CHAP 5 7
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Je me réveille d’un coup, vautré dans le canapé, je m’y suis endormi ivre mort. Il fait nuit, Claire est penchée quelques centimètres au-dessus de moi. Elle m’observe, semblant humer mon haleine fétide. Son ciré humide est maculé de tâches boueuses.
— Va te laver les dents si tu veux me rouler une pelle, Lefloch. Tu pues le brocoli.
— Debout, Monsieur Deloupe.
Qu’est-ce qu’elle me gave… L’inspiration retombe vite. Je baragouine, moitié réveillé, moitié bourré :
— Bordel… Je dormais bien…
Elle fait claquer mon carnet sur la table en montant dans les tours.
— Parce que je vous prodigue mes soins ! Ce portrait fait partie du marché, vous ne dormirez plus avant qu’il ne soit achevé ! Règle numéro cinq !
Position assise, ça chavire dans tous les sens, la cuite est bien vivace. Une auge de sa purée m’attend à côté du carnet. La totale. Elle me voit tiquer :
— Pour vous remettre d’aplomb. Dépêchez-vous, vous devez aller chercher des provisions demain, règle numéro trois.
Fuck the rules ! Je n’ai pas échappé à l’armée pour me faire mater par une merdeuse de dix-sept berges. Je suis bien décidé à la renvoyer chier. Même par principe.
— Je dois cauchemarder ta gueule, là. Je vais me rendormir pour rêver de ton boule. C’est toujours dégueu, mais c’est toujours moins pire… Maintenant dégage. S’te plaît, Madame Pète Burnes ?
Ses lèvres sont plus pincées que jamais, elle est blanche de colère, fronce du sourcil, les poings passés sur les hanches. Je ne l’ai jamais vue dans cet état.
— Monsieur Deloupe, vous… vous m’énervez ! Ne m’obligez pas à vous menacer !
— Tu viens de le faire, courte sur patte ! Maintenant fous moi la paix, merde ! Je serai terrifié demain, promis juré craché !
Je devrais l’être présentement, vraisemblablement, mais son allure de gnome en phase d’implosion me décroche un rire gras tandis qu’elle se décompose. Elle monte brusquement à l’étage d’un pas décidé, me lâchant à la volée :
— Vous l’aurez voulu !
La porte claque et mon rire s’éteint en ricanement nerveux. Je n’en mène plus large, je commence même à touiller ma mixture pour faire amende honorable, en attendant d’être terrassé par une vision infernale. Rien ne vient, jusqu’à ce qu’elle apparaisse en haut des marches, les mains derrière le dos. Elle descend tranquillement les escaliers, de nouveau insensible à mes vannes. Pourtant le sale réveil m’a mis le cœur à l’ouvrage :
— Qu’est-ce que tu mijotes, naine de basse-cour ? Un autre de tes plats dégueulasses ? Crois-moi, c’est encore le pire que tu puisses faire ! Je suis pas dupe, Lefloch ! T’as besoin de moi, même si tu peux pas m’encadrer ! Alors arrête de faire la fiérote et laisse-moi pioncer !
Elle a retrouvé son calme, ce qui n’est pas rassurant. Elle se fend même d’un demi-sourire, ce qui devient flippant :
— Vous avez raison : j’ai besoin de vous. Ce qui explique ma mansuétude et ma persévérance à endurer votre compagnie. Une sorte de clause cachée à notre accord.
Ça a mis le temps, mais ça y est, j’ai peur.
— Qu’est-ce que tu déblatères, Lilipupute ?
Elle dépose son grimoire d’incantations, celui qui est noir et flippant, à côté de mon carnet. La chose s’anime sous mes yeux, se met à pulser, la couverture gonfle et respire. Garce. Je suis terrifié.
— Déconne pas ! C’était de l’humour vache ! Je… je vais faire ton portrait, fissa. Pitié, Claire ?
Mais dans la nuit noire, l'ordre du jour a changé :
— Certains écris restent indéchiffrables, même pour moi. Vous êtes le seul qui puisse parvenir à les comprendre, en communiquant avec mes ancêtres. La décoction d’hier, c’était la manière douce pour vous faire recommencer, Monsieur Deloupe. Règle numéro zéro : décrypter mes grimoires.
Non. Non. Non. Bordel !
— Claire ! Ne fais pas…
Mais elle l’ouvre.
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