CHAP 5 3
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La nuit est fraîche, mais je ne désespère pas de la déraisonner. Le coin est isolé, je m’en donne à cœur joie, inspiré par la vision divine de son arrière-train :
— Au clair de la luneuuu ! Ton cul est si beau ! J’y mettrai ma pineuuu ! Tu jouiras bientôt ! La levrette est bonneuuu, j’y mettrai ma queuuue… Ouvre-moi ta porteuuu ! Que j’te r’joigne au pieuuu !
Un silence désintéressé retentit. Pourtant, il y a de la lumière à l’intérieur, comme une lueur d’espoir.
— Allez Lefloch, quoi ! Je souffre, bordel ! Paye ton bédo au moins !
Je titube dans le jardin, passablement bourré, enhardi par mon improvisation paillarde :
— Au clair de la luneuuu ! Lefloch répondit ! Rentre donc Guyeuu ! Je suis dans mon lit ! Déflore mon minou, mets-moi un bon coup…
Mes avances restent stériles et je commence à m’essouffler, lorsque me vient une idée mauvaise :
— Claire ! Ma dulcinée ! Je m’en vais cueillir tulipes et bégonias, pour me faire pardonner ! Un énorme bouquet, à la démesure de mon amour !
Je laisse ma menace planer, la porte s’entrouvre. Cette fille me laisserait crever, mais la promesse d’une décapitation végétale l’a fait craquer. J’envisage déjà ma vengeance, à base de moisson précoce.
— Ne faites pas ça, Monsieur Deloupe.
Elle m'ouvre d'une mine défaite, s’encadrant dans l’entrée, en signe d’ultime résistance.
— S’te plaît Lefloch ! Laisse-moi rentrer !
— Vous… votre cruauté est sans limite… Vous ne me laissez pas le choix...
Je lui écarquille un sourire alors qu’elle s’efface, à regret, revêtue de son jogging et d’un pull qui tient plus de la serpillière. J’entre vite, avant qu’elle ne change d’avis.
— Pour votre information, il s'agit d'herbacées sauvages, baptisées "géraniums". Et d'une espèce hybride d'Hyndrangea, communément appelées "hortensias", très répandue sur le territoire.
Ah ? Ok... Rien à foutre. Je découvre son air mutin, bien trop sexy :
— J’adore tes sapes, boudin… Elles te mettent bien en valeur.
Elle me désigne un canapé, d’un geste sec :
— Assis.
Maintenant elle est vénère, même si elle se contient. Et moi, trop bourré pour ne pas en rajouter une couche :
— Avoue que mon lyrisme t’a touchée ? Je suis un putain d’artiste, en vrai !
— Votre ode dégradante n’y est pour rien, soyez en sûr ! Vous n’êtes qu’un rustre gorgé d’alcool !
Sûr que je le suis... J'avance dans la pièce à vire, en terrain conquis. Je suis resté fidèle à moi-même, mais suis entré malgré tout. Elle a gagné un faux standing avec cette nouvelle casba, une longère retapée en gîte pour randonneur solitaire, dont l'annonce sur Airbnb affiche complet jusqu'à la fin de l'été. Cuisine à l'américaine équipée désuettement, une table à manger avec deux chaises, un coin avec une télé récupérée des années 90, face à une petite table basse. Et ce fameux canapé, au fond duquel je m'écroule d'aise, un clic clac danois qui me rabotte le fion. Un esclalier abrupte s'élève pour trouver porte close à l'étage, sous lequel une autre pièce fermée, certainement celle des commodités. Les murs ont été rafraîchis d'un coup de peinture blanche, laissant apparentes quelques pierres pour le côté rustique. Des cadres avec les points d'intérêt de la région tapissent la pièce : la Montagne Saint-Michel, le lac de Berrien, la forêt de Huelguoat ; l'ambiance est à l'impersonnel low cost. La greluche semble hésitante sur la marche à suivre. Pas de soucis, j'ai des propositions indécentes à lui faire :
— T’es dure avec moi, Lefloch. Offre moi donc un verre, et roule moi un gros calumet de la paix. S'te plaît.
— Vous... Vous ne me dicterez pas ma conduite, Monsieur Deloupe ! Et laissez-moi vous prévenir que vous regretterez le moindre geste déplacé !
Vautré comme je le suis, je ne déplacerais même pas le fantôme de mon moignon. C’est vrai qu’avant les cadavres, il y a eu d’autres trucs. Mais bordel, j’ai juste bavé sur ses nibards, sans qu’aucune goutte ne tombe dessus ! Accès de lucidité : ferme ta gueule, joue du violon :
— Si ma parole valait quelque chose, Claire… je te l’aurais donnée. Et je sais que les excuses y suffiront pas. En vérité... j’entends des voix… Je vois des trucs… Je tombe dans les vapes… Je… je suis au fond du gouffre… C’est moi qui prends des risques, en me radinant là. Même si je voulais, je pourrais rien te faire. Je… je suis à ta merci.
En vérité, ça tourbillonne de partout, j’ai envie de gerber, je suis au bout du bout. Mais je suis juste bourré, rien d'autre. Je l’observe. Elle reste devant moi, indéchiffrable. J’ai mis les pieds dans le plat, autant aller jusqu’au bout :
— Je comprends que tu m’en veuilles. Mais... si c’est toi qui me fais ça… je t’en supplie… à genoux s’il le faut… Laisse-moi me faire pardonner. Efface l'ardoise...
Elle s'affaisse, son visage se recompose, au delà de tout. J’essaye en vain d'y lire une réponse, cachée derrière ses mots :
— Vous payez simplement vos manquements lamentables et vos excès,. La magie qui émane de mes grimoires est puissante. Et vous y êtes réceptif, depuis votre voyage aux frontières du Sidh.
J’avais une connerie à rajouter sur le Walhalla, que j’oublie dès qu’elle s’assied à mes côtés. Elle plonge son regard dans le mien. Ses traits s’adoucissent, elle se concentre. Je ne peux pas m’empêcher de la dévorer des yeux, c’est bien plus fort que moi. Elle semble indifférente, extirpe un joint de sa poche, l’allume en tirant une grosse latte, avant de le porter à mes lèvres.
— Par la Déesse, j'en avais besoin. Juste une pour vous aussi, pour l'instant. Maintenant, faites silence.
Enfin... Je tête sur le stick et pars, totalement scotché à ses yeux. Elle se penche pour toucher mon front, sa chaleur irradie de mon crâne à travers mon corps.
— Vos énergies sont totalement déséquilibrées. Une autre.
Je tire dessus, continue d’être transporté, elle aussi en prend une. Je ne la quitte plus. Sa pupille devient le centre d’un tourbillon d’azur, dans lequel je me noie avec délectation. Elle dégage une énergie pure, sa beauté est surnaturelle.
— Claire, tu es…
— Chhhhhh...
Je suis dans son ailleurs, en sécurité. Son souffle meurt doucement. Je laisse mes pensées s’éteindre avec lui, inspirant une nouvelle latte. Elle se détache, mais la chaleur reste. Lorsqu'elle revient, je n’ai aucune idée du temps qui s’est écoulé. Elle porte un bol fumant à hauteur de ma bouche.
— Buvez.
Ça aurait été de la pisse d’âne, je l’aurais bue quand même.
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