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On commence comme de juste avec Blanche qui fait pipi (j'ai essayé d'inclure des passages déjà existants, en espérant que tout s'agence bien)

Depuis son plus jeune âge, Blanche avait un problème – enfin, elle avait plein de problèmes, mais l’un d’eux l’embêtait davantage que les autres. Elle buvait beaucoup d’eau, et sa vessie était incapable de tenir une nuit complète. Elle finissait invariablement par se réveiller et devoir sortir de son lit tout chaud.

Le monde de la Vingt-Cinquième heure n’avait guère changé ça. Mais il était beaucoup moins confortable que leur petit appartement lyonnais, et il l’obligeait à aller crapahuter dehors, les pieds dans l’eau, pour pouvoir se soulager.

– J’en ai trop marre, murmura-t-elle avant même d’ouvrir les yeux.

Elle repoussa sa couverture. Puis elle se redressa dans son hamac, sans cesser de pester à voix basse.

– Toutes les nuits ! Toutes les nuits j’y ai droit. Pfff !

Elle était encore à moitié endormie. Mais quand elle posa le pied par terre, un bruit la réveilla d’un coup.

Splotch !

Blanche connaissait par cœur la benne du camion : ils y dormaient depuis des semaines ou des mois. Elle connaissait ce sol de métal poussiéreux, couvert de petits cailloux et de saleté. Et il ne faisait pas ce bruit-là. Jamais. D’habitude, c’était un Bong ! auquel elle avait droit.

Malheureusement pour elle, le bruit allait de pair avec une sensation, juste sous son pied. Une sensation gluante qui lui hérissa tout le dos.

– Beurk !

Quelques boyards se retournèrent dans leur hamac ; sa sœur grommela dans son sommeil, mais personne ne se réveilla. Blanche jura dans sa barbe, extirpa son pied de la bouse molle et tâcha de l’essuyer par terre. Il ne manquait plus que ça !

– Qui a osé faire caca sous mon lit ? s’énerva-t-elle à voix basse.

Elle songea d’abord aux squonks, qui aimaient se terrer dans l’obscurité de la benne, mais ils produisaient de petites fientes, un peu comme les oiseaux. Alors elle pensa à Greg, mais l’odeur l’aurait déjà tuée – l’odeur les aurait déjà tous tués. Alors elle s’accroupit près de la chose, et réalisa que ce n’était pas du tout une déjection.

C’était un tas de nourriture.

Du doigt, elle toucha une entrecôte d’une taille démentielle, qui avait l’air de sortir tout droit des réserves du convoi. Par-dessus se trouvait ce qui ressemblait fort à un hachis parmentier. Le plat était encore dans sa barquette d’aluminium, mais il avait été ouvert avec soin par la personne qui l’avait posé là ; le pied de Blanche y avait laissé une empreinte d’une netteté glorieuse. En plissant les yeux dans la pénombre, la jeune fille distingua trois fleurs posées par terre, autour de l’offrande – car elle s’y connaissait assez en nivées pour reconnaître une sorte d’offrande. Elle en saisit l’une des fleurs, délicatement. On aurait dit le croisement difforme d’une rose et d’un hortensia. La Strate regorgeait de ce genre de mutations, d’une beauté un peu effrayante.

– Bon, murmura-t-elle. J’imagine que c’est pour moi. Mais qui… ?

Quelle nivée avait bien pu se mettre en frais pour elle ? Il avait fallu voler de la viande dans les camions, ce qui n’était pas rien, ou bien se priver d’un repas pour le lui offrir. Les squonks ? Elle les avait sauvés d’une mort certaine lorsque le doppelgänger avait recouvert le territoire de Midas et contaminé toutes les créatures qui s’y trouvaient. Mais de là à lui offrir de la viande ? Elle était végétarienne, mais ils ne devaient pas le savoir. À leurs yeux, elle représentait sûrement une sorte de prédateur. Mais comment avaient-ils fait pour voler tout ça ?

Résignée, elle observa l’empreinte de ses orteils dans le hachis parmentier. Il faudrait qu’elle les remercie pour le cadeau. Et surtout qu’elle leur explique de ne pas recommencer.

Mais pour l’heure, elle avait une vessie à vider.

