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Hello ! Ce passage est entièrement nouveau :D Je me demande si vous réussirez à deviner l'identité de cette créature avant Blanche et Cornélia !


***

Splotch !

Le bruit réveilla net Cornélia. D'habitude, il en fallait plus pour la tirer du sommeil, mais ce bruit-là était vraiment incongru. Elle frotta ses paupières collées par la fatigue, ouvrit grand les oreilles. Ça ne ressemblait pas aux sons habituels du Berliet – le grincement doux des hamacs, les ronflements et respirations des dormeurs, et les trottinements des squonks et des chat-serpents.

– Mince alors ! gémit tout bas la voix de Blanche. Pas encore !

Cornélia eut soudain très envie de se rendormir. Tout plutôt que de découvrir la nouvelle bêtise que sa sœur avait inventée.

– Mais qui ça peut bien être ? se lamenta encore sa sœur.

Cornélia prit son courage à deux mains. Elle repoussa l’énorme masse chaude qui lui écrasait les jambes. Greg. Cela expliquait sans doute son cauchemar insensé dans lequel un camion lui roulait dessus. Le chapalu gronda d’un air mécontent et accepta de quitter le hamac ; il alla s'étaler mollement sur le sol, souple et gras comme une flaque de pâte à modeler. Cornélia posa ses pieds nus sur le fer de la benne. C’était une surface désagréablement moite, couverte de saleté, parsemée des petits cailloux ramenés par les chaussures des boyards, mais elle y était habituée. C’était comme un morceau de Strate.

– Blanche !

La silhouette de sa sœur sursauta. Elle se profilait dans les ombres, entre les hamacs de Mitaine et de Danaé. Vides. Autour d’elles, tous les soldats avaient déjà déserté leur lit.

– Qu’est-ce qu’il se passe, encore ? grogna Cornélia.

– Euh… rien, rien ! Tout va bien !

Blanche se hâta de ramasser quelque chose au sol – quelque chose de spongieux. Les bruits visqueux suscitèrent l’intérêt de Greg, qui s’approcha et se mit à laper la chose. Blanche jura entre ses dents.

– Non ! C’est dégueu ! Greg, enfin !

Sa grande sœur s’approcha à son tour, essayant d’y voir malgré ses yeux bouffis. Ça sentait la viande. Voire carrément le cadavre.

– T’as tué quelqu’un, ou quoi ?

Blanche avait l’air déconfit.

– C’est pas moi. On dirait que quelqu’un est venu régurgiter son repas sous mon hamac.

Cornélia plissa les narines. La tzitzimitl en elle se réveilla, affamée. En s’accroupissant, elle vit mieux ce que Greg était en train de manger : on aurait dit en effet la régurgitation d’une maman pour ses petits. Une bouillie pré-digérée pour quelqu’un qui n’avait pas de crocs.

– C’est la troisième fois ! gémit Blanche à voix basse. Enfin, pas pour le vomi. Jusqu’à maintenant, j’avais seulement des rations militaires et des morceaux de viande crue. (Elle se frotta le menton en réfléchissant.) La nivée a dû voir que je ne mangeais rien... Elle s’est peut-être dit qu’elle avait plus de chances en pré-mâchant son offrande ?

Cornélia leva les yeux au plafond.

– Je comprends rien ! Quelqu’un est venu trois fois déposer de la bouffe sous ton hamac ?

Et Greg était en train de tout nettoyer à sa façon, à grands coups de langue ravis. Cornélia se pinça le nez, luttant entre sa propre nausée et la faim dévorante de la tzitzimitl. Voilà ce qui arrivait quand on était entourée de monstres – quand on était un monstre soi-même !

– Je pensais que c’était les squonks, chuchota Blanche, mais ils m’ont dit que non. Et puis, ils n’auraient pas pu régurgiter tout ça. Ça doit être une nivée assez grosse. Mais elle est assez discrète pour ne réveiller personne !

– Pourquoi pas Greg ? ronchonna Cornélia. Il adore manger son vomi.

– Ça m’aurait réveillée direct ! (Avec un certain talent, la blondinette imita les hoquets qui secouaient le chat en plein action.) Je connais le bruit par cœur, il hante mes cauchemars.

Elle n’avait pas tort. Ce bruit-là était inimitable. À Lyon, elles avaient assez souvent trouvé du vomi dans leurs pantoufles à trois heures du matin pour en garder un traumatisme impérissable.

– Mais les squonks l'ont forcément vue, cette bestiole ! répliqua l’aînée.

– Ils m’ont dit « Grosse bête, peur, très peur ». Avec ça ! Je crois qu’ils se cachent quand ils la voient. Et puis, regarde le plus bizarre…

La blondinette s’empara de quelque chose sur le sol. Quand Cornélia les eut devant les yeux, elle reconnut de grosses fleurs charnues comme celle que sa sœur avait piquée une fois dans ses cheveux.

– À chaque fois, il y en a au moins trois, expliqua Blanche. Étalées en cercle, et toujours mauves ou bleues. Tu crois que ça a une signification précise ? (Avant même d’entendre la réponse, elle poursuivit.) Parfois, il y a aussi des jolis cailloux ronds ou des bouts de verre poli. Tiens ! Il y en a un, là.

Mais lorsque le « caillou » accrocha un faible éclat de lumière, les sœurs réalisèrent leur erreur.

– Une pièce d’or ! couina Blanche.

Cornélia siffla doucement entre ses dents, admirative. Elle saisit l'écu brillant, le fit tourner entre ses doigts.

– Eh ben ! Ça vaut peut-être le coup d’avoir du vomi sous son lit tous les matins.

– Ou pas ! glapit sa sœur. À qui est-ce que cette nivée a volé cet or, hein ? T’y as pensé ?

La même réponse les traversa, vive comme l’éclair. Cornélia jeta un coup d’œil discret vers le fond de la benne, là où la pénombre se changeait en obscurité. Dans ce coin reculé, un hamac se tenait à l’écart des autres. Celui qu’avait réquisitionné Aegeus pour se reposer.

Lui non plus ne s’est pas levé avec les autres.

Le flot de ses cheveux dorés ruisselait jusqu’au sol. Personne ne s’approchait de ce hamac : aucun boyard ne se serait permis de se pencher vers lui. Encore moins de lui demander si tout allait bien.

Pourvu que la pièce ne vienne pas de lui, gémit Blanche silencieusement.

Cornélia haussa les épaules.

C’est le seul à avoir de l’or ici, non ? Je sais pas où il le cache, mais en tout cas, t'inquiète : il est pas en état de compter son trésor pour l'instant.

Une voix grave s’éleva dans le silence.

– C’est une demande.

Les deux sœurs firent volte-face. Elles finirent par apercevoir la silhouette d’un garçon assis par terre, sous un hamac. Iroël. En s’approchant, elles perçurent le bruit feutré et répétitif du cutter en plein travail. Autour de lui, le sol était jonché de morceaux de plastique.

– Une demande ? répéta Cornélia.

Iroël leva ses yeux sombres vers elle, puis vers Blanche.

– Les fleurs, les cailloux, la viande et le reste. C’est une demande.

Blanche écarquilla les yeux.

– Une demande de qui ? T’as vu qui c’était ?

Il haussa une épaule, dans un geste que Cornélia connaissait par cœur. Ce garçon savait toujours tout, et agissait toujours comme si cela n'avait aucune importance.

– Non, je l’ai pas vu. Mais je sais quelle nivée c’est.

Blanche semblait à deux doigts de l’attraper par la gorge et de le secouer pour qu’il crache le morceau.

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