Chapitre 22 : La serre, la nuit, l’orage

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— Les enfants, dites-nous où c’est.

Je me suis rapprochée de mon père et j’ai scruté les branchages sinistres. Dans les touffes d’herbe qui bordaient les pavés, l’arrosoir verdâtre était toujours là. Je l’ai utilisé comme repère et dans l’obscurité, j’ai fini par retrouver le chemin caché par les buissons. On se serait cru dans une forêt maudite. Les ombres foutaient les jetons, on n’y voyait pas grand-chose et le bruit de la pluie résonnait encore et encore au-dessus de nos têtes. Mickaël traînait des pieds. Maman le tirait vers l’avant. J’avais mal au ventre. Nous étions tous pressés d’en finir.

La terre retournée sentait l’humidité. Devant nous, le cimetière attendait. Papa avait les mains qui tremblaient, mais il n’a pas renoncé. Il a attrapé une pelle que nous avions laissée par terre cette après-midi. J’en ai pris une autre, mais maman a protesté :

— Non ! Allez ailleurs. Je ne veux pas que vous puissiez voir le cadavre.

Mickaël a pâli. Je l’ai pris par le bras et je l’ai entrainé plus profondément entre les arbres. Il a commencé à me donner des exemples de films d’horreur qui s’étaient mal terminés parce que les personnages s’étaient séparés, mais heureusement, il a fini par se taire de lui-même. Ce n’était vraiment pas le moment de parler de ça.

Il n’y avait que quelques buissons mal taillés entre nous et nos parents, mais cela suffisait à nous faire disparaitre de leur vue. J’ai essayé de garder mon sang-froid. Nous étions proches d’une paroi recouverte de lierre. Face à elle, un banc en fer blanc attendait sagement que quelqu’un vienne se perdre par ici pour le découvrir. J’ai dit à mon frère de s’assoir avec moi et j’ai essayé d’oublier les branches tordues, le bruit des pelles qui creusaient la terre et les pousses vertes à mes pieds. Elles ressemblaient à des feuilles de menthe mais elles n’en avaient pas l’odeur. Je n’ai même pas eu le temps d’y réfléchir que Mickaël me chuchotait déjà :

— On va y passer. C’était une horrible idée ! Ellie, on doit trouver un moyen de se barrer.

— Et les parents ?

— Ils s’apercevront de notre disparition seulement quand ils auront fini de se crêper le chignon à propos de nous.

Je me suis grattée les bras.

— Tu exagères.

Je savais que c’était faux, mais prétendre le contraire rendait la situation plus supportable. Faire semblant était ma meilleure arme contre l’imbattable.

— Parlons d’autre chose, m’a demandé mon frère. L’anniversaire de Léa ?

— Tu es toujours là-dessus ?

— Je veux savoir ! Ellie, dis-moi.

Je ne pouvais pas. J’avais encore un secret à protéger. Yassine était la seule personne à pouvoir me faire sourire, même quand tout allait mal. Je ne pouvais pas prendre le risque de le perdre. J’étais en train de perdre les derniers fils qui me reliaient à Alexandre, je ne pouvais pas supporter une autre disparition. Mickaël allait insister pour me tirer les vers du nez quand la voix de notre mère est arrivée jusqu’à nous.

— On est des mauvais parents, pas vrai ?

— Les pires, a soupiré papa. Je n’arrive pas à croire qu’on en soit là.

Avec mon frère, on s’est lancé un regard en coin. Nos parents ne se rendaient pas compte qu’on les entendait d’ici.

— Quand je serai mariée avec Mathieu, a continué maman, je ferai de mon mieux pour me rattraper, je te le promets. Laisse-moi juste une chance. Ils vont peut-être se plaire avec moi !

— Je m’en fiche ! Liliana, ce sont aussi mes enfants.

— Mais tu as failli les tuer !

— J’ai envie de t’étrangler. Ce n’est pas moi qui leur ai servi des cacahuètes, ce n’était qu’un accident !

— Deux ! Deux accidents qui se sont produits quand tu n’étais pas là. Tu étais absent, tu les as laissés seuls alors qu’ils ne sont encore que des enfants !

— Mais ça, s’est-il énervé, c’était TON idée. Quand je t’ai appelé sur le parking du supermarché, tu m’as convaincue de suivre ton plan stupide.

Hein ? Comment ça, un plan ? J’ai essayé de voir leurs visages à travers les branchages et Mickaël a failli tomber du banc en s’agitant à côté de moi. Maman a repris :

— Tout ce que je voulais, c’était laisser de l’espace aux jumeaux, je voulais éviter qu’on soit trop sur leur dos ou qu’on les étouffe. Ça s’est mal terminé avec nos parents quand ils ont essayé de se mêler de nos affaires… Je ne veux pas qu’ils me détestent comme j’ai pu détester mon père à leur âge.

