CHAP 4 3

4 minutes de lecture

3

Sûr qu’ils sont à mon cul ces enculés. Un bon snif me met les idées d’équerres, ça fait fuser ma parano, ils veulent tous ma peau ! Ne rien foutre est un calvaire bien connu dans le job. Là c’est pire. La beuh a fait long feu, je suis revenu dans ma boucle obsessionnelle, je suis hanté en permanence. Je ne dors plus, cauchemarde éveillé. La coke m’aide, mais le stock n’est pas intarissable. La musique est insipide, le moindre équarrissage de Game Of Thrones me donne des crises d’angoisse, les coups de feu de mon Battelfield 3 me rappellent Jer pointant son flingue sur moi. Ça y est, je vire maboule. Je dois penser à autre chose, je dois faire autre chose. Ma nouvelle addiction anxiogène ne m’y aide pas : BFM TV ; qui livre sa version des faits sur fond de musique à suspens :

« C’est au lendemain d’un orage sans précédent, à l’origine de nombreux incendies dans la région, que les pompiers font une macabre découverte dans une cabane isolée de la commune de Scrignac. Sous les décombres fumants de la maison, le cadavre d’un chien et deux corps humains : celui d’un inconnu égorgé par la bête et celui de Jean Taleg, torturé, poignardé et abattu de plusieurs balles dans le dos. Le fait divers sordide se transforme en véritable scénario de film d’horreur, lorsque les gendarmes découvrent les restes d’objets de culte satanique. Jean Taleg, décrit par son entourage comme serviable et gentil, aurait, selon les premières conclusions de l’enquête, été victime d’un rituel sacrificiel. L’occupante des lieux, une mineure de dix-sept ans, vivait ici recluse depuis plusieurs années et « Grand Jean », comme l’appelaient les gens du coin, était son seul lien connu avec la communauté. Les habitants de cette commune paisible sont sous le choc… »

Je tête frénétiquement au goulot de mon Jack Daniels, l’achève et balance son cadavre à même le sol, parmi les restes de ses congénères. M’ouvre une nouvelle bouteille, rallume un mégot de clope, fais les cent pas. C’est qui cet enculé qui squatte sous ma fenêtre ? Dix minutes qu’il est garé là. Je gratouille nerveusement mon moignon, l’observe bien, essaye de le deviner à travers son pare-brise, mais il reste flou. Fuck ! M’envoie une bonne lampée, ça remonte en hoquet dégueulasse. J’ai la gerbe, me force à en boire une deuxième, ça passe. À la télé, un gradé de la gendarmerie fait une déclaration solennelle aux journaleux :

« L’intervention des pompiers et surtout l’incendie, ont rendu difficile l’analyse de la scène de crime. Nous avons pu établir l’identité de Jean Taleg par recoupements, des analyses ADN sont en cours afin d’identifier le second cadavre et l’éventuelle présence de tiers. Le fait que Claire Lefloch ait disparu, ainsi que les éléments retrouvés dans les décombres de son domicile, font d’elle notre principale suspecte, ou du moins un témoin clef. L’IRGCN procède aux analyses d’usage ; nous devrions en apprendre plus dans les jours à venir. »

Pour l’instant c’est la fille qui prend, mais je suis déjà dans l’équation : le « tiers » en question. La machine est lancée, je suis foutu. Le type en bas ne part pas. Ils sont à mon cul, déjà, attendent que je fasse un faux pas pour me niquer. Allez-vous faire mettre ! Ou c’est autre chose… Les potes à Dom. Qui effacent les traces, font disparaitre les témoins gênants. Si c’est ça, ça vient de haut… Le maire briochin peut-être ? Ils veulent tous ma peau et je suis bien en peine de savoir qui l’aura. Peut-être Claire Lefloch, dont le visage apparait à l’écran, encore plus jeune. La photo doit dater de trois ou quatre ans. Déjà, elle a ce regard halluciné, cet air grave et perché qui me glisse sur l’échine. Un témoin raconte :

« Elle était pas nette la gamine. Elle faisait peur à ses camarades. Mon fils en faisait des cauchemars. Et puis son père, un original aussi… Il est mort et elle a disparu… On a tous cru qu’elle était partie, ou faut bien avouer qu’on l’a espéré très fort… »

La présentatrice reprend la main :

« Les experts s’interrogent désormais sur les circonstances du drame, et relancent le débat sur le projet de lois visant au dépistage de pathologies criminelles, dès l’école primaire. Ce drame aurait-il pu être évité ? S’agit-il d’une faillite du système scolaire ? Pourquoi personne, dans l’entourage de la jeune femme, n’a tiré la sonnette d’alarme ? Toujours est-il que Claire Lefloch reste introuvable et activement recherchée par les forces de l’ordre.

Tout comme son oncle, dernier membre vivant de sa famille, Léon Tanguy. L’homme est défavorablement connu des services de police pour des faits de contrebandes dans les années 80. Son domicile a été trouvé mis à sac, et les enquêteurs cherchent désormais un lien avec l’affaire en cours.

Un appel à témoin a été lancé, vous pouvez contacter une permanence téléphonique au… »

Le lien est établi avec le vieux, merci BF Merde, c’est la seule information utile que tu m’apprennes. Ça s’imprime vaguement dans la caboche : l’autre enfoiré est toujours en bas, en attendant.

— Viens donc, fils de putain d’ta mère !

J’ai débranché mon fixe, retiré batteries et SIM des portables. Je suis sur écoute, c’est sûr, ils ont dû m’avoir avec le bornage, de toute façon.

— Enculé d’ta race…

Il n’y a pas d’échappatoire. Je suis baisé de chez baisé ! Et le type en bas, je sens qu’il m’observe à travers son parebrise, il a vu ma silhouette se détacher à la fenêtre, malgré mon store tiré. Tout couper, vite ! Eteindre la télé et les lumières. Voilà tu ne me vois plus, fils de pute ! Je retourne à mon perchoir, il a disparu. Ça ne me rassure pas, il est parti parce que je l’ai cramé, ça y est ils sont à mon cul.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Willy Dark ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0