Chapitre 25 : L'histoire du fantôme

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Sa mère, qui n’avait pas fait un seul geste depuis qu’elle lui avait hurlé dessus, est brusquent revenue à la vie pour lui foutre une gifle magistrale.

— Alexandre, tu n’es qu’un fils indigne, un monstre ! Je te renie !!!

Il a fait un bond de trois mètres en arrière et il a failli renverser nos diabolos. Il a dévisagé sa mère sans capter, puis il s’est tourné vers moi.

— Ellie, qu’est-ce que vous avez fait à ma mère ?! Pourquoi est-ce qu’elle pense que je suis le diable ?

— T’as fumé un joint ou quoi ?! On a cru que tu t’étais fait zigouiller ! Mec, où est-ce que t’étais passé ?

— Mais qu’est-ce qui vous arrive ? Est-ce que ma mère va bien ? Et mon père ?

J’ai ouvert la bouche comme un poisson, mais rien ne m’est venu. Je l’ai refermée aussi sec pour ne pas avaler les mouches et j’ai essayé de comprendre ce qu’il se passait devant mes yeux. Sophie était à deux doigts de remettre une claque à son fils. Elle l’a fait assoir à la table de la cuisine. Elle s’est mise en face de lui (en claquant son verre de diabolo si fort que j’ai cru que l’eau gazeuse et le sirop allaient sortir du verre). Alex était complètement paumé entre nous, les jumeaux choqués qui le regardaient comme la huitième merveille du monde, et sa mère, qui s’était remise à le disputer.

— J’ai cru qu’Amber t’avait persuadé de fuguer ! De couper les ponts avec nous ! J’ai cru qu’elle t’avait emmené vivre dans une cahute en bambou au beau milieu des montagnes. J’ai cru que tu t’étais fait renverser en traversant la rue ! J’ai cru qu’on t’avait enlevé et séquestré, j’ai cru que des voyous t’avaient pris en otage, j’ai cru qu’Amber s’était servie de toi et qu’elle t’avait revendu à des chefs de gangs japonais ! J’ai même cru que tu étais perdu, que tu t’étais cogné la tête et que tu avais perdu la mémoire. J’ai cru que tu étais dans le coma, gravement blessé, à l’hôpital !

Mickaël est sorti du dessous de la table pour se rasseoir sur sa chaise et il s’est fait tout petit. J’avais peur, je ne comprenais pas ce qui se passait. Pourquoi ? Comment ? Qu’est-ce que… Je ne savais même plus quelles questions poser. Tout ce que je savais, c’était qu’Alexandre était vivant. Et ça me donnait envie de sourire. Sophie a continué de crier malgré ses larmes qui débordaient de plus en plus rapidement :

— Je n’ai pas dormi une seule fois depuis ton départ ! J’ai passé mes journées à guetter par la fenêtre comme un zombie, à appeler la police, à supplier tout l’immeuble de me dire s’il t’avait vu. Est-ce que tu as la moindre petite idée du nombre d’heures que nous avons passé à pleurer, ton père et moi ?! Il t’a cherché partout ! Tous les jours, il s’est levé avec les mêmes espoirs et tous les soirs, il s’est couché avec des cernes d’inquiétude sous les yeux. On a cru devenir fou ! Qu’est-ce qu’on aurait fait si tu n’étais pas revenu, hein ? Qu’est-ce qu’on serait devenu ?! Comment veux-tu qu’on puisse un jour s’en remettre, comment veux-tu qu’on puisse un jour arrêter de s’inquiéter ? On a eu tellement, tellement peur ! Et toi tu… Tu…

Alexandre a essayé de la prendre dans ses bras et elle s’est jetée à son cou. Moi aussi, je me suis mise à pleurer.

Une clé a tourné dans la serrure de leur appartement et la porte s’est ouverte sur un petit groupe. Gérard, le père d’Alex, a failli faire un infarctus. Il a regardé sa famille en tremblant, ses yeux étaient si écarquillés qu’ils auraient pu tomber de ses orbites. Derrière lui, madame Choux et mon père se disputaient. Le silence leur a mis la puce à l’oreille, ils nous ont regardé et papa a soufflé maladroitement :

— Désolé, nous avons entendu du bruit à votre étage et comme Gérard montait, nous sommes venus et…

Il a regardé Alexandre en clignant des yeux, comme s’il n’y croyait pas. On est tous restés immobiles pendant plusieurs secondes et Gérard s’est jeté sur son fils, qui venait à peine de sortir des bras de sa mère. Sauf qu’il ne s’est pas jeté dessus pour lui faire un câlin, non. Il s’est tenu tout droit devant lui, il a attendu qu’Alex lui dise bonjour et il a levé son bras à la vitesse de l’éclair. J’ai fermé les yeux pour ne pas voir la claque magistrale que mon pote allait se prendre, mais heureusement, Gérard a suspendu sa main dans les airs. Il a soufflé un bon coup et il a pris les épaules de son fils.