— Je sais, j’ai cru aussi que ça fonctionnerait si on essayait de rester à l’écart de leur existence, mais c’est impossible. Ce sont nos enfants ! Il faut bien qu’on tente de les aider comme on peut — et ça ne sert à rien de se retenir de les engueuler quand ils font une boulette, de se taire à propos de ton mariage ou encore de prétendre qu’on ne se soucie plus d’eux comme avant.

— Et comment est-ce qu’on peut bien les aider, hein ? Comment est-ce que je pourrais être une bonne mère alors que je ne comprends rien à votre tache ?

Elle était sur le point de pleurer. J’ai instantanément oublié la rancœur que j’avais contre elle à cause de son mariage. Accepter de plus être le centre de son univers était plus facile quand je comprenais qu’elle l’avait fait pour que je puisse moi-même avoir un univers. J’avais cru qu’elle ne m’aimait plus, qu’elle nous avait fuis, que nos parents s’étaient lassés de jouer au papa et à la maman ; alors qu’en réalité, ils avaient fait leur maximum pour qu’on ne les déteste pas.

— Nous n’avons rien à voir avec nos parents, a affirmé papa. On se bat pour être différents d’eux et on a plutôt bien réussi jusqu’ici, non ? Ni Mickaël ni Ellie ne sont en prison.

— Certes, mais nous ? Mais toi ? Si on trouve un corps dans la verrière de votre tarée de voisine, comment est-ce qu’on va expliquer ça aux flics ? Comment est-ce qu’on va expliquer la vitre brisée ? Nos empreintes digitales sur les pelles ? On est vraiment des mauvais parents, on est en train de ruiner une scène de crime et de mettre les jumeaux en danger. Qu’est-ce qui se passera pour eux si on se fait arrêter ?

Mon cœur a loupé un battement. Mickaël a pris ma main et je l’ai serrée très fort.

— Si c’est toi qui présentes les preuves, personne ne viendra m’accuser. Ils te feront confiance, a affirmé papa.

— Et si ce n’était pas le cas ?! Les enfants vont me détester ! D’ailleurs, je pense qu’ils me détestent déjà. Le mariage va forcément les déranger et puis, je ne sais jamais quoi dire. Je ne sais jamais ce qu’il faut faire !

— Peu importe, ils te pardonneront. Je suis dix mille fois pire que toi, je l’ai assez prouvé ! Tu seras leur parent préféré, quoi que je puisse faire.

— Pourquoi ?

— Oublie ça. Il n’y a rien dans le sol, madame Choux n’a pas tué Alexandre.

Il avait dit cette phrase si doucement que j’ai craint d’avoir mal compris. Il nous a appelés à travers les branchages et Mickaël est arrivé les jambes tremblantes (je n’étais pas mieux, je dois bien l’avouer). Papa avait une mine affreuse. Tous ses membres étaient tendus. Le cadavre qu’il attendait n’était pas présent au milieu de mottes de terre. Et pourtant, c’était comme s’il avait vu un fantôme. Il n’avait pas l’air tranquille.

Sa dernière phrase résonnait encore à mes oreilles. La pluie a redoublé. Maman était toute perdue. On s’est regardé dans le blanc des yeux sans savoir quoi faire. J’avais attendu si longtemps, j’avais fondé tant d’espoirs dans ce cimetière ! Et finalement, ce n’était qu’un champ de terre. Je ne comprenais plus rien. Papa a baissé les yeux et il a ramassé sa batte. Pendant un instant de folie, j’ai cru qu’il allait s’en servir pour nous assommer et nous jeter dans les tombes qu’il venait de creuser. J’ai sursauté. Mickaël aussi a eu un mouvement de recul. Quand mon père s’en est aperçu, une ombre est passée dans ses yeux. Des picotements ont parcouru mon visage et j’ai retenu ma métamorphose tant bien que mal. Maman m’a fixée un long moment.

— Tu as un pansement ?

— Oui.

Je n’avais pas la force d’ajouter quoi que ce soit. Papa est resté muet. Il nous a laissé passer en premier pour sortir de la verrière et nous sommes retournés dans la voiture. Le vent m’a glacé les os. (Cette bagnole vieille comme le monde n’avait malheureusement plus de chauffage depuis longtemps). Maman m’a fait monter à l’avant. J’ai fait comme si tout était normal et je me suis concentrée sur mes traits. Ce n’était vraiment pas le bon moment pour craquer. J’étais fatiguée et je voulais m’endormir pour l’éternité, juste pour ne plus avoir à réfléchir ou à penser à ce qu’on avait fait. Papa a mis la clé dans le contact. Ses mains tremblaient. La batte dans le coffre me narguait.

