Chapitre 16 : Les échos d’un instant

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Lena appuie sur le bouton de l'ascenseur en attendant qu'il arrive, perdue dans ses pensées. Elle n'a pas vu le temps passer ce matin et se sent un peu nerveuse à l'idée de commencer une nouvelle journée de travail. En attendant, elle vérifie son téléphone pour une dernière fois. Pas de message de la part d'Evans. Elle secoue la tête, se rappelant de la conversation qu'elle avait eue avec Gaëlle la veille sur l'attente, l'incertitude…

Les portes de l’ascenseur glissèrent en silence. Lena n’eut pas le temps de lever les yeux qu’une silhouette familière se découpa dans la lumière pâle de la cabine.

Elle s’arrêta net. Son souffle se suspendit.

C’était lui. Evans.

Son cœur, d’un coup, accéléra — une pulsation vive, incontrôlée.

Il était là, déjà à l’intérieur, appuyé contre la paroi comme s’il l’attendait. Détendu en apparence, mais ses yeux, eux, la fixaient avec une intensité douce, presque trop calme. Un sourire en coin naquit sur ses lèvres, ce genre de sourire qui désarme sans bruit.

Contrairement à elle, il ne semblait pas surpris. Comme si cette rencontre n’était pas un hasard… mais une évidence.

Lena, un peu prise au dépourvu, s'efforce de garder son calme.

— Encore toi. Lance-t-elle en essayant de rendre la situation légère.

Evans la regarde avec amusement, son ton ironique flottant dans l'air.

— On dirait bien. L'univers semble avoir un sens de l'humour, non ?

Elle hoche la tête, un sourire en coin. Puis, comme si la question l'avait taraudée depuis un moment, elle se lance :

— Alors, ce message, il était où ? Je pensais que j'allais recevoir une réponse, mais rien. Elle le dit sur un ton à la fois taquin et un peu plus sérieux.

— T'as changé d'avis sur le fait de m'écrire ?

Evans paraît un instant un peu pris de court. Il détourne légèrement le regard, puis revient sur elle, visiblement gêné, mais aussi sincère.

— Je suis désolé. J'ai été… occupé, distrait. Et je n'ai pas trouvé les bons mots. Je ne voulais pas te laisser dans l'attente.

Lena se sent légèrement apaisée par cette sincérité, même si une part d'elle reste un peu piquée par l'absence de message.

— C'est un peu brutal, non ? Après notre rencontre… tu pourrais m'envoyer un simple message, histoire de ne pas me laisser dans le flou.

Un sourire se dessine sur les lèvres d'Evans, ce sourire qui semble plus sincère qu'il ne l'a jamais été.

— Tu as raison. Je me suis un peu laissé emporter. Alors, pourquoi ne pas rattraper ça avec un café ?

Lena, surprise, mais aussi curieuse de savoir où cela pourrait mener, lève un sourcil.

— Un café, hein ? Et tu crois que je vais vraiment manquer le travail pour ça ?

— Je dirais que tu fais ce que tu veux… mais un café me semble être un bien meilleur choix que de courir toute la journée en pensant à un message qui n'est jamais arrivé.

Elle le regarde un instant, hésitant entre répondre par une plaisanterie ou accepter. Finalement, l'idée de passer un moment avec lui, même si ça signifie arriver en retard au travail, l'attire.

— D'accord. Un café. Mais attention, je pourrais être en retard de quelques heures.

Evans rit doucement, un rire tranquille, et les portes de l'ascenseur s'ouvrent. Ils sortent ensemble, leurs pas se synchronisant comme une sorte de danse.

— Je ne te retiens pas trop longtemps, promis. Dit-il en la regardant avec un sourire plus léger, un peu moins chargé de doute.


Le café n’est qu’à quelques rues de là. Evans guide Lena dans les ruelles animées de la ville, son pas calme, mais sûr. Le matin commence à s’éclaircir, et la ville prend peu à peu vie autour d’eux. Ils arrivent dans un petit café discret, avec des murs en briques, des plantes suspendues aux fenêtres et l’arôme du café fraîchement moulu flottant dans l’air. L’ambiance est intimiste, loin de l’agitation du monde extérieur.

— Tu viens ici souvent ? demande Lena, se laissant emporter par l’atmosphère plus détendue de l’endroit.

Evans secoue légèrement la tête, un sourire en coin. "Pas vraiment. C’est l’un de mes endroits secrets. Le genre où tu peux être tranquille et où les gens ne te dérangent pas."

Elle acquiesce, visiblement plus à l’aise. L’endroit lui plaît, et l’idée d’avoir un moment calme avec lui semble presque réconfortante.

Les tables en bois usé étaient serrées les unes contre les autres, et quelques chaises à coussins dépareillés ajoutaient un air décontracté. L’odeur du café frais se mêlait à celle des pâtisseries sortant tout juste du four. La lumière douce, filtrée par de grands rideaux en lin blanc, baignait l’endroit d’une chaleur apaisante.