— PLUS JAMAIS ! Plus jamais tu ne nous referas un coup pareil, c’est compris ?!

Il a secoué Alexandre de l’avant vers l’arrière en même temps qu’il lui parlait. Il lui a chuchoté quelque chose et il a fini par faire comme sa femme : chialer et le prendre dans ses bras. Papa s’est rapproché de nous. Il s’est assuré que Mickaël allait bien et il lui a demandé pourquoi je pleurais. De l’autre côté de la pièce, madame Choux était sur le point de mourir (ou alors, elle avait fait une mauvaise chute dans les escaliers). Je ne l’avais jamais, au grand jamais vu ainsi. Elle souriait, l’œil brillant. Elle souriait. Et encore plus improbable : elle s’est incrustée dans les retrouvailles et elle a pris à son tour Alexandre dans ses bras.

— Petit vaurien, a-t-elle chuchoté. J’ai cru que tu ne reviendrais jamais.

Elle n’a rien dit de plus, mais cela nous a suffi. Alexandre ne comprenait toujours pas ce qui lui arrivait, on aurait cru qu’il venait de débarquer chez les extra-terrestres (théorie qui plairait beaucoup à Mickaël). Sophie était sortie de son état de choc. Elle a demandé à la vieille si elle allait bien.

— Mais je me porte à merveille ! a-t-elle rétorqué. C’est vous, les sales jeunes. Vous voulez ma photo ?! Ce n’est pas parce que je suis contente de revoir votre crétin de fils qu’il faut s’affoler !

— Vous êtes contente de me revoir ? s’est étonné Alex.

— Et qui est-ce qui m’aiderait dans la serre si tu n’étais plus là, hein ?

— Nous, me suis-je manifestée en levant la main. Les jumeaux Demir se sont tapé le fumier, vous vous souvenez ? On a planté des asperges aussi, je crois.

— Peu importe, ce que je voulais dire, c’est qu’un jeune chômeur qui se mêle tout le temps de ce qui ne le regarde pas, c’est toujours mieux que pas de jeune du tout. Alors maintenant, foutez-moi la paix !

— Je ne me mêle pas de vos affaires ! l’a-t-il contredite.

Alex a défroissé sa chemise hawaïenne et il nous a demandé :

— Est-ce que récupérer le colis d’une voisine lorsqu’elle est absente ou lui demander si elle a besoin d’aide pour monter ses courses, c’est se mêler de ses affaires ? Madame, je voulais juste vous aider !

— Et sinon, nous a timidement interrompu Mickaël, où est-ce que tu étais ? On croyait que tu étais mort.

Toute l’assemblée a pris une chaise et s’est serrée autour de la table pour écouter ce qu’Alexandre avait à nous dire, mais il s’est braqué :

— Moi ? Mort ?! Mais qu’est-ce que vous avez tous, à la fin ? Je n’ai même pas quitté le pays ! Je vous ai dit que je partais en vacances et vous, pendant ce temps-là, vous creusez ma tombe.

— Alexandre, a chuchoté Sophie, ton téléphone.

— Quoi, mon téléphone ?

— Tu l’as laissé ici ! Tu es parti sans lui. Alors, évidemment, j’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose. Pourquoi est-ce que tu n’es pas revenu le chercher ?

Il s’est tortillé sur sa chaise en gardant le silence.

— Alexandre ? a insisté Gérard. Qu’est-ce qui t’a pris ?

— Vous n’avez pas appelé les parents d’Amber ? Elle est partie avec moi.

— Cette famille est complètement perchée ! a râlé Sophie. Ils nous ont dit que vous étiez en retraite spirituelle. En retraite spirituelle ! Non mais, est-ce qu’elle t’a bien regardé ? Ce n’est pas parce que tu as cédé aux lubies végans de ta copine que tu vas finir avec eux dans une secte, habillé tout en blanc pour faire des réunions avec ton subconscient. Tout le monde sait très bien que tu ne peux pas te passer de ton téléphone.

— Justement…

— Quoi, justement ?

J’ai séché mes larmes et j’ai terminé mon diabolo d’un coup sec. Non. Non, ce n’était pas possible. Je me sentais trahie. Alors comme ça, depuis le début… Non. L’explication de sa disparition ne pouvait pas être aussi simple, ce serait le comble. Et Sophie ne nous l’aurait pas dit plus tôt ? Impossible.

