé de la paroisse. Au signe discret de l’homme d’église, Louise de la PLASSE s’avance timidement dans l’allée centrale. Elle porte dans ses bras un nourrisson, habillé d’une longue robe blanche qui touche presque le sol. Louise est la jeune femme que Jeanne a choisie pour être la marraine de son nouveau-né et à qui elle a confié la douce tâche de porter le bébé à la cérémonie, elle-même étant encore alitée.

Jeanne Haulmé, 26 ans, mariée depuis quatre longues années avec Jean Davis, cloutier modeste du village, vient d'accoucher de leur premier enfant. Même si ce dernier n'est pas en danger de mort, elle tient à le faire baptiser très rapidement.

Le père de l’enfant est absent mais cela n’est pas exceptionnel : l’Eglise préconisant le baptême dans les trois jours suivant la naissance, l’on ne pouvait patienter jusqu’au retour du père en cas d’absence prolongée, que ce soit pour chercher du travail ailleurs ou pour défendre le pays. Malgré les regards désapprobateurs de sa belle-mère, Jeanne avait donc exigé que son fils soit présent aujourd'hui.

La cérémonie se passe de manière tout à fait ordinaire et Louise pense que Jeanne sera à la fois ravie et soulagée : le petit garçon sera bien baptisé aujourd’hui. Il se prénommera Louis, comme son parrain, et portera le nom de famille de son père : Davis.

Le curé rédige aussitôt l’acte de baptême :

L'an 1695, le 30e juillet, je, Jean Hedin, curé de Braux, soussigné, ay baptizé le fils de Jean Davis, cloustier de la vacation et de Jeanne Haulmé, ses pere et mere mariés ensembles, auquel on a imposé le nom de Loüis.

Mais le parrain et la marraine ont à peine apposé leur marque sur le registre paroissial qu’une voix autoritaire s’élève dans l’assemblée.

C’est la voix de Thomasse Jacquemart, veuve Davis et grand-mère de l’enfant. Très droite, la tête haute, elle affirme d’une voix claire et qui n’admet aucune opposition :

• Cet enfant n’est pas mon petit-fils.