CHAP 7 5

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Le Colt 45 tressaute dans ma main, j’expulse un souffle rauque pour calmer mes tremblements, mais rien n’y fait. Même poids, même taille que ma réplique airsoft, sauf que celui-ci crache du plomb, qu’il tue pour de vrai. J’ai du mal à réaliser ce que je m’apprête à faire, mais je n’ai pas le choix. Il est loin, le temps où je me pensais capable d’éclater la gueule d’une psychopathe à coups de rondin, en la regardant droit dans les yeux. Pourtant le flingue est beaucoup plus simple d’utilisation, je n’ai qu’à presser la détente. Briac m’invective sèchement :

— Arrête de cogiter, Deloupe, c’est le plus sûr moyen de te faire descendre. Ce taré hésitera pas une seconde.

Je l’observe en me cherchant une contenance, mais j’ai la peur au ventre, une sueur glacée qui m’imbibe le front, une sale envie de chier.

— Je sais.

Pourtant il ne bouge pas, continue de me jauger d’un œil dur.

— C’est pas un enfant de chœur, cet enfoiré. Je te le répète : si tu tires, c’est pour tuer. Te la racontes pas à viser la jambe.

— Ouais, Briac. J’ai compris.

— Et évite de me flinguer, tant qu’à faire. Même si ça te démange.

L’idée d’en plaisanter ne me vient même plus à l’esprit.

— J’ai compris, je t’ai dit !

C’est vrai, je suis totalement conscient de ce qui doit suivre. Sans pouvoir m’y résoudre.

— Tu restes garé cinq minutes devant chez lui et tu rappliques. Assez près pour qu’il te voit et qu’on puisse s’arracher fissa.

Je n’ai plus aucune notion du temps qui court, je règle une alarme sur mon téléphone. Il lance l’assaut :

— Allez !

Il descend puis s’éloigne, faussement détendu, la tension est palpable même chez lui. Je démarre. Ça y est, je suis seul. Je fais le tour du pâté de maisons pour me garer à une cinquantaine de mètres de chez Jer, sans chercher à être discret. C’est un cauchemar dans un cauchemar. J’ai déjà la gerbe. Je fumais des cocus et des commerciaux à base de photos et de films, bordel ! Comment j’en suis arrivé là ? Mais peut-être que Jer n’est pas là, malgré que sa voiture soit bel et bien garée dans la rue ? Peut-être que ça ne servira à rien, qu’il est déjà en train de torturer mon ex, que j’arrive trop tard. Ou pas. Ça me galvanise, c’est lui, elle, ou moi. D’entre nous trois c’est la seule qui mérite de vivre. Je perds la boule, haletant, seul dans cette putain de voiture, attendant le bon timing pour jouer mon rôle dans cet assassinat. Je voudrais ne pas vivre la prochaine demi-heure, le prochain quart d’heure, les cinq prochaines minutes. Je veux que ça aille vite, mais ne veux rien de ce qui va se passer.

L’alarme sonne enfin, trop vite, bordel, je vais dégueuler toutes mes tripes. Je laisse passer trente secondes de new noise, de Refused, c’est un bon réveil matin, pas une marche funèbre. Jamais plus je n’écouterai cette chanson. Je suis à jeun, mais clairement dans un état second. Fuck ! Je sors de la caisse en titubant, me concentrant à ne penser à rien, puis me dit que servir d’appât est loin d’être une bonne idée. Je traverse silencieusement la rue déserte, l’arme planquée sous ma chemise — c’était beaucoup plus facile avec une fausse — jusqu’à la bâtisse, dont les murs suintent une crasse noire. Les volets sont clos, pourtant j’ai la sensation que quelqu’un m’observe depuis l’intérieur. Je m’appuie sur le portail, l’escalade laborieusement en faisant vibrer le vieux grillage quand je retombe lourdement, manque de m’éclater la gueule dans les graviers. Sûr que je n’ai pas besoin d’en rajouter pour faire diversion. Je reste en suspension dans le silence pesant, tourné vers la baraque, à l’affût. Rien, aucun mouvement, aucun bruit. J’espère que Briac a fait le tour et qu’il me couvre. Avancer, toujours, jusqu’à l’inéluctable. Quelques marches jusqu’à l’entrée, je tiens l’arme dans mes mains moites, vise la porte. J’inspire fort, fait pivoter la poignée, c’est ouvert. Je donne une petite impulsion, la porte s’ouvre doucement sur un petit hall, plongé dans la pénombre. Une odeur m’assaille, insupportable, un parfum de merde, de charogne, de pourriture. Je pense savoir d’où il vient, je pense à Lefloch. Je baisse mon arme machinalement, me couvre nez et bouche d’un revers de manche. Tout est silencieux à l’intérieur, si ce n’est une sorte de bourdonnement infâme, dont je ne saurais dire s’il provient de mon crâne ou de ces murs. J’aspire une dernière goulée d’air frais.

