CHAP 1 4-5

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J’ai du mal à lui rester collé au derche, c’est rare que ma cible m’autorise à la suivre, mais ça me permet de prendre la mesure de sa conduite, étrangement respectueuse du code de la route pour un gars du cru qui manie un tel bolide. Et qui est « à la bourre ». Grand Jean n’est pas net, Grand Jean cache des trucs. Un frisson me démange les lombaires, signe que je renifle la merde. Une montée d’adrénaline brutale me fait trembler, mon cœur bat la chamade jusqu’à me résonner aux tempes. Ça faisait longtemps et ça fait du bien. Il n’est plus question de faire plaisir à Dom pour toucher mes biffetons. Plus question d’échapper à mon quotidien calamiteux. Il n’est plus question que de Jean, son Cayenne, Léon et ses caisses de gnôle, en partance vers une destination inconnue. Je retrouve des sensations, enfin. Mes pensées fuient pour de bon, je suis au présent, je ne pense plus, je laisse glisser. L'instinct prend le dessus. La vie s’est interrompue autour de nous. Nous sommes seuls sur la route, dans un face à face latent voilé par le doute. Nous rejoignons vite la départementale, l’ami Jean joue d’un quatre vingt qu’il me démange d’infractioner. C’est long, très long. J’entame un Seek of It All, me roule une clope en conduisant du genou, coupe la musique. C’est trop, je laisse le ronronnement du moteur et la route marquer le rythme. Le temps joue sur mes nerfs. Je suis déjà fébrile, alors que la filature n’a même pas commencé. Chasser les pensées parasites, les doutes, s’accorder avec ma cible qui file tranquillement devant moi.

Nous arrivons à Morlaix. Je reconnais la zone industrielle qui précède l’échangeur, quelques vingt minutes plus tard. J’expulse puissamment un souffle alcoolisé, c'est maintenant que ça devient sérieux. Jean entame le rond-point, me salue d’un coup de warning avant de prendre direction « Brest ». Donner le change. Je traverse un pont, direction Est-Coast, sans le perdre des yeux. Il garde le cap, s’insère pour de bon sur la nationale, je fais le tour du rond-point, coupe mes feux. Demi-tour à toute blinde, retour direction Brest. Je ne le vois plus, le Golgoth a peut-être décidé de me semer. J'enfonce l'accélérateur, le turbo du Tacot émet un sifflement qui monte dans les aigus en nous propulsant. Le timing est parfait, je le recolle quand il emprunte la sortie la plus proche, et tourne vers l’intérieur des terres. Une zone artisanale déserte, encore, je lui laisse de la marge, accélérant lorsqu’il disparaît dans un virage, pour le laisser repartir jusqu’à la prochaine intersection. L’élastique ne dure pas longtemps. Nous rejoignons une départementale non éclairée. Je ne suis plus qu'à une dizaine de mètres, fuex éteints, c’est lui qui m’indique les trajectoires. Je ne vois plus les panneaux, ni le décor, je suis perché aux deux points rouges qui filent dans la nuit. Un écart, je morfle. La filature devient physique, mes sens s’aiguisent, des stocks d’adrénaline chassent la fatigue et l’ivresse.

Je garde le rythme, mais ça dure bordel ! Gros coup de mou, quand la route se transforme en lacet autour de collines abruptes. Je me sens dévissé, me rétablis alors que le Taco crisse doucement. Jean prend de la distance. Le temps n’est plus qu’un compte à rebours, au terme duquel je freinerai pour faire demi-tour. J’ai du mal à garder la cadence à mesure qu’il s’éloigne, ses mouvements sont plus durs à anticiper, la rupture est proche. Il disparaît dans un lacet, je rallume mes feux le temps de franchir la courbe et constate qu’une nature sauvage m’entoure, une forêt dont je ne perçois que les cimes de grands arbres, qui dépassent depuis une petite ravine. Puis la chance, il en faut, une nouvelle ligne droite. Je coupe mes feux, le Cayenne file devant moi à une centaine de mètres, je parviens à réduire l'écart.

La fin est abrupte. Il ralentit, braque à droite pour emprunter un chemin qui serpente entre les champs. Je m’arrête net au milieu de la route déserte. Soit Grand Jean m’a repéré et a pris un chemin de traverse, soit il arrive à destination et s’engouffrer à sa suite devient trop risqué.

