Chapitre 9 : L’écho d’entre deux mondes

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Le sommeil vint lentement, à pas feutrés. Pas comme une chute brutale, mais comme une marée douce, qui l’enveloppa sans qu’il s’en rende compte. Et dans cette demi-nuit, Evans bascula.

Il rêva.

Mais ce n’était pas un rêve ordinaire. C’était elle. Encore. Toujours.

Elle se tenait là, dans l’ascenseur. Comme cette première fois. Même lumière blafarde. Même silence. Sauf que cette fois, c’était lui qui entrait. Et elle était déjà là. Elle le regardait. Pas surprise. Pas même curieuse. Comme si elle l’attendait.

Elle portait une robe bleu nuit, fluide, qui dansait autour de ses genoux même s’il n’y avait pas de vent. Ses cheveux détachés encadraient son visage, un peu flous sur les bords, comme dans ces photos anciennes. Ses yeux, eux, étaient plus clairs encore, comme deux fragments de ciel juste avant l’aube.

— Tu m’as trouvée, dit-elle simplement.

Evans voulut parler, mais aucun son ne sortit. Sa gorge était pleine d’une émotion étrange, trop vaste, trop dense. Il hocha la tête.

— Tu croyais que j’avais disparu, ajouta-t-elle en penchant la tête.

Il fit un pas vers elle. Les murs de l’ascenseur semblaient s’éloigner. Ils n’étaient plus dans une cage de métal, mais quelque part entre deux mondes, un lieu sans gravité ni temps, juste ce flottement.

Elle leva la main et toucha son bras, doucement, du bout des doigts. Une chaleur fine naquit là, à l’endroit du contact, comme une étincelle silencieuse.

— J’étais là, dit-elle. Mais il fallait que tu ouvres les yeux.

Le rêve vacilla un instant. Un murmure d’alarme, lointain. Des chiffres rouges clignotaient dans un coin du plafond, 4e étage. Comme un battement de cœur.

Evans serra doucement sa main. Il voulait rester. Encore un peu.

Elle s’approcha, posa sa tête contre son épaule. Il ferma les yeux. Respira son parfum. C’était celui de la pluie chaude et des livres anciens. De l’enfance perdue. D’une mélodie oubliée.

— Tu reviendras ? osa-t-il demander.

Elle ne répondit pas. Mais il sentit son sourire contre son cou.

Et le rêve se dissout, comme une marée douce qui s’éloigne, lentement

Evans se réveilla en sursaut, le souffle court.

La chambre était silencieuse. Juste le vent dehors. La lumière bleue de l’aube commençait à filtrer à travers les rideaux.

Il posa la main sur son torse. Son cœur battait encore fort.

Et malgré la sensation de vide que laisse tout rêve trop beau, il n’était pas triste. Pas cette fois.

Elle était là. Quelque part.

Et peut-être… que ce n’était plus qu’un rêve.

Le ciel, dehors, avait pris cette teinte grise de l’entre-deux. Ni vraiment nuit, ni encore jour. Une brume s’attardait sur les vitres comme si le monde lui-même hésitait à émerger.

Evans était resté allongé, les yeux ouverts, fixant le plafond. Le rêve était encore là, collé à sa peau, à ses pensées. Pas tout à fait flou. Pas tout à fait net. Il sentait encore la douceur de cette main sur son bras. Et ce parfum… irréel mais tenace. Il se demandait si son esprit l’avait inventé ou s’il l’avait vraiment senti, ce jour-là.

Il se leva lentement, comme si son corps sortait lui aussi d’un autre monde.

Dans la cuisine, le silence régnait. Pas encore de Damien. Pas encore de Kyle. Rien que lui et cette drôle de sensation de vide rempli.

Il se servit un café, noir, amer. Le genre qui réveille tout de suite. La chaleur entre ses paumes le ramena doucement au présent.

Il s’approcha de la fenêtre, tasse entre les doigts. En bas, la rue était encore déserte. Quelques lampadaires clignotaient faiblement. Une silhouette passa, emmitouflée, une écharpe jusqu’aux yeux. Et puis, rien. Juste le souffle du matin.

Et puis, comme un réflexe : il leva les yeux vers le 4e étage.

Il ne savait pas exactement quelle fenêtre c’était. Il n’en avait pas la certitude. C’était même pas le bon bâtiment. Mais il avait une intuition, ce genre de conviction inexplicable. Un store légèrement entrouvert. Une plante verte, un peu penchée. Peut-être... peut-être que c’était là.