Ils s’installent à une table près de la fenêtre, et Evans passe la commande pour eux deux, en toute simplicité.

— Je ne sais pas trop ce que tu préfères, alors je vais prendre deux cappuccinos. C’est assez safe, non ?

— C’est parfait. J’adore le cappuccino. Lena sourit, se sentant un peu plus détendue.

Autour d’eux, quelques clients murmurant entre eux, une vieille dame absorbée dans un livre, et un couple d’étudiants absorbés dans une discussion animée. Le bruit des tasses qui s’entrechoquaient, la machine à espresso qui grondait dans un coin, tout cela se mêlait en une sorte de fond sonore constant, presque rassurant. Mais à leur table, l’atmosphère était plus intime, chargée de cette tension silencieuse qui flottait entre eux, palpable mais non dite.

Lena se sentait presque en décalage avec ce monde calme qui continuait de tourner autour d’elle. Les voix basses des autres clients, les éclats de rire lointains, tout cela semblait venir d’un autre univers. Ici, il n’y avait qu’elle et Evans, leurs tasses entre les mains, et le silence qu’ils partageaient à chaque fois que l’un ou l’autre hésitait à parler.

Elle brisa ce silence en prenant une gorgée de son café, la chaleur de la boisson la réconfortant un peu, bien que la question restait suspendue entre eux.

— Tu sais, je pensais qu'un message serait plus simple, commença-t-elle, brisant le silence. Pas ce genre de rendez-vous improvisé…

Elle baissa les yeux un instant, observant la vapeur s’échappant de la tasse. Un bruit de chaises qui raclaient contre le sol les fit légèrement sursauter, et Lena réalisa que son cœur battait un peu plus vite que d'habitude. Le café était peut-être tranquille, mais ses pensées étaient en ébullition.

Evans la regarda, un sourire en coin, puis haussant les épaules comme si tout cela ne les regardait pas vraiment.

— C’est vrai. Mais il y a un truc avec toi, Lena. Je… je ne sais pas comment expliquer ça. Je n’arrive pas à me contenter de simples mots, ou de textes froids. Je préfère être là, en face de toi. C'est un peu idiot, non ?

Lena le scruta un instant, observant les petites rides qui se formaient autour de ses yeux lorsqu'il souriait. Elle sentit une pointe de douceur dans son regard, mais elle ne voulait pas se laisser emporter par cette simple complicité naissante.

— Non, c’est pas idiot, répondit-elle après un instant de silence. Mais... il y a un peu de pression dans tout ça, non ? Je veux dire, on se retrouve à parler comme si on se connaissait depuis des années, mais… ce n’est pas vraiment le cas.

À ce moment-là, un bruit de porte s’ouvrit, et une serveuse passa près d’eux, un plateau de gâteaux dans les mains. L’odeur sucrée de chocolat et de noisettes envahit l’air. Les clients autour d’eux semblaient complètement absorbés dans leur quotidien, comme si rien de ce qui se passait à leur table n’était aussi important. Mais pour Lena et Evans, chaque mot, chaque silence, prenait des proportions énormes.

Il la regarda intensément, semblant chercher ses mots, et quand il les trouva, ils étaient simples, directs.

— Je comprends. Mais, tu vois, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’on pourrait découvrir des choses intéressantes l’un de l’autre, sans se précipiter dans les jugements. On n’est pas obligés de tout résoudre dès le premier café. Je ne veux pas que tu te sentes… obligée, si c’est ce que tu ressens.

Lena déglutit, ses yeux se perdant un instant dans la lumière tamisée qui filtrait à travers les rideaux. La scène autour d’elle se flouta légèrement, comme si elle se trouvait dans une bulle, séparée du monde extérieur. Elle prit une grande inspiration, puis fixa Evans.

— Ça me fait un peu peur, tout ça. C’est facile de rester dans l’inconnu, de rester un peu loin, dans une sorte de non-dits confortables. Mais au fond, est-ce qu’on est vraiment en train de se connaître, ou est-ce qu’on se cache derrière des sourires et des paroles maladroites ?

Elle posa sa tasse, un peu plus durement qu’elle ne l’aurait voulu. Le bruit de la cuillère frappant la céramique résonna dans l’espace calme, comme un écho de ses propres pensées.

Evans se pencha en avant, ses yeux gris métallique rencontrant les siens avec une intensité nouvelle.

— Peut-être qu’on ne se connaît pas encore, admit-il. Mais je crois qu’on pourrait. Et je ne veux pas te faire peur, Lena. Je ne veux pas que ça soit compliqué, ni rapide. Juste… être là, pour voir ce que ça donne.

Les bruits du café semblaient s'éloigner encore un peu, comme si le monde entier attendait qu'elle fasse le prochain mouvement. Lena se sentit, pour la première fois depuis qu'ils étaient ensemble, un peu plus légère, comme si ce petit café avait agi comme un pont fragile entre eux. Mais elle savait qu’il y avait encore beaucoup à dire, et que ce moment n’était que le début.

Elle prit une autre gorgée de son café, savourant la chaleur. Elle se permit un petit sourire.