Je m’extrais du taco, à l’affût, me figurant, au bruit du moteur, le Cayenne qui progresse lentement sur le chemin cahoteux. Puis le silence. La vie nocturne s’est tue à l’arrivée des intrus, une grosse lune éclaire les champs. Les sous-bois en bordure sont gorgés d’ombres menaçantes. Malgré la clarté et la terre nue, ma cible a dsparu, avalée par les ténèbres. Claquements de portières synchronisés, loin devant. Grand Jean et Léon sont sortis.

Je pourrais m’arrêter là, je suis plus que bon. J’ai mis le nez sur une livraison suspecte, avec un type dont j’ai la plaque qui disparaît à travers champs avec ma cible. Il sera temps de s’intéresser à son cas plus tard, une fois son identité établie. Ce serait même une affaire rondement menée, avec quelques heures en bonus pour conclure. Pourtant, après tout ce temps, je suis comme un puceau qui se rend à sa première boum. J’allais jusqu’au bout au début, à la recherche du coup d’éclat. J’enregistrais les ébats sur dictaphone à travers la chambre d’hôtel. Je me faufilais sur le parking pour filmer le coït à travers la vitre arrière. Je roulais un patin à ma cible en club échangiste. Puis je me la racontait avec mes confrères frais émoulus, ça devennait le concours de celui qui a la plus grosse. Celle du type qui ballotait entre ses cuisses, alors qu’il traversait son jardin à poil en chargeant son fusil, avait des proportions raisonnables, mais je m’en rappellerai toute ma vie. La photo, je ne l'ai pas faite. Mais la vision est restée nette, elle revient en piqûre de rappel dès que je m’apprête à faire le Fangio. Rester là, caché à attendre. Partir. Continuer. Je dois prendre une décision. Le plus raisonnable serait de lâcher l’affaire. Ou je peux aussi faire un comeback dans les grandes largeurs, en souvenir du bon vieux temps. J’en jubile comme un gosse de douze ans qui va faire une bonne connerie, ignorant le frisson qui me remonte les lombaires comme un avertissement.

5

Je suis bien réveillé maintenant. La tension et l’adrénaline ont réduit mon taux d’alcool, la sensation d’un danger imminent bat mes tempes, mes sens s’affutent, je me suis habitué à l’obscurité. Le Tacot est garé sur un bas-côté, assez large pour que je n’aie pas à le déplacer. Je réduis mon paquetage au minimum : lampe frontale et caméra, enfournées dans un sweat à capuche noir, dont je ferme les poches. Je troque mon jean contre un treillis épais, mes baskets contre des chaussures de randonnée. Mes papiers sont planqués sous ma roue de secours, dans le coffre, sous mon tapis de sol. Les téléphones idem, une fois ma position enregistrée sur Google-Maps. Un instant à ne penser à rien sur mon siège, une gorgée pour la route, le stress que j’expulse d’un souffle puissant. Revisse, dans la boîte à gants, c’est parti.

Bientôt je fais face au chemin qui court entre les champs nus, enveloppé par le voile bleuté de la nuit. Il continue sur cent cinquante mètres en ligne droite, puis se perd en un large coude dont le bord droit s’élève en talus. Je m’engage, tentant régler mes pas mordant la terre glaise, pour être le plus silencieux possible. De fait, je relève que deux voitures ont imprimé des ornières boueuses, dont je suis le fil sans en voir le bout. Nouvelle pause parvenu à l’entrée du coude, cherchant des bruits d’activité humaine. Rien... Je continue, ma vue masquée par le talus qui s’élève à l’intérieur du virage. Je lui tourne le dos puis quitte le chemin pour une reconnaissance depuis le champ d'en face, jusqu’à apercevoir le chemin plongeant dans le sous-bois. Sur la nationale, au-dessus, l’éclat d’un lampadaire fixe l’air humide de gouttelettes maigres. Je me concentre sur la silhouette opaque de grands arbres serrés et finis par trouver ce que je cherche : de faibles reflets mécaniques pris au piège de la pénombre, à l’orée du bois. Deux voitures. Je reste un instant immobile, accroupi, les bras passés sur les genoux, jusqu’à maîtriser ma respiration en souffles profonds. Quelques instants encore à scruter, puis je reconnais l’arrière relevé du Cayenne et celui d’un utilitaire. D’où je suis, peu probable qu’ils puissent me voir. Réciproquement : impossible de savoir si leurs propriétaires sont encore sur place.

