CHAP 5 5
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— Monsieur Deloupe ?
J’émerge, pâteux et désorienté, avec une sale gueule de bois. La musique a été coupée et la fille est prête au départ, engoncée dans un ciré noir. La nuit est déjà tombée. Elle m’observe en contre-plongée, attendant que j’ai repris mes esprits.
— J’ai à faire ce soir. Je vous ai laissé une cigarette de cannabis pour vous soulager.
Je réponds d’une voix rauque, par-dessus mon mal de tête carabiné :
— Ok. Merci, Lefloch.
— J’entends à ce que le portrait de Monsieur Briac soit prêt à mon retour.
Je me redresse à demi, mais trop exténué pour terminer mon mouvement, je reste avachi face à elle.
— Bordel… T’as pas autre chose à foutre que préparer ta petite vengeance ? Je croyais que t’étais guérisseuse ?
— Qui peut le bien peut le mal. Si mon savoir tombait entre de mauvaises mains, les conséquences seraient catastrophiques : je dois le mettre hors d’état de nuire.
— Tout le monde s’en fout de ton savoir. Encore plus Briac, qu’était même pas au courant pour ta beuh.
— Donc, maintenant il l’est…
J’ai fourché, ce qui m’arrive peu. Cette fille est dangereuse pour moi, je n’arrive pas à jouer ma partition avec elle. Je suis pris de court et cogite quelques secondes de trop. Ça équivaut à un aveu.
— C’est pas aussi simple.
— Je suis disposée à entendre vos explications.
J’ai été bien con de penser la leurrer, l’histoire du grimoire m’a cramé d’entrée de jeu. J’hésite. Mais je doute que l’entière vérité puisse attendrir cette fanatique.
— Nan, t’es disposée à que dalle. T’écoutes que toi, Lefloch.
— Vraiment ? Gardez pour vous vos leçons de morale, Monsieur Deloupe. J’ajouterai que vos méfaits à mon égard contredisent largement vos tirades compatissantes. Je n’ai aucune confiance en vous, sachez-le.
Cet éclat dans ses yeux. Au mieux, elle me déteste.
— Pourquoi tu m’aides alors ? Pourquoi tu veux pas me crever comme les deux autres ? C’est ce que tu comptes faire quand je te servirai plus à rien ? Espèce de faux-cul ! « Ta vie m’appartient » ; c’était dans mes visions !
Elle se mord les lèvres pour mentir :
— Contrairement à vous, j’ai une éthique. Vous avez tenu parole, même si c’était pour de mauvaises raisons.
Je ne la crois pas, sûr qu’elle attend autre chose. Je me revois à défier Briac pour récupérer ses grimoires. Bonne ou mauvaise, je n’ai aucune idée de la raison qui m’a poussé à agir. C’est assez rare pour m’interroger : ça n’était pas par intérêt, mais par instinct. Pourquoi ? Fatigue. Je retombe au fond du canapé, masse mes tempes douloureuses pour ne pas y réfléchir.
— Ouais. Ok. Bien évidemment, Madame Parfaite. Tu sais tout sur tout. Fuis donc l’infâme pourriture que je suis. Ça nous fera des vacances.
Elle me toise d’un silence contenu et éloquent. Je sais que la suite ne me plaira pas, j’ai raison :
— Ne me parlez pas de fuite, Monsieur Deloupe, vous qui la pratiquez en permanence. Je suis ici chez moi, je ne fuis pas. J’ai simplement d’autres choses à faire que d’être à votre chevet. Vous n’êtes rien de plus qu’un fardeau, doublé d’un fourbe qui ne cherche qu’à me nuire. En attendant, je vous laisse la soirée pour finir le portrait de Monsieur Briac. Parce-que pour tout le reste, vous n’êtes qu’un incapable.
C’est rare qu’on arrive à me blesser sans me casser la gueule. Pour moi, c’est la pire des humiliations. Je dilue ses paroles dans mon ébriété. J’ai la putain de rage. Qu’elle se barre, que je puisse me soûler comme il faut. Et qu’elle aille bien se faire foutre.
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