— Je suis vraiment parti en vacances, a-t-il avoué. J’ai fait exprès de ne pas prendre mon téléphone, Amber m’a emmené dans une retraite spirituelle et... Ça ressemblait plutôt à un centre de désintoxication.

— Toi ? a ri sa mère. Dans un centre de désintoxication ? Alexandre, arrête de me raconter des conneries et dis-moi la vérité.

— Je vous dis la vérité ! C’est bien pour ça que j’ai gardé ma destination secrète, sinon vous ne m’auriez pas cru et je n’aurais pas pu partir. En voyant mon téléphone, vous auriez dû comprendre que je l’avais laissé ici et que je ne reviendrais pas le chercher. C’était aussi l’occasion pour moi de faire un break. Ça ne vous est pas venu à l’esprit ?

Je l’ai regardé droit dans les yeux et je lui ai rétorqué :

— Bien sûr que non ! Comment voulais-tu qu’on y pense ? Ça ne te ressemble absolument pas. Tu aurais au moins pu nous dire quand est-ce que tu rentrais.

— Je ne savais pas encore si je tiendrais trois semaines sans internet ou…

« Sans cigarettes », ai-je deviné. Papa a posé sa main sur mon épaule pour me demander de me calmer. Je me suis raidie instantanément. Est-ce que la colère et l’envie de pleurer de joie simultanées pouvaient me faire changer de visage ? Alexandre a repris :

— Ok, je l’avoue, je ne suis pas fait pour tous ces trucs et je suis un fidèle accro de Netflix. Je rentre parce que j’ai fini pas péter un câble là-bas et que je me suis fait plaqué par Amber. Elle me trompait avec un gourou. Est-ce que je peux aller ranger mes valises, maintenant ?

— Non ! a grondé sa mère pendant que Gérard la soutenait et que madame Choux prenait la porte sans même nous dire au revoir, manifestement agacée par tout ce remue-ménage (son petit quart d’heure d’émotion s’était vite terminé, dommage). Tu ne vas pas t’en sortir aussi facilement ! Tu aurais pu mourir, tu aurais pu être drogué, séquestré, on aurait pu te faire avaler des plantes toxiques ! Qu’est-ce qui t’a pris d’aller en vacances là-bas ? Les centres de désintoxications sont remplis de personnes louches. Tu aurais pu te faire arnaquer ! Ce foutu gourou aurait pu te tuer en sacrifice ou voler tes organes, il faut être complètement fou pour accepter d’aller là-bas. J’espère que tu es dégouté de ce genre de trucs, parce que je te préviens, je n’ai pas l’intention de te laisser refaire cette erreur. Tu vas brûler tout ce qui ressemble de près ou de loin à une conserve de tofu ou à un livre de développement personnel !

Je savais que ce n’était toujours pas le bon moment, mais j’avais envie de sourire. J’avais envie de croire que tous les problèmes du monde venaient de se résoudre avec la fin du mystère autour d’Alexandre. J’avais les larmes aux yeux.

Nous sommes rentrés petit à petit tous chez nous et sur le palier, j’ai laissé les garçons passer la porte sans moi. Je me suis retournée. À l’autre bout du couloir, devant les escaliers, Alexandre m’avait suivi. Il s’est installé en face de la porte de madame Choux et il a déposé un colis sur son paillasson.

— Je ne mêle pas de ses affaires, m’a-t-il lancé. Je lui rends juste service, c’est promis.

J’ai ri et je me suis approchée de lui.

— Pourquoi es-tu là ? Tu ne veux pas défaire ta valise, parler un peu avec tes parents ou prendre une douche ?

— Je pue ? m’a-t-il demandé malicieusement.

— Non, tu sais bien que non.

Il s’est appuyé contre le mur et il a détaché ses mèches châtaines en passant sa main dedans.

— Comment est-ce que tu vas ? Je craignais de partir alors que tu avais besoin de moi, mais je me suis dit que tu serais absente un long moment avec le mariage de ta mère.

— Tu t’es trompé, l’ai-je informé. Elle nous a laissés ici à l’improviste. Et moi aussi, je me suis trompée en croyant que tu t’étais fait kidnapper.

— Je n’en reviens toujours pas que vous vous soyez inquiété à ce point, a-t-il ri.

Je me suis jetée à son cou et il a enroulé ses bras autour de moi. Je n’ai pas pu me retenir de lui dire :

— Tu m’as fait peur, putain ! Cette histoire de retraite spirituelle ne te ressemble absolument pas. N’importe qui se serait inquiété.