Je quitte le champ et rebrousse chemin, jusqu’à ce que le talus soit assez bas pour être escaladé. D'une traction sèche, je monte puis m’éloigne du bord. Je ne perçois plus que la cime des arbres, je repique vers eux. Mes pieds sont retenus par la terre spongieuse, la progression est laborieuse. J’ai le souffle court, les jambes sciées, les toxines fuient à grosses gouttes par tous les pores de ma peau. Je distingue des troncs pâles qui flottent dans la nuit, l’ombre de la forêt croît jusqu’à devenir oppressante. Bientôt, il n’y a plus qu’elle. Il est temps de retourner vers le chemin.

Un grincement rouillé et lugubre retentit nettement, quelque part dans les bois. Nouvel afflux d’adrénaline, je retiens mon souffle, le silence retombe. Je scrute en vain, à la recherche de la lumière d’une torche, à l’affût du prochain bruit. Rien. Je me calme, avalant goulûment l’air frais. Je fais le vide pour éveiller mes sens, constatant que malgré la fatigue de l’effort, je n’ai pas été aussi lucide depuis longtemps. Frisson d’excitation. Je suis bien.

Je me sens vivant… Surfer sur la vague sans céder à un dangereux syndrome d’invincibilité, avancer sur un fil tendu à l’extrême sans regarder le vide dessous, ne plus hésiter, prendre des décisions instantanées et fluides. Ralentir le pas alors que je devine le chemin. Tenter de percevoir une présence dans la forêt. Entendre, reconnaître, localiser les sons qui troublent inhabituellement la nuit. Toujours rien. Je suis proche du talus, m’allonge sur le terreau noir, puis rampe jusqu’au bord pour apercevoir le contre bas.

Je les distingue mieux cette fois ci, les deux voitures échouées comme des anomalies mécaniques sous le dôme de végétation. Le chemin s’est transformé en une large bande de gazon ras qui disparaît dans l’obscurité.

Je glisse le long du talus, le longe rapidement, rejoins l’entrée du sous-bois, puis m’arrête pour appréhender mon nouvel environnement. L’atmosphère se confine. Un appel d’air fuyant à travers les feuillages nus fait frémir doucement le dôme, provoquant quelques grincements ankylosés. Rien d’anormal, tout semble cadrer dans le décor de hautes masses sombres. Sauf cette caresse glaciale à la base de ma nuque, qui diffuse une peur sourde. Mon détecteur à emmerdes qui se déclenche, je suis en train de faire une grosse connerie… Mais rien ne se passe. J’estime objectivement être le seul être humain dans les parages.

Le véhicule inconnu, un utilitaire Kangoo, est le plus proche. Je me plie et parcours rapidement les trois mètres qui me séparent de la carlingue, puis m’accroupis derrière le coffre. Prise d’informations. Aucun mouvement, aucun bruit. J’allume ma caméra, plonge la lampe à l’intérieur du pare choc pour l’enclencher, jusqu’à ce qu’en émane un faisceau rouge diffus et discret. J’éclaire la plaque du Kangoo tout en la filmant. Puis je me redresse prudemment : une buée ruisselante m’empêche de distinguer l’intérieur des véhicules. Je longe la carrosserie jusqu’au capot, constatant qu’un passager a laissé de petites empreintes sur le chemin boueux. Le moteur est froid, le véhicule est garé là depuis un certain temps.

J’éclaire le sol, progresse entre les deux voitures jusqu’à la portière du conducteur. Il a gravé une paire d’empreintes bien nettes en descendant, pied gauche, pied droit : talons et semelles larges, pointure moyenne. Potentiellement une femme. Ou non. Je ne suis ni expert en empreintes, ni en chaussures. Mais pas besoin d’être trappeur canadien pour interpréter les pas qui s’éloignent vers les sous-bois, rejoints par deux autres jeux, ceux de Grand Jean et de Léon.