Je refusais de comprendre l’évidence. Papa avait la force, l’arme et le mobile. Mais non. Non, je ne pouvais pas croire que c’était lui. Il ne fallait pas que ce soit lui. J’ai continué à me mentir pendant qu’on roulait. La lumière des réverbères passait comme un flash sur mon front. J’étais bombardée de souvenirs. Les clés. La lettre, les colis. Son refus d’admettre qu’il avait pu se passer quelque chose. Cette insistance de ma grand-mère. Ce regard noir, si noir quand il avait pris l’apparence de son père. Les évènements dans le carnet. Derrière le super-papa que j’avais imaginé se cachait un métamorphe incapable de gérer sa colère ou ses pulsions.

Dehors, il faisait si noir qu’on n’y voyait rien au-delà des halos des lampadaires. La pluie s’est faite trop insistante, on assistait au spectacle du déluge sans pouvoir le faire disparaitre par un coup d’essuie-glace. Nous nous sommes garés sur le bas-côté et j’ai essayé de deviner où nous étions. Rien à faire, les gouttes d’eau étaient trop denses et trop violentes pour que je puisse accrocher mon regard à un seul repère. J’étais aveugle au monde extérieur. Mais à l’intérieur, dans la voiture et tout au fond de moi, je sentais la vérité qui dessinait nettement ses contours dans ma conscience. Il était temps. J’avais assez fait l’enfant.

— Papa ?

— On va bientôt redémarrer, ne t’en fais pas. Essaie de rester concentrée, je te passerai de l’eau froide sur le visage quand on arrivera à la maison.

— Je ne voulais pas te parler de ça.

J’ai ignoré mon frère qui s’agitait derrière moi et ma mère qui faisait semblant de ne pas comprendre de quoi on parlait, et je me suis lancée.

— Est-ce que tu sais où est Alexandre ?

— Non.

Il a serré le volant tellement fort que j’ai vu le tissu de sa veste se tendre sur ses biceps. Pour la première fois de ma vie, je me suis arrêtée sur ce détail. Comment un homme qui n’avait jamais aimé le sport avait-il réussi à avoir autant de muscles ? Ce n’était pas logique. Comment son corps aurait-il pu me permettre de soulever Agathe à bout de bras s’il n’avait pas été entrainé ? Pourquoi papa avait-il des vêtements de jogging alors qu’il détestait courir ? Il n’y avait qu’une seule explication : il nous avait menti. J’étais à la fois en colère et terrifiée.

— S’il te plaît. Papa, je veux juste comprendre.

— Pourquoi est-ce que tu insistes ?! Je n’ai rien à te dire.

Il était en train de paniquer.

— Alors, explique-moi au moins pourquoi les clés d’Alexandre étaient sur son ton bureau. Explique-moi pourquoi tu as une lettre adressée à son nom dans ton tiroir, explique-moi pourquoi tu as caché des colis !

Maman a réagi au quart de tour.

— Gabriel, qu’est-ce que c’est que ces conneries ?!

— Rien ! Ce n’est rien.

Il mentait. Ça se sentait à dix kilomètres à la ronde. L’ombre qui avait traversé ses yeux dans la verrière était de retour, comme un orage qui allait bientôt tout foudroyer sur son passage. J’ai enfoncé le clou :

— Mamie m’a donné ton carnet bleu. Ton journal d’ado, avant qu’on ne naisse.

— Je sais ! Je t’ai vu dormir dessus au début de la semaine et j’ai hésité à te le laisser. Mais j’imagine que le mal est déjà fait, non ?!

— Papa, je veux juste savoir. Si tu as pu t’en prendre au père de maman, tu as très bien pu t’en prendre à Alexandre ! Et je sais que tu nous mens. Tu fais du sport alors que tu as toujours dit que tu détestais ça.

— Et donc, parce que je me suis mis au jogging, tu crois que je suis un tueur ? Ellie, ce que tu racontes n’a aucun sens.

Aïe. Ça faisait super mal. D’un coup, j’ai compris pourquoi mon frère s’était donné tant de mal avec Agathe. Elle l’aidait à ignorer sa peur parce que, comprendre que ceux qu’on aime nous prennent pour des gamins et qu’ils nous accusent d’être perdus dans nos délires, ça sape le moral.