— Et pourquoi ?

Je me suis adossée au mur à côté de lui et je me suis mise à réfléchir à la question.

— Tu adores les trucs toxiques, comme les clopes, les petites copines, l’odeur du dissolvant…

— Les centres de désintoxications sont faits pour ceux qui aiment le toxique et qui n’arrivent pas à s’en séparer, justement.

— C’est vrai, ai-je admis, tu marques un point. Mais n’empêche !

Il s’est redressé et il m’a parlé plus sérieusement pendant que je me grattais les bras.

— N’empêche quoi ? Ellie, j’avais envie de devenir quelqu’un d’autre. J’avais l’impression de faire du sur-place. J’avais envie de m’améliorer, j’avais envie de croire que ma vie était autre chose qu’un film sans intrigue qu’on a mise sur pause. Avant, je rêvais d’arrêter le temps. Mais maintenant que je sais ce que ça fait, je le regrette. Et puis, c’est bien mon genre de me lancer dans les nouvelles modes, tu ne penses pas ? J’ai commencé avec les Pokémons, puis j’ai enchainé avec les jeans à trous et maintenant, je suis Amber. Enfin, je la suivais.

— C’est vrai, ai-je admis en regardant mes pieds. Je me sens bête. Avec Mickaël, on s’est fait des films énormes alors qu’on a trouvé des colis de nourriture végan dans le placard de notre père et dans la cuisine de la voisine. Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille, surtout avec Amber qui passe son temps à rabâcher les oreilles de tout le monde à propos des retraites spirituelles.

— Ne fais pas cette tête, tu ne pouvais pas deviner.

— Si, justement. Et puis, tout était tellement louche que je me suis persuadée qu’il t’était arrivé quelque chose. Madame Choux était une suspecte parfaite ! Une vraie psychopathe, je t’assure. Je me demande même si je ne vais pas finir pas te tuer moi-même dans ton sommeil, juste pour avoir la satisfaction de boucler mon enquête avec un cadavre et une coupable.

Il m’a bousculé en riant.

— Tu n’as pas intérêt ! J’ai encore des tas de choses à faire avant de mourir. Et puis, qui est-ce qui sera là pour t’aider à régler tes histoires, si je disparaissais ?

Je lui ai fait mon plus beau sourire pour le remercier d’être venu me voir. Je l’ai regardé recoiffer ses cheveux de surfeur et remonter à son appartement en me demandant comment on pouvait croire qu’un jeune adulte qui parlait à une adolescente était automatiquement malveillant. Absurde, non ? C’était vraiment un super pote. Evidemment. Sans aucun doute…

Ou pas ! Alexandre était le diable et il me prenait pour le dindon de la farce. C’était le pompon ! La cerise sur le gâteau ! Le bulldozer de… Peu importe ! Alexandre nous avait menti ! Le traitre ! L’imposteur ! Il ne touchait à ses cheveux que quand il avait des secrets à cacher. Et effectivement, quelque chose ne collait pas. Alexandre ? Disparaitre pour une retraite spirituelle ?! C’était trop facile comme explication. Trop louche. Et madame choux et son comportement de coupable ? Il y avait encore une entourloupe là-dessous, je n’en doutais pas. Mon enquête n’était pas finie.

Je suis rentrée chez moi et j’ai foncé dans ma chambre, sans faire attention à papa qui annonçait la bonne nouvelle à maman par téléphone avec des yeux brillants, ou à Mickaël qui s’était assis en face de la télévision éteinte pour réfléchir à un sujet certainement très complexe (vu sa tête et ses sourcils froncés, il devait s’agir d’un problème d’aliens ou d’Illuminati). Je me suis jetée sur mon lit à plat ventre et j’ai allumé mon téléphone. Deux textos de Yassine (j’ai failli me relever pour sauter de joie). Puis mon excitation est retombée quand j’ai réalisé qu’il était temps que je me pose la question sérieusement, et que j’agisse en conséquence. Que se passerait-il une fois que Yassine aurait découvert ma petite bizarrerie ? Il était inutile de me mentir : si je continuais à sortir avec lui, la vérité finirait tôt ou tard par éclaté. Et j’avais besoin de savoir si, le jour où ça arriverait, Yassine deviendrait un danger.

