15 - Algarade fait son cirque

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Le qilin s’agita, rompit la formation et sortit du convoi. Il se mit à danser sur place en levant haut les sabots, faisant jaillir des éclaboussures sous ses pas.

– Oh, misère… marmonna Aaron avant de se diriger vers lui.

Intriguée, Cornélia lui emboîta le pas. En s'approchant du qilin, elle comprit tout de suite. Deux autres qilin se trouvaient en bord d’avenue, émergeant de l’ombre sous une branche de figuier fleuri. Ils regardaient passer le convoi, un peu craintifs devant le gigantisme des camions.

Algarade s’approcha d’eux en sautillant bizarrement de côté, comme un crabe avec des fourmis dans les pattes. Cornélia faillit éclater de rire, mais elle se retint pour ne pas égratigner son égo. Aaron regardait la scène, les mains dans les poches.

– Ce sont des femelles. Cet idiot va faire le pitre pendant mille ans pour essayer de les impressionner.

Il claqua de la langue et s’apprêta à rappeler Algarade. Cornélia ne put s'empêcher d'intervenir :

– Il doit se sentir seul. Il n’y a pas de qilin dans le convoi, à part lui… Elles voudront peut-être venir avec nous ?

– Ouais ! lança la voix de Blanche. Laisse-le faire connaissance, le pauvre !

Cornélia sursauta.

– Arrête de toujours apparaître derrière moi comme ça !

– Arrête de flipper pour rien !

Stupéfaite, sa grande sœur la dévisagea.

– Bah quoi ? fit Blanche.

Avec son visage poupin et ses grands yeux ronds, elle avait l’air d’une fillette. La longueur démesurée de ses cheveux n’arrangeait rien : par contraste, son corps semblait encore plus minuscule. De petits boutons d’acné s’étaient ajoutés aux taches de rousseur sur ses joues.

Super, marmonna Cornélia en son for intérieur. Moi, je dois avoir l’air d’une grande potiche, avec un grand nez, des grands pieds et des boutons partout.

Aaron ne les regardait pas, toujours concentré sur les qilin ; mais une infime crispation s’était produite sur son visage à l’écoute de la voix de Blanche. Il siffla :

– De toute façon, elles voudront pas venir. Il va se faire rejeter.

Quand Algarade s’approcha des femelles, fier et beau comme un oiseau de paradis, un coup de dents acérées le convainquit de garder ses distances. Sans bien comprendre, il se remit à danser sur place avec un peu de désespoir.

– C’est un esclave, dit Aaron à voix basse. Il a été élevé comme un animal, il est bête comme ses pieds. Elles, elles sont instruites... les qilin sont très spirituels. Surtout les femelles. Elles se transmettent des histoires de génération en génération, et les mémoires de leur peuple avec. Elles comprennent toutes les langues, toutes les créatures qui existent. Alors que lui...

Sous leurs yeux, Algarade changea de tactique. Plein d’enthousiasme, il souffla vers les femelles, puis en direction du convoi.

Venir, comprit Cornélia. Venir dans le convoi. Manger. Ventre plein.

Mais comme l’avait prédit Aaron, elles ne semblaient pas vouloir le suivre.

– Elles sont si maigres, releva Cornélia, les sourcils en accent circonflexes. Si elles viennent, elles pourront au moins manger à leur faim…

– Et subir la compagnie d’Algarade en permanence ? répliqua Aaron. C’est un lourdaud analphabète.

Les deux femelles dévisagèrent le qilin, avant de se concerter du regard. À l’unisson, elles tournèrent les sabots et s’en allèrent dans le bruissement des feuilles. Algarade hennit derrière elles sans comprendre. Quand il tenta de les suivre, Aaron l’attrapa par sa queue en plumes de paon.

– Arrête de t’humilier ! Tu vois pas qu’elles sont pas pour toi ? Idiot ! Tu es un esclave !

D’une tape, il le repoussa vers le convoi. Le qilin hésita ; Cornélia fut choquée de le voir ainsi, presque enfantin, lui qu’elle avait vu massacrer des anges avec l’orgueil d’un tigre. Il fixait les dos des femelles qui s’éloignaient. Cornélia fut frappée un instant par leurs hanches qui formaient des angles aigus sous leurs écailles. Ces créatures n’avaient que la peau sur les os. Algarade attendit un long moment avant de reprendre sa place, la queue basse.

– Le pauvre… murmura Blanche. J’arrive pas à comprendre pourquoi…

– C’est une bête de guerre. Il sait pas réfléchir, ni compter. Comme un chien qui sait seulement se battre pour son maître.

Les yeux sombres d’Aaron se durcirent, comme si, au lieu du qilin, il voyait un autre monstre.

– Qu’est-ce qu’elles pourraient trouver de bien en lui ?

Blanche chercha son regard, mais il l’esquiva.

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