J’avais cherché tellement de raison d’innocenter mon père… Je m’étais battue contre mes propres pensées pour ne pas l’accuser ! Et d’un seul coup, comme ça, sans aucune justification, il me renvoyait d’où je venais. J’ai senti mes larmes monter. Je croyais que ma déception était au max, que j’allais me mettre à chialer et que mon cœur me bombardait de toute la tristesse qu’il pouvait quand j’ai eu le malheur de regarder mon père droit dans les yeux.

Ça, c’était le pire. Il essayait de rester crédible, mais ses yeux brillaient. Lui aussi, il allait pleurer. Ses bras étaient retombés sur ses cuisses, ses épaules s’étaient affaissées. Il n’avait pas la force d’assumer la peine qu’il me faisait alors, il a détourné le regard sur le déluge. Des trombes d’eau battaient un rythme incessant sur le toit métallique de la voiture — comme un chant d’apocalypse.

Écrasée par la douleur, j’ai continué à fixer mon père. Je ne pouvais pas le lâcher des yeux. Il fallait qu’il sente que j’attendais toujours un mot, un espoir, une réponse. Il pouvait bien réduire mon cœur en mille morceaux, je m’en fichais. J’avais juste besoin de savoir si mon cœur saignait pour un tueur ou pour un menteur.

— Désolé, a-t-il chuchoté. Je n’aurais pas dû dire ça.

J’ai marqué un silence et j’ai rétorqué :

— Où est Alexandre ?

— Je ne sais pas.

— Alors pourquoi est-ce que tu t’excuses si tu n’es pas coupable ?!

— Je ne sais pas si c’est moi qui lui ai fait du mal.

Tout s’est arrêté dans ma tête. Un grand blanc. Un électrocardiogramme plat. Le vide. La peur. L’incompréhension. Maman n’a pas cédé à la panique, mais sa voix calme et froide était bien plus violente que n’importe quel cri :

— Gabriel, ça suffit ! Je veux des réponses.

Bloqué dans l’habitacle, mon père avait envie de s’enfuir. Il s’est ratatiné sur son siège et il a dit :

— J’espère vraiment qu’Alexandre va bien, je vous le jure. Je ne lui aurais jamais fait de mal consciemment.

— Consciemment ?! a-t-elle répété.

— Ce n’est qu’un malentendu ! Ellie a trouvé les clés d’Alexandre parce qu’il m’avait demandé de surveiller sa boite aux lettres. J’ai mis ses colis de côté, c’est tout. Il m’énervait à tourner autour de notre fille, mais ce n’est pas pour autant que j’allais refuser de lui rendre un service !

Mon frère a bondi de la banquette arrière.

— Qu’est-ce qu’il t’a dit quand il t’a confié ses clés ? Il a parlé d’une menace ? Est-ce qu’il a fait référence à un truc louche ? Quand est-ce qu’il devait revenir ?

— Il est resté très vague. Je ne sais pas où sa copine avait prévu de les emmener en vacances. Je suppose que Sophie n’aurait pas approuvé la destination. Il faisait tellement de mystères… J’ai fini par me convaincre qu’il valait mieux que je garde mon nez hors de ses affaires.

À travers les gouttes de pluie, j’ai aperçu un éclair. Le bruit du tonnerre a fait trembler les vitres. J’ai insisté :

— Dans ce cas, pourquoi est-ce qu’il a disparu ?

La culpabilité rongeait mon père. Il a passé sa main sur sa barbe noire et il s’est tourné vers moi.

— Si je veux empêcher tes métamorphoses, c’est qu’il y a une raison. Changer de visage peut bouleverser toute une vie.

— Quel est le rapport avec Alexandre ?

— Avant, je contrôlais mes métamorphoses grâce au sport. Je me ridiculisais souvent, mais au moins, ça avait le mérite de fonctionner. C’est pour ça que je ne vous en ai pas parlé.

Il a poussé un long soupire et il nous a avoué:

— Depuis quelques semaines, je n’y arrive plus. Il m’est arrivé de me réveiller au milieu d’une pièce sans pouvoir me souvenir de ce qu’il s’était passé. Mes transes sont courtes, mais elles sont si profondes que le visage de mon père prend le dessus sur le mien.

Il a joué avec les clés de la voiture, il m’a regardé droit dans les yeux et, en se retenant de pleurer, il est nous a enfin tout expliqué.

— Au début, j’étais convaincu qu’Alexandre allait revenir. Mais, plus le temps passe, plus je me demande si je suis le coupable. J’étais tellement inquiet pour mon père que j’ai perdu les pédales ! Il m’a peut-être poussé à commettre un meurtre, je ne sais pas. Je n’ai aucune preuve de ce que j’ai fait. Mais je ne suis pas non plus persuadé d’être innocent.