Il se surprit à sourire, doucement. Pas de certitude. Pas de plan. Mais une trace. Quelque chose à suivre.

La porte derrière lui grinça, et Damien entra, un tee-shirt blanc sur lequel il est écrit "En chargement…", les cheveux en bataille, frottant ses yeux d’une main, un bol vide dans l’autre.

— T’es debout depuis combien de temps ? T’as l’air... éveillé. C’est suspect.

Evans sourit sans se retourner.

— J’ai rêvé d’elle.

Damien grogna quelque chose qui ressemblait à "OK, on va avoir besoin de beaucoup de café pour cette discussion", puis s’affala sur une chaise.

— Tu veux en parler ou tu veux que je le note dans le grand livre des mystères non résolus de ton cerveau ?

— Je crois... je crois qu’elle était dans le rêve, mais c’était plus qu’un souvenir. C’était presque... un message.

Damien le regarda à travers sa tasse.

— Tu veux dire que ton subconscient t’a écrit une lettre d’amour ?

— Quelque chose comme ça.

Un silence s’installa. Paisible.

Puis Evans soupira, les yeux toujours tournés vers le dehors.

— J’ai décidé. Je vais la retrouver. D’une façon ou d’une autre. Je peux pas juste... laisser ça s’effacer.

Damien acquiesça lentement.

— Alors on va t’aider. Plan de bataille. Cartes, photos, fil rouge sur tableau noir. On va devenir tes détectives du cœur.

Evans éclata de rire, le genre de rire qu’on pousse quand le doute s’efface un peu.

— Merci.

— Toujours. Et on commence par quoi ?

Evans répondit du tac au tac :

— Par un croissant.

— Ah. Enfin une idée concrète.

Ils rirent ensemble, dans ce matin encore flou, comme s’ils pressentaient que quelque chose s’était mis en mouvement.

Quelque chose de plus grand qu’eux.

Ils étaient encore à table quand Kyle débarqua, claquant la porte comme un personnage de série trop sûr de son entrée.

— Messieurs ! J’ai rêvé que j’étais dans un clip des années 80. Tout était fluo. Et j’étais poursuivi par un pigeon géant. Je pense que mon inconscient veut me parler.

Damien leva un sourcil sans même relever la tête de son bol.

— Ton inconscient te supplie juste d’arrêter les tacos à minuit.

Kyle se laissa tomber sur une chaise, jeta un œil à Evans, et son visage se déforma en une moue à mi-chemin entre l’amusement et la pitié tendre.

— Toujours la Rousse de l’Ascenseur ?

Evans ne répondit pas tout de suite. Il leva les yeux, croisa brièvement ceux de Kyle, et haussa à peine les épaules.

— Je vais la retrouver.

Kyle lâcha un petit rire en coin, pas moqueur, mais presque... résigné.

— Mec. Je vais te dire un truc, et je sais que tu vas pas aimer. Mais je te le dis quand même.

Evans tourna lentement la tête vers lui, les sourcils froncés. Kyle continua, un peu plus sérieux :

— T’es en train de construire une légende dans ta tête. T’as parlé trois secondes avec cette fille, et t’en as fait une muse, une héroïne, une énigme cosmique. Mais elle est peut-être juste... une fille. Une parmi d’autres.

Evans ne répondit pas, mais sa mâchoire se contracta.

Kyle poursuivit, doucement cette fois, moins tranchant :

— Ce que je veux dire, c’est... Tu t’accroches à un moment. Pas à une personne. Et tu risques de passer à côté de tout le reste. Des filles bien. Réelles. Qui sont là, qui existent, qui peuvent te faire rire, t’emmerder, t’aimer vraiment.

Un silence s’installa.

— Je connais une fille elle s’appelle Zoé, elle n’est pas rousse mais elle est très jolie.

Damien, mal à l’aise, fit mine de s’intéresser passionnément à ses miettes de pain.

Evans se leva sans un mot, passa sa veste d’un geste rapide, enfila ses baskets et sortit en claquant doucement la porte derrière lui.

Kyle soupira.

— Bon, c’était peut-être pas le moment.

Damien le fixa.

— Peut-être. Ou peut-être que si. T’as juste le tact d’un marteau, c’est tout.

Evans pédalait dans les rues encore tièdes du matin. Son vélo grinçait légèrement à chaque coup de pédale, comme pour ponctuer ses pensées.