Je les suis sur quelques mètres, puis range ma lampe pour m’acclimater à l'obscurité. Je cherche le ciel à travers les grands arbres et le trouve détrempé d’un nuage énorme qui tourbillonne d’encre noire. Une rafale s’engouffre depuis l’extérieur, elle vrombit à travers les arbres, annonciatrice du crachin qui recouvre la nuit d’un voile cristallin. Mes pupilles dilatées finissent par capter le contours de la végétation. Je suis la direction des pas sans les voir. Le dôme se rétrécit en goulot, les murs d’ombres torturées se rapprochent de chaque côté, la végétation dense finit par contenir la pluie en un calme oppressant. L’obscurité devient ténèbre, j’utilise ma lampe de plus en plus souvent. Pour finir je ne la range plus, éclairant le sol à ras de terre pour la rendre imperceptible. Le goulot rétrécit jusqu’à ce que j’en atteigne la limite : un sentier se dégage, serpentant entre des fougères. Je me retourne sans rien percevoir d’autre que les carrosseries des voitures, dessinées par les reflets lunaires. Je n’ai parcouru qu’une centaine de mètres. La fatigue s’abat d’un coup, tandis que la même démangeaison vicieuse s’enracine à ma troisième lombaire. L’atmosphère claustrophobique des lieux m'incite au demi-tour.

Fermer les yeux. Faire le vide. Ne pas réfléchir. Je m’engage à travers les hautes fougères, qui s’ébrouent à mon passage en projetant de grosses gouttelettes. Un mince filet d’eau coule de ma capuche au creux de ma nuque, provoquant un sursaut transi. Des ronces m’agrippent et retiennent mes vêtements, le chemin rétrécit. Je bute sur des racines, manque de tomber et laisse s’échapper un juron :

— Sa mère !

La nature est hostile, j'ai la désagréable impression qu'elle me rejette. Bientôt j’ai perdu ce putain de sentier, happé par la masse grise et mouvante de la végétation. Je tourne sur moi-même plusieurs fois, trop longtemps : je ne sais plus d’où je viens ni où je dois aller, je suis perdu.

L’angoisse broie sourdement mes tripes. Je m’élance, gagné par la panique, cassant et broyant les tiges, sans plus aucun souci de discrétion. J’éclaire les alentours, cherchant en vain une sortie à travers l’enchevêtrement d’arbres serrés. Je trébuche de nouveau, part à la renverse, puis m’écrase sur le dos d'une plainte désespérée. Je reste dans cette position pour reprendre mon souffle et mes esprits. Les fougères dansent en un ballet hypnotique, le nuage passe, emportant avec lui la pluie, la brise, l’obscurité. Je me redresse en même temps que l’abattement me gagne, car lorsque je parviens à me relever, je ne suis pas plus avancé : je suis toujours perdu. Calme. Je m’emploie à remonter ma propre piste pour me perdre à nouveau, piégé dans ce labyrinthe de végétation. Réfléchis… Sortir de ces putains de fougères. Rejoindre les arbres, les longer jusqu’à trouver une issue. Retrouver ce putain de chemin. Retrouver ma putain de caisse, des putains de vêtements secs, ma putain de gourde ! Et la vider. J’ai un but nouveau, je suis un homme nouveau. Fini toutes ces merdes. Qu’ils aillent tous se faire mettre !

J’avance jusqu’à la façade sombre formée par les bois, non sans manquer de me rétamer une nouvelle fois. Une anomalie devant moi : des plantes rampant vers le ciel, sur une surface plane et lunaire : un mur. Une maison peut être ? Maudite, perdue au fond des bois. Les ruines désertées d’un crime atroce, le repaire d’une famille cannibale… Je range ma lampe en urgence puis m’accroupis dans les fougères, aux aguets. Ma fuite en avant est irrémédiable : qui dit maison dit chemin, qui dit chemin dit maison, la mienne. Je reprends d’une démarche simiesque, le regard rivé au sol, concentré sur mes pas. Je finis par buter contre une souche sournoise, tombe mains en avant, mais me rattrape miraculeusement au mur en question. Il est haut ce mur, son sommet se perd dans l’obscurité. Il est large aussi, masqué par un filet de lierre et de ronces, je n’en vois pas le bout. Je comprends de fait qu’il ne s’agit pas d’une maison, mais de la nationale, qui surplombe le sous-bois. Qui dit route… On aura compris.

