CHAP 5 11

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Me voici donc gardien du troupeau, un type rode dans les parages, soi-disant l’ex d’une pensionnaire, en vrai ce connard de Briac qui s’est fait cramer. Je me pèle le jonc dehors, mais ça m’évite de comprendre les conneries débitées par Aliénor, et je me réchauffe selon ma méthode éprouvée. La voix de la vieille bique raisonne à travers la porte close en filet nasillard, qui monte par instants en trémolos dramatiques. L’assemblée, une dizaine de femmes et d’enfants, semble captivée. Moi non, je donnerais cher pour qu’elle ferme sa gueule. En attendant, j’ai tapé dans ma réserve. Pas question que j’engraisse cette connasse de mes deniers. Quoi que : ma bouteille n’est pas loin d’être tarie, à l’inverse de sa litanie insupportable. Ça vire à l’engrenage, nos débit respectifs sont similaires à leurs façons et moins elle se tait, plus je bois. Bordel, il est dans les 22 heures, au pieu grognasses !

J’ai tenté de faire plaisir à Claire pour faire amende honorable, j’ai tenu une demi-heure sans boire ce matin, j’ai fumé son herbe après avoir ingurgité de sa potée infâme, pour dormir et ne pas m’enquiller tout l’après-midi et j’ai pris une dose limitée ce soir pour me réfréner. Avec l’effet inverse : la perspective de fin de bouteille provoque déjà un manque anticipé. J’ai le corps tremblant, la bouche sèche. Cumulé avec mon antipathie chronique pour la marâtre, j’ai la descente encore plus rapide que d’habitude. La catastrophe arrive, Aliénor harangue toujours ses brebis, quand les dernières gouttes s’échappent péniblement du goulot renversé. Je fais sautiller mes jambes en tics nerveux, me masse les mains, me frictionne pour arrêter les tremblements, respire à fond, mais le manque s’amplifie à la limite du supportable. Je ne peux pas entrer là-dedans. Ça serait un abandon de poste doublée d’une interruption outrageante de sa séance de bourrage de crâne, la fin des haricots. La sueur coule dans mes yeux, les crampes me gagnent. Scrignac la nuit est encore plus morte que la journée, l’acariâtre doit être la seule attraction à vingt kilomètres à la ronde. Je suis bloqué là, sur cette place déserte, sans rien pour me distraire. Je commence à faire les cent pas, regarde à l’intérieur la vioque tout en gestuelle hitlérienne, devant ses spectateurs captivés. Nattie fait le tour des tables, emplissant les verres de jus de fruits. La fin me paraît abominablement lointaine. Je me gratte comme un camé en manque, me rassoit, gigote sur ma chaise, je ne vais plus tenir longtemps. La porte s’ouvre puis se referme, je le sais au discours qui devient audible :

— … et lorsque le monde sera plongé dans les ténèbres, elle sera le…

Je me retourne sur Brunette, qui a un sursaut involontaire en m’apercevant.

— Salut, Nattie.

— Bonjour, Monsieur.

— C’est Guy, mon prénom.

Elle reste immobile sans répondre, comme si elle attendait des consignes, pour finir par s’expliquer timidement :

— Je dois aller à la réserve, chercher des bouteilles.

Je devrais probablement l’accompagner pour donner le change, mais je suis trop assoiffé pour les faux semblants.

— Ok, bah vas-y, je suis pas loin. Ramène-moi une bouteille de sky, s’te plaît.

Elle ne bouge toujours pas, sa face amorphe prend une teinte cireuse.

— Je paierai, t’en fais pas.

— Non avons pour consigne de ne pas vous servir d’alcool. Désolée.

Elle se dépêche de déguerpir, avant que je réagisse à la mauvaise nouvelle. Alors c’est comme ça ? Je bouillonne, pas longtemps, de toute façon j’ai trop soif. La vieille peau vient de me déclarer la guerre, je vais lancer une contre-attaque immédiate. Je pénètre vivement dans le bar, ignorant les regards cois de mon intrusion. Ça a le mérite de faire fermer sa gueule à Aliénor, même si c’est fugace :

— Qu’est-ce que tu fais, Deloupe ?

— Le monde s’arrête pas de tourner quand t’ouvres ton claque merde, Alien ! Je me sers un verre, vu que personne est là pour le faire !

— Sors d’ici immédiatement ! Avant que j’appelle ta maîtresse, sale chien !

Les bouteilles m’attendent, je ne prends même pas le temps de lui répondre, contourne le bar en tremblotant et m’enquille une bonne rasade d’ « Eddu », à même le goulot.

— Deloupe !

Je lâche un gros rot, suivi d’une bonne insulte. Qui manque de finesse mais pas de convictions :

— Je t’emmerde, connasse !

Elle va répliquer, lorsqu’un cri effrayé nous parvient de l’extérieur. La tension monte d’un cran, tous les regards se braquent sur la porte alors qu’un second cri retentit, où la peur se mêle à la douleur. Je me précipite trop tard, les cris se transforment en hurlements de crécelle. Je parviens à la réserve, la porte est ouverte, une ombre masculine jaillit et me percute violemment, je m’écroule alors qu’il s’enfuit. Je me relève et cours à sa poursuite, mais il prend vite de la distance. Mon cœur bat la chamade, mon souffle asthmatique devient haletant, je m’arrête au bout de quelques mètres, terrassé par un point de côté. Des femmes de l’assistance me rejoignent, je leur indique la direction en hoquetant :

— Par là…

Les voilà qui s’élancent dans la nuit. Je les suis, mais mes jambes sont incapables de produire autre chose qu’une marche lourde et saccadée, je dois vite m’arrêter pour reprendre mon souffle. Aliénor me rejoint, m’écrase un instant de tout son mépris alors que je suis plié en deux.

— Va la chercher. Nattie est mal en point et elle a besoin de soins.

Je proteste entre deux suffocations :

— Je serai… plus utile ici… à traquer… cette ordure…

— Tu n’es utile à rien, Deloupe ! Va la chercher, en tachant de ne pas finir dans un fossé !

Elle a raison, bordel… C’est une catastrophe.

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