Dehors, le ciel flamboyait comme un incendie de mauve et de pourpre. Les deux soleils de la Strate étaient posés sur l’horizon, immobiles. C’était ce qui se rapprochait le plus d’une nuit. Lorsque Alsvinnr et Árvakr, les chevaux solaires, avaient retrouvé leur liberté, ils avaient d’abord joué à la balle avec les deux astres. Ils avaient fini par se calmer, mais la Mégastructure n’avait pas pour autant repris un rythme circadien. Chacun des chevaux solaires avaient choisi l’un des soleils et traversait le ciel à son tour, de sorte que les jours se succédaient sans pause, uniquement séparés par quelques heures de crépuscule.

Blanche avait compris depuis longtemps que ce monde n’était pas fait comme la Terre. Ce n’était pas une planète. C’était une copie de qualité très moyenne, très immobile, et surtout… très plate. Les soleils ne pouvaient pas « se coucher ». Par contre, ils pouvaient être tirés et poussés par des chevaux de feu.

Quand elle s’accroupit dans un coin pour faire pipi, l’un des astres eut un sursaut. Elle crut apercevoir une petite silhouette incandescente devant lui, attelée par des liens d’or. Une petite silhouette qui piaffait sur place, la crinière déployée comme une queue de comète.

– Ah non, hein ! C’est pas le moment de me mettre un coup de projecteur !

Elle n’avait pas revu Alsvinnr et Árvakr depuis leur libération, car ils n’avaient pas remis pied à terre. Mais souvent, ils avaient de petits signes comme celui-ci à son intention. Elle choisissait d’y voir de la gratitude.

Elle était à peine en train de se rhabiller que quelqu’un l’éclaboussa par derrière. Elle se retrouva trempée, réveillée de plein fouet par l’eau fraîche.

– Mais bon sang !

Le fautif la doubla au grand galop avant de s’enfuir prestement. C’était l’ourson noir des deux femmes renardes. Blanche mit une main en visière pour le suivre des yeux ; il fila se cacher derrière un rosier de Chine et ne bougea plus. Une fois de plus, il avait oublié qu’à cause de la ligne temporelle de la Strate, il pesait au moins deux cents kilos et avait le profil massif d’un adulte. De fait, le buisson ne parvenait pas du tout à le cacher.

Peur.

Le grognement de lion, dans le dos de Blanche, la fit sursauter. Pouet apparut à côté d’elle. Il était splendide et massif, le poil d’une noirceur brillante, malgré toutes les cicatrices que lui avait laissées Orion. Il observait l’ourson, pensif. Comme toujours, Blanche fut frappée par le contraste entre leurs corps et leurs esprits. Ces deux-là n’étaient que des enfants, cachés dans des corps musculeux de plusieurs quintaux.

Pourquoi il a peur ? demanda-t-elle.

Du regard, Pouet désigna quelque chose dans leur dos. Il avait l’air résigné. Blanche se retourna juste à temps pour voir accourir la jeune femme renarde.

Babo ! Idiot, reviens ici !

Blanche se tendit. Tout le convoi la considérait comme une kitsune, mais en réalité, elle était autre – c’était une kumiho, une créature qui dévorait les humains. Elle avait déjà tué quatre boyards, et Blanche ne comptait pas être la cinquième. L’air de rien, elle posa une main sur son masque, prête à s’en saisir. Mais la renarde ne lui prêta aucune attention. Elle contourna le rosier, retira son chausson brodé et asséna une tape à l’ours nandi.

Babo ! Comment veux-tu que je te soigne si tu te caches ainsi ?

Blanche haussa les sourcils. Au fil du voyage, la créature commençait à laisser de côté ses manières élégantes. Le pragmatisme un peu vulgaire des boyards l’influençait peut-être.

– Peut-être que si vous arrêtiez de le tyranniser, il viendrait vers vous…

La kumiho ne l’entendit pas – ou fit mine de ne pas l’entendre. Elle tira sur l’oreille ronde de l’ourson pour essayer de l’extirper du buisson. Ses yeux noirs jetaient des éclairs.

– Allez ! Montre-moi ta patte.

– Allons bon, grommela Blanche.

Elle retroussa des manches imaginaires et s’avança vers elle.

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