Il ne savait pas trop où il allait. Juste... loin de l’appartement. Loin de Kyle. Loin de cette conversation qui l’avait piqué plus qu’il ne voulait l’admettre.

Il roula jusqu’au parc, jeta son vélo dans l’herbe et s’écroula sur un banc, le souffle court. Pas à cause de l’effort. À cause du poids dans sa poitrine.

Et il pensa.

Il repensa à elle. À son visage, à ce moment. À ce "bonjour" qui résonnait encore dans sa mémoire comme une chanson familière.

Mais il repensa aussi à Kyle. À ses mots.

Et il comprit, peu à peu, à contre-cœur... que Kyle avait peut-être raison.

Il n’en savait rien. Rien d’elle. Même pas son prénom. Seulement une sensation. Et il s’était construit un château de souvenirs autour d’un éclair.

C’était beau. Oui. Mais c’était peut-être juste... du vent.

Et à force de courir après une illusion, il se privait de ce qui était là. Maintenant.

Evans poussa un long soupir. Ferma les yeux. Lâcha, dans un murmure à peine audible :

— Peut-être qu’il faut que je la laisse partir...

Il rouvrit les yeux. Le ciel s’était un peu dégagé. Une lumière pâle perçait à travers les nuages.

Il ne souriait pas. Pas encore. Mais il avait lâché un poids. Juste un peu.

Peut-être que c’était ça, aussi, avancer.

Le vendredi soir s’abattit sur la ville comme une pluie tiède. Une de ces nuits chargées de promesses creuses, où les bars débordaient de verres levés et de conversations éphémères.

Evans, lui, était affalé sur le canapé du salon, un plaid sur les jambes et un livre à moitié lu posé sur son torse.

— T’as vraiment l’intention de passer ta soirée comme un retraité du dimanche ? lança Kyle en surgissant dans le cadre de la porte avec une chemise noire à motifs floraux. On est vendredi, mec. Le monde t’attend !

Evans ne leva même pas les yeux.

— Le monde peut attendre demain.

Damien apparut juste derrière, en train de boutonner une chemise blanche. Il avait passé plus de temps à choisir son parfum qu’un acteur avant une première.

— On sort, mon gars. On t’a laissé deux semaines pour pleurer sur une inconnue. Maintenant, c’est thérapie de groupe version tequila et basses qui font vibrer le plancher.

— J’ai pas envie. Je suis crevé.

— Faux, répondit Kyle. T’as envie de rien, c’est pas pareil. C’est précisément pour ça qu’on t’embarque.

Evans soupira. Il connaissait cette mécanique, Damien en rôle de parent cool, Kyle en allumeur de mèches. Ils avaient décidé pour lui, et à moins de simuler une grippe intestinale, il allait devoir les suivre.

— Je vais être ce gars triste au fond de la boîte qui regarde les autres danser en se demandant ce qu’il fout là.

— Alors tu seras ce gars triste, mais bien habillé, répliqua Kyle. Et avec nous. On va t’aider à réapprendre à respirer, Evans. Et si on croise une rousse, on t’achète un shot.

— Super. Je vais finir alcoolique.

— Ou amoureux.

La boîte s’appelait L’Oxyde, un ancien entrepôt transformé en cathédrale électro. Le plafond était haut, les lumières traversaient l’air comme des lames de couleur.

Des corps ondulaient sur la piste, tout était moite, dense, vivant.

Evans se sentait étranger au décor, comme une silhouette esquissée à la marge d’un tableau trop bruyant.

Kyle s’était immédiatement fondu dans la foule, déjà en train de faire rire deux filles près du bar.

Damien, plus posé, tenait trois verres au-dessus de sa tête pour les ramener jusqu’à leur table.

— Tiens, bois ça. Pas de discussion. C’est doux, sucré, parfait pour t’adoucir le regard.

Evans prit le verre, porta le liquide à ses lèvres. Il avait un goût de fruit rouge et de sucre mentholé.

— Je te préviens, je reste pas tard.

— Tu dis ça depuis qu’on a dix-sept ans, répliqua Damien en s’asseyant à côté. T’as pas besoin de tomber amoureux ce soir. Juste… d’exister un peu hors de ta tête.

Evans regarda autour de lui. Des gens dansaient sans se soucier de rien. Des filles riaient à gorge déployée, des hommes s’approchaient, offraient des sourires.

Il se sentait comme une île dans un archipel dont il ne parlait pas la langue.

Kyle revint du bar, un grand sourire aux lèvres et deux verres à la main, accompagné d’une fille qu’Evans n’avait jamais vue.

