CHAP 5 8

6 minutes de lecture

8

Et gnagnagna, « Monsieur Deloupe » ! « Bien évidemment », gnagnagna, « mangez donc votre purée infâme » et « j’ajouterai que » gnagnagna ! Bordel, elle va pas me gaver longtemps, cette petite conne ! Commence par changer de t-shirt et rachète-toi un jogging, ça t’évitera de ressembler à un lutin sous amphète ! Elle s’est confondue avec une vieille, mais ça reste une sale mioche capricieuse qui se croit tout permis. Cette « Marie touche moi pas » qui me tire du pieu à sept heures pour « disposer de l’espace de vie », m’invective au ménage et au rangement de son petit ton supérieur, ça me met furax. Et maintenant elle m’envoie faire ses commissions. Cette petite conne ne m’a même pas fait cadeau d’une grasse mat’ ! J’ai dû faire le portrait de Briac entre deux corvées... Je me suis surpassé – désolé connard - ça ne m’arrange pas non plus. J’espère sans plus y croire que tout ça, c’est des conneries... Je dois trouver une solution pour la beuh et calter d’ici le plus vite possible : les saignements, les migraines et les hallus ont disparu, mais je suis mentalement lessivé. La greluche est en train de faire de moi son grouillot, comme l’était certainement ce pauvre Grand Jean avant moi.

Pour preuve, je manœuvre la Chiotte au milieu d’un chemin détrempé, tentant d’éviter les ornières masquées par les flaques boueuses, direction la ferme, alors que j’aurais pu prendre la tangente après lui avoir fait avaler ses dents. Calme, Deloupe : « tout vient à point à qui sait attendre ». Ça reste une bonne occasion de repérer les lieux. Je traverse les champs sur une centaine de mètres, où une vingtaine de femmes enguenillées s’affairent à retourner la terre à coups de pioches énergiques. Elles s’encouragent, criant à l’unisson. J’essaye de comprendre, mais le sens de leurs phrases se perd sous le bruit du moteur. Je stoppe devant un grand portail clos, sur lequel est accroché un panneau en bois avec une inscription aux couleurs délavées par le temps : « Le Domaine de Dana ». Décidément, Dana a la cote. Je m’envoie la fin du Lagavulin, pousse un coup de klaxon rageur, faire vite avant d’être en manque. La trogne d’un gamin crasseux s’encadre entre les barreaux : celui avec qui j’ai fait joujou lors de la prise d’otage à Scrignac, Erwin, Erwen, Erwan, je sais plus, je m’en fous. J’adresse un salut auquel ce petit con ne répond pas, il déguerpit hors de ma vue. Je m’extrais de la Chiotte. La fille m’a confié un paquet que j’avais défense d’ouvrir – je ne l’ai pas fait - j’ai compris la leçon avec ses bouquins. Ainsi qu’une note que j’essaye vainement de décrypter : une liste de courses ou un ordre d’exécution – va savoir : ses pattes de mouches sont illisibles. Pour l’instant je suis sa ligne directe avec le Walhalla, je ne crains pas pour ma vie, juste pour ma santé mentale. Je pousse jusqu’à la grille pour observer les lieux. Je ne vais pas plus loin, une grosse chaîne verrouille les deux battants. Derrière la grille, une cour boueuse et défoncée au centre de laquelle une estrade, le tout cerné par plusieurs bâtiments de corp de ferme délabrés. Des murs de taules à moitié pourris ont été dressés entre les bâtisses les plus à l’extérieur, formant une palissade de fortune. Rien d’insurmontable pour un Briac. Pour un Deloupe, c’est mal barré. Alien apparait bientôt, sapée d’une toge blanche. Elle est flanquée de deux autres femmes, des costaudes aux crânes tondus, qui font jouer des matraques contre leurs paumes. Une petite démonstration de force en guise de bienvenue.

J’expulse un nuage de fumée à son adresse, lorsqu’elles parviennent à ma hauteur. Elle m’alpague d’un regard méprisant, retranchée derrière son portail :

— Qu’est-ce que tu fiches ici, parasite ?

Je ne lui réponds pas, lui tends paquet et billet. Alien paraît consternée, ça me soulage :

— Je renonce à comprendre cette fille.

— Ça nous fait un point commun, Alien.

J’observe les alentours, lui souffle une nouvelle latte à la gueule. Elle ne sait pas ce que je sais, et c’est très bien comme ça.

— Tu fais quoi ici ? Un élevage de soubrettes ?