Rasséréné par cette trace de civilisation, je reprends ma progression en longeant le mur par là où l’itinéraire paraît le plus dégagé. Je ne lâche plus mon bloc de béton, ravageant les branches qui me barrent le passage, rampant s’il le faut sous un arbuste touffu. Je suis ressuscité par la promesse d’une bonne rasade, d’un bon cul sec posé sur mon siège moelleux. Peu importe si mes mains et mon visage se maculent de boue et de sang, martyrisés par la végétation vengeresse. Peu importe si mes vêtements lourds se gorgent d’eau. Peu importe si le crachin tombe derechef. Mon fil d’Ariane me guide vers un jour nouveau, forcément moins pire. Le passage s’élargit enfin. Quelques mètres plus haut, l’éclat fauve d’un lampadaire dessine le pourtour d’une rambarde de sécurité. Ma marche devient une course. Je m’irradie de sa lumière chaude, les yeux relevés vers lui, l’eau purifiant ma peau maculée.

Je n’ai pas le temps d’éviter le battant de la porte grillagée qui se détache sournoisement du pan de mur. Juste assez ouverte pour qu’une personne s’y glisse, pas pour le sot qui observe la lune sans regarder devant lui. J’ai baissé la tête à temps pour que mon front amortisse le choc, j’imagine sinon que ça se serait terminé en coup du lapin, ou la mâchoire enfoncée à l’intérieur du crâne. Une onde brutale stoppe mon élan, je titube en arrière. Un liquide poisseux et tiède recouvre mon œil droit. Je pars définitivement à la renverse, m’écrasant simplement sur le cul. La douleur vient après, quand je passe les doigts sur mon front endolori, lave brûlante projetée d’un volcan glacé jusqu’à l’arrière de mon crâne. Je suis sonné, de grosses tâches rouges et vertes voilent le décor tournoyant. J’ai froid, j’ai la gerbe, mes forces me quittent. Je suis en train de tomber dans les vapes. Pas ici, pas maintenant, pas avec des gus qui pourraient franchir cette grille à tout moment. J’ose un œil par l’entrebâillement, pour découvrir l’entrée d’un tunnel qui passe sous la route, plongé dans les ténèbres. Définitivement, allez tous vous faire mettre.

Je m’aide du mur pour me relever, mais commets l’erreur de le lâcher. Le décor tournoie violemment sans n’avoir plus aucun sens, je me vautre à pleine poire sur le sol. Haut et bas s’entremêlent, mes pensées deviennent incohérentes, confuses. Me remettre sur le dos demande un effort démesuré, je ne sais plus de quel côté me hisser, je le fais n’importe comment. Un petit crac, une fêlure quelque part, au niveau des mains. À l'aide de mon coude, je bascule sous le ciel obstrué d’une purée noirâtre. Une douleur fulgurante me remonte de l’annulaire aux tempes. Je m’étouffe d’un hurlement muet, tandis que les mouches viennent danser devant mes yeux.

Je m’aperçois que la phalange de mon petit doigt a pris un angle improbable, vers l’extérieur de ma main. Une bonne fracture, bien sévère. À peine le temps d'y penser. Feu d’artifice contre ma boîte crânienne, puis le noir.

Quelque chose me heurte les côtes. Quelque chose de connu qui émet un son, une phrase inintelligible.

— Bertrand ?

C’est moi Bertrand ? C’est quoi ce prénom à la con ? Vague souvenir d’une présence hostile. Nan, c’est moi qui suis hostile.

— Qu’est-ce que tu fous là ?

Aucune idée. Nécessité de fournir une excuse, que je baragouine sans en saisir le sens. Une silhouette démesurée se dessine dans un décor inconnu. L’homme n’a pas l’air content. Laisser couler… Je referme les yeux, je les ai ouverts trop tôt. La suite ne me concerne pas. Pas encore. Malgré mon corps qui n’a jamais été aussi lourd, je me sens traîné comme un fétu de paille. Mes pieds rebondissent mollement au sol, ma respiration est coupée par une poigne au collet, j’ouvre les yeux. Le tunnel défile sous moi, à la lueur d’une lampe de poche. Je redresse brièvement ma trogne sur le lierre qui court à l’horizontale contre les murs. Je ne devrais pas être là. C’est la merde. Je formule une injure sur le voile noire qui me recouvre.

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