Elle avait ce genre de présence tranquille qui détonnait avec le bruit ambiant. Robe simple, regard direct, pas maquillée à outrance. Un contraste presque troublant.

— Evans, je te présente Zoé. Une étoile perdue dans cette galaxie de décibels. Zoé, voici mon pote le plus mélancoliquement fascinant.

Evans leva les yeux vers elle, un peu pris au dépourvu.

Ses longs cheveux blonds, d’un ton presque solaire, retombent en vagues naturelles sur ses épaules et son dos. Ils semblent capter la lumière à chaque mouvement, accentuant cette aura lumineuse qui l’entoure.

Son visage est délicat, aux traits bien dessinés, une petite cicatrice au-dessus de sa lèvre – vestige ancien, presque effacé – venait rappeler que sa douceur était une victoire, pas un trait de caractère.

De grands yeux bleu éclatant, vifs, profonds, presque perçants dans leur douceur. On y lit des émotions à peine contenues, des souvenirs, des rêves, des douleurs.

Sa peau est claire, veloutée, avec cette fraîcheur qu’on associe aux débuts d’été. Elle a une grâce naturelle dans ses gestes, une élégance non travaillée. Sa robe noire brillante pouvait laisser voir ses courbes fines.

— Salut, dit-il simplement. Sûrement un peu perturbé.

— Salut, répondit-elle avec un sourire léger, presque timide, mais pas maladroit. Elle tenait son verre à deux mains comme une tasse de thé.

— C’est la fille dont je t’ai parlé, expliqua Kyle. On a parlé du fait que la vie est un immense dancefloor quantique. C’était logique de vous faire vous rencontrer.

Evans esquissa un demi-sourire, mi-amusé, mi-gêné.

— Tu parles toujours comme ça ? demanda Zoé, en jetant un regard amusé à Kyle.

— Malheureusement, oui, soupira Evans.

Elle rit doucement. Un rire discret mais authentique.

— C’est rafraîchissant. Un peu étrange. Mais rafraîchissant.

Il y eut un petit moment de flottement. Un de ceux où personne ne sait quoi dire, mais où personne ne veut non plus partir.

Zoé finit par se tourner vers lui.

— Tu veux danser ?

— Je… je suis pas très bon à ça.

— Moi non plus. C’est parfait.

Il la suivit, sans trop réfléchir. Pas parce qu’il en avait envie, mais parce qu’elle avait ce genre de calme qui vous donne l’impression que tout va ralentir autour d’elle.

Zoé attrapa sa main sans insister, l’entraîna doucement vers la piste.

La musique battait fort, les lumières dessinaient des halos incandescents dans l’air saturé.

Pourtant, entre eux, tout semblait plus lent.

Evans n’avait jamais été à l’aise sur une piste de danse.

Mais là, ce n’était pas de la danse. C’était autre chose. Une proximité feutrée. Un rythme qu’ils inventaient à deux.

Zoé se tenait à peine à quelques centimètres de lui. Ses mouvements étaient doux, fluides, presque imperceptibles. Elle ne cherchait pas à briller. Juste à être là. Présente. Réelle.

Il sentit son propre corps s’abandonner, peu à peu. Ses gestes devenaient moins rigides, son souffle plus régulier. Il suivait ses pas, ou peut-être qu’elle suivait les siens. Il ne savait plus et pour la première fois depuis longtemps, il ne cherchait plus à comprendre. Il se laissait porter.

Il savait seulement que son regard était là, posé sur lui, et qu’il ne voulait pas fuir ce regard.

La chanson changea.

Plus lente. Plus grave. Les basses résonnaient comme un battement de cœur souterrain.

Zoé se rapprocha, posa une main légère sur son épaule.

Evans sentit sa gorge se serrer, mais il ne recula pas.

— Tu penses souvent trop, dit-elle, les yeux dans les siens.

Il cligna des paupières. Elle avait murmuré ça comme une évidence, pas un reproche.

— C’est vrai, répondit-il. J’ai croisé cette fille et elle me hante.

— Là, tout de suite… tu pourrais juste… être sans elle. Tu crois que tu peux essayer ?

Il hocha la tête.

Ils restèrent ainsi, presque immobiles, comme suspendus dans cette chanson.

Les lumières pulsaient autour d’eux, mais lui ne voyait qu’elle.

Il sentit son parfum, subtil, un mélange de fleurs et de quelque chose de plus chaud, de plus dense. Quelque chose de vrai.