J’avais peur de découvrir une face cachée de celui que j’aimais, mais il fallait que je le fasse. Pas le choix : si je devais apprendre que Yassine tabassait les métamorphe comme presque tous les autres gars de son âge, ce serait avant qu’il ne me tabasse moi. Je me suis redressé sur mon lit pour répondre aux messages et puis, je me suis mise à fixer le plafond. Par où commencer ? Comment savoir ce qu’il penserait de ma bizarrerie ? Alexandre pourrait peut-être m’aider à trouver une ruse, il était doué pour ça. Mais, la prudence sera de mise ; lui aussi pouvait vriller s’il découvrait que j’étais métamorphe. Et il ne fallait pas que j’oublie qu’il était en train de nous mentir !

Des coups discrets ont été frappés à ma porte. Mickaël est entré et il s’est assis à côté de moi. Ses cheveux noirs étaient sens dessus dessous. Il était temps qu’il aille chez le coiffeur, mais il avait toujours horreur des changements.

— Qu’est-ce qui se passe ? lui ai-je gentiment demandé.

— Maman vient nous chercher dans deux jours au bistro de mamie, m’a-t-il annoncé en essuyant ses mains moites sur son pantalon. Papa a fait tout ce qu’il pouvait, mais elle ne cèdera pas. Elle veut nous voir et elle ne nous renverra ici que dans un mois, comme d’habitude.

J’ai eu besoin de plusieurs minutes pour assimiler l’information. Ça y est, c’était foutu. Papa n’allait pas me sauver. Adieu, l’espoir du super-héros. Maman m’embarquait et, avec elle arrivait les problèmes. Comment faire avec ma tache ? Comment faire avec Yassine ? Comment faire pour revoir Léa ?

— Je crois que je ne comprendrais jamais comment réfléchit notre mère, ai-je soupiré.

— Moi non plus. Mais j’aime bien Mathieu, elle a choisi un bon mari.

— Oui, il est cool.

Mon frère allait partir, mais je l’ai retenu.

— Attends ! Mickaël, j’ai quelque chose à te dire.

— C’est toi qui as mangé le dernier Bounty ?

— Euh, non. Je crois que c’est papa.

— Tu es une espionne ?

— Non.

— J’ai été adopté ?

— Quoi ? Non, bien sûr que non ! Je suis ta jumelle, on se ressemble comme deux gouttes d’eau et en plus, on a tout hérité de papa. Ça se voit !

— Alors, de quoi est-ce que tu veux me parler ?

— Je voulais m’excuser, ai-je murmuré. Je n’écoutais pas maman quand elle m’ennuyait, je n’écoutais pas papa quand il me disputait et je ne t’écoutais pas quand tu parlais de kidnapping. Je t’ai ignoré quand tu m’as dit que papa était peut-être coupable, en prétendant que ça n’arriverait jamais et qu’il en était incapable. Mais j’aurais dû.

— Pourquoi ? Ellie, enfin, tu n’as pas besoin de t’excuser. C’est toi qui avais raison, Alexandre était vraiment parti en vacances.

— Mais, ce qui arrive dans les journaux ou à la télé peut se produire dans notre vie, ce n’est pas seulement de la fiction. Alex est quelqu’un que j’aime et qui m’a toujours aimé. Alors, quand il a disparu, j’aurais dû t’écouter. Oui, j’aurais dû écouter et me mettre à sa recherche. Si la vieille l’avait séquestré, j’aurais pu le sauver en t’écoutant et en ouvrant les yeux avant qu’il ne soit trop tard. Et j’aurais dû t’écouter toutes les autres fois que tu me parlais d’un scénario catastrophique, juste parce qu’il y a une chance infime que ce soit vrai et, juste parce que je t’aime bien comme tu es. Tu peux avoir peur de tout ce que tu veux, ça ne t’empêchera pas d’être un chouette mec. Ce n’était pas une raison pour t’ignorer.

— Merci.

Il n’a rien dit de plus, mais je sentais dans sa voix que ce que j’avais dit lui avait fait plaisir. Il m’avait comprise et après tout ce qu’il avait subi avec Agathe, ça lui faisait du bien. Il a relevé ses yeux noirs, si noirs et identiques aux miens et, il m’a dit :

— D’ailleurs, tant qu’on en parle…

— Oui ?

— Je crois qu’Alexandre n’est pas vraiment Alexandre.

— Hein ?

— C’est un robot envoyé pour que nous arrêtions de chercher Alexandre.

Je n’y croyais pas une seule seconde. Peut-être bien qu’au fond, lui non plus. C’était une histoire beaucoup trop complotiste et farfelue pour qu’on puisse la prendre au sérieux. Mais pour la première fois, je n’ai pas ri. Je ne me suis pas moqué de lui. Je me suis dit que j’avais de la chance que mon frère ne se soit pas fait kidnapper, ni lui, ni Alexandre, ni mon père ou une autre personne que j’aimais.

Et je l’ai écouté.

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