J’entre, tenant toujours mon arme d’une main tremblante en braquant les ténèbres, appliquant mon autre bras contre mon visage pour contenir l’odeur, puis je referme la porte d’un coup de pied maladroit. Des mouches volent à travers la pièce, elles sont partout, partent dans toutes les directions en bourdonnements furieux. Elles donnent la sensation étrange que la pénombre est vivante. Rien à faire, la puanteur est insoutenable, elle s’imprègne à travers tous les pores de ma peau, j’ai toutes les peines du monde à contrôler ma nausée. J’essaye de rester concentré, pénètre plus profondément dans l’antre. Le sang pulse à mes tempes en battements sourds, mon cœur bondit à m’en faire vibrer les côtes. Je débouche sur une cuisine, les mouches et toutes sortes d’insectes consomment les restes d’assiettes à peine entamés. L’atmosphère se confine et devient moite. Je continue.

C’est dans le salon que je le trouve. Il repose là, pendu à une poutre, ses yeux noirs striés de nervures sanglantes, la peau verdâtre recouverte de larves qui en font un festin. Sa langue, bouffie jusqu’à l’obscène, franchit ses lèvres boudeuses et une grosse tâche de sperme macule son pantalon gris. Partout, des murs au plafond, des symboles mystiques dessinés à la merde et au sang. C’est Claire qui l’a tué, mais c’est moi qui lui ai fourni les munitions. Même si c’est Jer, j’ai un nouveau cadavre dans le placard. Je perçois à peine Briac qui observe la scène, livide :

— Putain, Deloupe… Qu’est-ce que c’est que cette merde ?

— T’y crois, maintenant ?

Il secoue la tête, incrédule.

— C’est pas possible, putain. C’est juste pas possible !

Ça n’est pas le moment d’en débattre. Je commence à suffoquer, impossible de reprendre son souffle dans cet air infecté. La nausée s’amplifie, douloureuse.

— Retiens-toi, faut qu’on se barre fissa. Tant pis pour la fouille, je resterai pas une seconde de plus dans cet enfer.

Mais je n’en ai pas fini. Je range mon arme, sort mon portable, fait un cliché de la scène d’apocalypse.

— Qu’est-ce que tu fous ?

— Je fous son nez dans sa merde à Mini-Pute. Qu’elle sache ce qu’elle a fait.

Briac est vite passé d’athée à inquisiteur :

— La provoque pas, Deloupe !

S’il reste quelque chose d’humain en elle, je dois le faire. J’envoie la photo au grand damne de mon binôme, puis nous sortons à la hâte, accompagnés des mouches qui virevoltent partout. Je tiens comme je peux mais ça finit par sortir, je dégueule en plein milieu de la rue, à m’en retourner les intestins. Briac me soutient, nous partons, il a assez de sang froid pour conduire à allure raisonnable, pourtant il est sous le choc. Il secoue la tête d’incrédulité, part en murmures inintelligibles et désordonnés. C’est tout un pan de la réalité qui s’ouvre à lui, indéfinissable.

— Reprends-toi, vieux.

Ses yeux sont cernés d’un coup, malgré qu’ils sortent de leurs orbites, ils roulent en cercles fous et hallucinés :

— Et maintenant ?

Maintenant, je n’ai pas d’idée, juste le besoin d’être ailleurs. Mais « maintenant » se règle quand je reçois la réponse lapidaire de Claire Lefloch : « Revenez ». C’est un ordre ? Une supplique ? Ça changerait quelque chose, que je le sache ? Pourquoi je ne me résous pas à la balancer aux flics ? Je suis pris d’un vertige, au bord de gouffre. Briac l’a bien senti malgré sa confusion. Il m’arrache le téléphone des mains pour lire le message. Il louche sur la crosse du 45 qui dépasse de mon falzar :

— J’y foutrai plus les pieds, Deloupe. C’est hors de question. Fais ce que t’as à faire. Je sais qu’elle est jeune et tout ça, mais… Ce qu’elle peut faire… C’est monstrueux ! Putain, tu crois qu’elle peut récupérer mes cheveux ou un truc comme ça pour me faire la misère ? C’était ça l’enchaînement de couilles avant que tu disparaisses ? Putain de merde !

Je me rappelle que mon doigt est toujours en train de pourrir chez elle. Je suis un jouet entre ses mains, elle peut faire de moi ce qu’elle veut. Je suis baisé comme jamais. Je sens le sol qui se dérobe sous mes pieds alors que je suis assis, j’ai les oreilles qui bourdonnent, j’entends à peine Briac, qui continue de raisonner à voix haute :

— D’un autre côté… Je sais pas… Si elle peut trucider les ripoux à distance. Affaire classée… C’est un truc de fou… Je sais pas, Deloupe. Faut que je digère, là. T’as l’habitude, c’est toi qui vois.

C’est tout vu. Je suis foutu.

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