Ses larmes ont débordé sur ses joues en silence. J’ai senti la peur s’emparer de mon corps. Elle me chuchotait d’ouvrir la portière, de m’enfuir sous la pluie et de ne jamais revenir. J’avais peut-être un assassin à mes côtés. Mon père, ce lâche, avait peut-être détruit ma vie. Comment avait-il pu croire ne serait-ce qu’une seule seconde que le silence pourrait améliorer sa situation ? Pourquoi n’avait-il pas parlé ? Pourquoi ne s’était-il pas excusé ? Quand je pensais qu’il m’avait presque traitée de folle ! Il m’avait dit qu’Alexandre allait revenir alors qu’il savait très bien que c’était un mensonge. Qui lui avait accordé le droit de me donner des faux espoirs ?! J’étais furieuse, j’avais envie de le cogner de mes propres mains.

Ma grand-mère avait raison, mon père ne savait pas gérer ses problèmes (et encore moins sa tache). J’étais peut-être mal placée pour dire ça, mais moi j’avais seize ans et lui il en avait trente-quatre, il avait eu le temps de demander de l’aide, de regarder la vérité en face et de prendre son courage à deux mains. Quel imbécile ! Il méritait de nous voir disparaitre, Mickaël et moi, juste pour avoir une idée de ce qu’il faisait endurer à Sophie et Gérard. Il me dégoutait. C’était la pire trahison qu’il pouvait me faire. Pourquoi avait-il fallu qu’il engendre ce cauchemar ? Pourquoi ne s’en était-il pas pris à la voisine ou à Garfield, hein ?! Il y avait des tas de mauvaises personnes dans le monde, un nombre incalculable de monstres, de criminels, de violeurs et d’humains indignes — et il avait fallu que ça tombe sur Alexandre. C’était injuste !

Dehors, la pluie s’est calmée. Mon visage m’a à nouveau démangé. Cette fois, j’étais incapable de le contenir. La rage m’a donné de la force, je me suis métamorphosée à la vitesse de l’éclair. Ma famille a paniqué et nous avons redémarré en vitesse. J’ai échangé de place avec ma mère et papa a conduit en priant pour ne croiser personne. Deux Gabriel Demir dans une même voiture, il ne nous en fallait pas plus pour être condamnés.

Mickaël était bouleversé. Ses jambes tremblaient encore quand nous sommes entrés dans notre appartement sur la pointe des pieds. Je n’étais pas capable de dire lequel de nous deux était le plus déglingué par cette soirée. Je me suis avachie sur le canapé et les autres m’ont suivi. Je crois que nous n’avions plus la force de nous disputer davantage. Maman a pourtant essayé :

— Gabriel, va récupérer ton carnet s’il te plaît. Je refuse qu’Ellie puisse lire ce qu’il s’est passé après l’accident.

— À quoi bon ? Je n’ai rien écrit de particulier sur toi. Elle a déjà compris l’essentiel, de toute façon.

Il s’est relevé du canapé pour éviter d’être contredit et il m’a entrainée à la cuisine. Son sang-froid était revenu, il était à nouveau maitre de ses émotions. Il a rincé ses larmes et je me suis passé de l’eau froide sur le front, sans pour autant réussir à calmer ma colère. Une minute plus tard, j’avais retrouvé mon visage. Maman a rassemblé ses affaires.

— Je vais y aller, a-t-elle lancé. J’ai bien envie de claquer la porte, mais ça risquerait d’alarmer votre voisine. Les enfants, pas un mot à propos de ce qu’il s’est passé. Personne ne doit savoir que nous sommes entrés par effraction dans la verrière. Et Gabriel, par pitié : trouve une solution, cherche n’importe quel indice, demande à tous tes voisins s’ils savent quelque chose. Si tu as tué Alexandre, je m’occuperais des jumeaux. Et si tu n’as rien fait, il vaudrait mieux pour ta conscience et pour mes nerfs qu’on le sache bientôt. Je te laisse une journée. Si demain soir tu n’as aucune preuve, je prends les enfants. Je n’ai pas oublié de quoi tu étais capable quand tu prenais l’apparence de ton père. Il est hors de question que mon fils ou ma fille revive une scène pareille. On a assez foiré comme ça, tu ne penses pas ?

Pour la première fois, j’ai compris la rancœur de ma mère et j’ai ressenti toute cette haine qu’elle portait en elle depuis des années. J’avais enfin compris que, contrairement à ce que je voulais croire, mon père était un être méprisable.

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