— Et si on attendait, un peu ? Si on prenait juste ce café sans se poser trop de questions ? C’est déjà un début, non ?

Le sourire qui illumina le visage d’Evans sembla effacer une partie de l’incertitude dans l’air.

— D’accord. Juste ce café, alors. Et pas de pression. Ni de questions.

Lena se sentit plus légère. Le monde extérieur, avec son bruit constant et ses distractions, semblait s'éloigner alors qu’elle plongeait dans cette rencontre. Le café, le silence partagé, les regards échangés, tout cela était peut-être plus significatif qu’elle ne l’avait imaginé.


Le café était devenu un refuge éphémère, un moment suspendu où ni l’un ni l’autre ne semblait vouloir briser le sort qui venait de se poser sur eux. Lena ressentait un étrange mélange de légèreté et de nervosité, comme si chaque geste, chaque parole, avait un poids supplémentaire.

Ils avaient discuté de tout et de rien, de leurs vies, de ce qui les amenait à se croiser là, mais tout semblait revenir à cette question, non formulée, qui flottait entre eux. Que faire maintenant ?

Evans, pourtant si tranquille à l’habitude, se leva brusquement, brisant le silence confortable qui les entourait. Il attrapa sa veste, jetant un regard vers Lena, presque hésitant.

— Je... je suppose qu’il est temps pour nous de repartir dans nos vies respectives, non ?

Lena se leva à son tour, sa tasse encore pleine mais son esprit déjà ailleurs. Elle hésita, ses yeux cherchant un dernier signe, un dernier regard qui lui dirait que tout ça ne se terminerait pas sur une note banale.

— C’est ça, la vie ? finit-elle par dire, un sourire un peu triste aux lèvres. Toujours repartir... comme si de rien n’était ?

Evans sembla réfléchir un instant, avant de s’approcher d’elle d’un pas hésitant, comme si la distance qu’ils avaient parcourue jusque-là n’était pas suffisante pour combler la tension qui se faisait de plus en plus palpable entre eux.

D’un geste maladroit, il se pencha pour poser un baiser rapide sur sa joue, un geste à la fois tendre et maladroit, presque trop timide pour l’intensité de ce qu’ils venaient de vivre.

— Je suis désolé pour ce matin... je... j’ai hésité, mais ça ne se reproduira pas, je te le promets, murmura-t-il, le regard fuyant.

Lena sentit un frisson lui parcourir la peau, un mélange de plaisir et de confusion. Elle baissa les yeux, cherchant à dissimuler le léger tremblement de ses mains.

— Ce n’est pas grave, tu sais. Parfois, il faut simplement... se laisser le temps.

Elle se redressa, attrapant sa sacoche avec un air soudainement absent, prête à partir. Mais quelque chose dans son ventre, cette petite boule d’appréhension qui ne semblait pas vouloir la quitter, lui disait qu’il y avait encore quelque chose à dire. Quelque chose à ajouter. Mais elle ne savait pas quoi. Elle inspira profondément, cherchant un peu de clarté dans ses pensées embrouillées.

— Bon, je vais être en retard. Merci pour le café, Evans. C'était agréable. Très agréable.

Elle esquissa un sourire avant de tourner les talons et de quitter le café, son cœur battant plus fort à chaque pas, tout en se rendant compte qu’elle n’était pas prête à laisser cette rencontre derrière elle. Pas encore.


Lena traversa la rue, ses pas un peu plus légers qu’à l’habitude, mais toujours aussi pressés. Elle avait quitté le café avec un sourire qu’elle n’arrivait pas à effacer, malgré la culpabilité de son retard. Le cœur battant un peu plus fort que d'habitude, elle se rendit compte que l’instant qu’elle venait de vivre n’était pas totalement derrière elle, comme si une partie d’elle restait suspendue là-bas, avec Evans. Elle chercha dans sa poche son téléphone, et en voyant l’heure, une vague de panique la traversa.

Elle avait complètement oublié l’heure. "Génial", pensa-t-elle, en se hâtant vers le bureau. Le travail allait la rattraper, et pourtant, au fond d’elle, une part de son esprit restait ancrée dans ce café, dans ce moment partagé, dans ce baiser maladroit. Elle secoua légèrement la tête, comme pour chasser cette pensée et se concentrer sur la réalité.

En passant devant l'entrée de l'immeuble, son téléphone vibra dans sa main. Elle s’arrêta un instant, hésitante. Elle regarda l’écran, un message d’Evans.

"Je suis content que tu sois venue. À très bientôt."

Lena se retrouva là, une fraction de seconde suspendue dans le temps. Elle sourit, presque nerveusement, avant de ranger son téléphone dans sa poche et d'entrer dans le bâtiment. Un dernier soupir d’air frais, et elle franchit la porte du bureau, la tête pleine de questions et de sensations nouvelles.

Et tandis que la porte du bureau se refermait derrière elle, Lena sentit encore sur sa joue le poids invisible d’un baiser qu’elle n’était pas prête à oublier.

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