— Tu sais, ajouta Zoé, je crois que les silences en disent souvent plus long que les phrases. Mais toi, t’as un silence… habité.

Evans la regarda, surpris.

— Habité ? Par quoi ?

— Par des choses que tu n’oses pas dire. Et je trouve ça… beau.

Elle glissa ses doigts sur sa nuque, un geste à peine perceptible.

Puis son visage se rapprocha. Lentement. Comme une évidence.

Evans sentit ses lèvres effleurer les siennes. Un baiser. Doux. Léger. Pas un feu d’artifice. Plutôt une braise. Discrète. Persistante.

Quand leurs visages se séparèrent, leurs fronts restèrent proches.

— T’es différente, murmura Evans.

Zoé sourit doucement.

— Toi aussi. Mais je crois que c’est pas une mauvaise chose.

Et ils restèrent là, à danser encore un peu, sans plus parler.

Deux âmes au milieu du chaos, cherchant un refuge temporaire dans un moment qui n’était peut-être pas fait pour durer… mais qui existait. Pleinement.

Ils avaient quitté le club sans un mot, mains entremêlées dans la moiteur de la nuit. Les rues étaient calmes, brillantes de pluie fine. Elle marchait légèrement en avance, tirant doucement Evans vers l’inconnu, vers elle. Il la suivait sans réfléchir, comme happé par quelque chose d’irrésistible.

Chez elle, l’appartement était petit, baigné d’une lumière chaude, tamisée. Des vinyles empilés, une bougie allumée oubliée sur une étagère, une plante trop grande pour le pot. Le lieu avait quelque chose de vivant, de vrai. Comme elle.

Ils s’étaient embrassés à peine la porte refermée.

Un baiser plus intense, plus profond.

Elle avait posé ses mains sur son torse, l’avait attiré contre elle avec une urgence douce.

Le silence entre eux n’était pas vide, il vibrait.

Ses gestes étaient précis, calmes.

Elle défit les boutons de sa chemise un à un, comme si elle ouvrait un secret.

Lui, il la regardait, fasciné par la lenteur maîtrisée de ses mains, par sa peau dorée sous la lumière.

Il lui ôta sa robe, et la découvrit.

Pas comme on déshabille quelqu’un.

Comme on accueille.

Ses doigts glissèrent sur la courbe de sa taille, la douceur de son dos.

Zoé le guida jusqu’à sa chambre.

Les draps étaient froissés, encore chauds.

Elle s’allongea, l’attira à elle.

Son corps contre le sien. Peau contre peau.

Un frisson.

Ils se touchèrent longtemps. Pas de précipitation.

Leurs souffles s’accordaient, cherchant un rythme commun.

Il embrassa sa clavicule, ses épaules, la naissance de ses seins.

Elle pencha la tête, ferma les yeux, s’offrant à cette lenteur nouvelle.

Les draps glissèrent autour d’eux comme une mer tiède.

Ils s’exploraient, se goûtaient.

Le bout de ses doigts sur sa hanche. Sa bouche contre sa nuque.

Chaque geste devenait langage. Chaque soupir, une phrase inachevée.

Quand ils firent l’amour, ce fut sans mot, presque sans bruit.

Juste ce murmure du corps qui s’accorde à un autre.

Ce balancier, cette tension douce entre désir et tendresse.

Elle s’accrochait à lui comme à une vérité passagère.

Il la regardait comme on regarde un miracle qu’on ne comprend pas.

Leurs corps glissaient l’un contre l’autre, se cherchaient, se retrouvaient, encore.

Il n’y avait plus rien d’autre.

Ni elle. Ni l’ascenseur. Ni la douleur du manque.

Juste cette nuit. Ce moment.

Quand ce fut fini, ils restèrent là, nus, emmêlés.

Elle posa sa tête contre son torse, son souffle chaud contre sa peau.

Il caressa ses cheveux du bout des doigts.

— T’es dans ta tête, souffla-t-elle doucement.

— Un peu.

— Elle y est encore ?

Il hésita. Puis dit la vérité, d’une voix basse :

— Moins qu’avant.

Zoé releva la tête, l’embrassa sur ses lèvres, puis se blottit contre lui.

Il ferma les yeux, la serra un peu plus fort.

Et cette nuit-là, pour la première fois depuis longtemps, il dormit sans rêver.

Et parfois, c’est dans le silence que commence vraiment l’histoire — comme une note tenue qui précède le chant.

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