— Je viens en aide à des femmes dans le besoin, maltraitées par des monstres de ton acabit, pervers misogyne.

— Simplement misanthrope, pute vaginocrate.

Elle tend la liste à l’une de ses sbires tout en continuant à me fixer avec dédain. La balaise s’éclipse pour rejoindre l’un des bâtiments, sans mot dire. On est presque dans l’intimité, ça encourage les rapprochements.

— Au fait, je voulais te remercier, Alien.

Je laisse un blanc alors qu’elle plisse un sourcille interrogateur.

— Me remercier de quoi, Deloupe ?

— De pas avoir prévenu les flics, pour Scrignac.

Pas même un tic nerveux. Monique est de nature vipère.

— Si j’avais su où tu étais, je serais venue t’exterminer moi-même. Comme tu peux le voir, nous ne sommes pas démunies. Une leçon douloureusement apprise, une erreur que je ne répèterai pas.

Sûr qu’elle la corrigerait l’erreur. Ici-même, si je n’étais pas protégé par la petite chieuse. Je m’interroge sur sa relation avec Lefloch. Elle n’a même pas essayé de la contacter pour la prévenir. Soit elle nous pensait voguant vers d’autres cieux, soit elle était intéressée par ce que Dom avait à proposer. En tout cas, il y a la greluche d’un côté, et Alien et ses goudous de l’autre.

— Mouais… T’as l’air d’avoir un sacré crew de pedzouilles, ici. Une vraie bande organisée…

Elle se crispe d’un petit sourire ironique :

— Et toi Deloupe ? Après tout ce qui s’est passé, c’est une sacrée conjoncture. Tu te retrouves ici à faire ses courses, comme un bon cabot.

— Mon voyage aux frontières du Sidh m’a transformé, Alien. Je crois que je vais me convertir au « Danaïsme ».

— Ou tu es encore le chien de quelqu’un d’autre, et tu cherches quelque chose.

— Le déplaisir de ta compagnie, peut-être…

On se jauge en silence. Ça sent la merde cet endroit, ça couvre peut-être l’odeur de la beuh. Le duel de regards s’éternise sans vainqueur, Brunette parvient jusqu’à nous puis me tend un carton à travers la grille. Elle je m’en souviens mieux que de son chiard.

— J’espère que t’es bien payée, Nattie, pour supporter cette face de rat ?

Nattie ne répond pas. Elle est sapée d’un ensemble gris loqueteux et ne porte plus aucun maquillage. De grosses cernes pendent sous ses yeux ternes : on dirait qu’elle a perdu cinquante points de QI depuis notre rencontre. C’est peut-être pour ça qu’Aliénor parle à sa place :

— Elle est bénévole ici. Certains voient au-delà de leur propre intérêt, Deloupe.

Je balance mon mégot sur la marâtre, dans l’espoir vague qu’elle prenne feu, puis me saisit du carton.

— Ouais et je suis sûr que c’est ton cas, Alien.

On se toise mauvais quelques instants, avant que je balourde le carton dans le coffre. J’en vérifie brièvement le contenu : des fruits et légumes en tout genre, quelques fournitures, rien de psychotrope. Pas de beuh.

— Si tu penses pouvoir la manœuvrer, Deloupe, attends-toi à de sérieuses déconvenues...

Un vrai bon conseil d’ennemie, j’ai l’intuition qu’elle sait de quoi elle parle. Je commence à en faire la douloureuse expérience. Je lui dresse le majeur en guise de remerciement et remonte à bord de la Chiotte. Je ne sais pas ce qui se trame ici, mais c’est louche.

Mis à part les formules de politesse, ça s’est bien passé. Pour une mystique, Alien est plutôt terre à terre. Sous la toge et son air d’illuminée acariâtre, il y a Monique. Qui ne nous a pas balancés aux flics, qui était prête à négocier à Scrignac, qui possède plusieurs sociétés et une association à but non lucratif, bien commode pour toutes sortes de magouilles financières et d’escroqueries. C’est même étonnant, que la beuh ne crame pas déjà les neurones de tous ses congénères consanguins en capacité de rouler. Peut-être parce que son business est solide et qu’une telle prise de risque ne se justifie pas. Peut-être parce que Lefloch n’est pas d’accord. Ou peut-être qu’il lui manque juste la connexion qu’il faut pour se lancer. Trop de peut-être… Trop tôt pour la connecter à Vic : je ne leur servirai plus à rien, peu ou prou je serai un homme mort. Pour l’instant je dois trouver la beuh et j’ai une idée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Willy Dark ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0