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Coucou ! Claudine et Ephaline sont de retour parmi nous, ça fait plaisir de vous revoir les filles ! (par contre il va me falloir un petit moment pour traiter mes 104 notifications xD)
Ce soir, nouvel épisode chez Bastet !
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Du coin de l’œil, elle aperçut du mouvement sur l’une des routes de terre, et y tourna son attention. Quelque chose se dirigeait vers le palais, quelque chose d’une blancheur aveuglante, qui gênait sa vision acérée.
Un immense troupeau de moutons. Mené par une petite silhouette boiteuse aux cornes d’or.
Panurge.
Même de loin, l’ouïe surnaturelle de la tzitzimitl pouvait percevoir les centaines de petits sabots fourchus qui martelaient la terre.
Elle se retourna, alertée par un autre son. À l’opposé, sur le chemin de l’ouest, une toute autre sorte de troupeau approchait…
« Horus déclinera poliment l’invitation », leur avait dit Midas dans son palais d’or. « En guise d’excuse, il fera parvenir à Bastet mille bœufs chargés de trésors et des mets les plus raffinés. »
Ils étaient là. Les mille bœufs envoyés par Horus. Contrairement aux moutons de Panurge et à leur charivari trottant et enthousiaste, ces bœufs avançaient lentement, deux par deux, formant une longue cohorte qui s’étirait à perte de vue dans Pékin et disparaissait entre les immeubles. Ils étaient chargés de paniers qui étincelaient dans les rayons du soleil, regorgeant d’or, de pierreries et de coffres de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
A priori, le danger ne viendrait pas de là. Ni de Panurge.
Mais alors que la tzitzimitl s’apprêtait à descendre faire son rapport, elle remarqua quelque chose d’autre.
Quelque chose, ou plutôt quelqu’un. Car un autre invité venait de poser le pied sur la place de Tiananmen ; et lui aussi était loin de passer inaperçu.
***
Argos, lança la tzitzimitl en atterrissant d’un bond.
Elle se mua en humaine et répéta, hors d’haleine :
– Argos et Io. Ils marchent eux aussi vers le palais. (Ni Aegeus, ni Aaron ne tiquèrent.) J’ai vu aussi Panurge, et les bœufs envoyés par Horus. On devrait les voir même d’ici…
Elle mit une main en visière. Sa vue humaine était si basse comparée à celle de la tzitzimitl !
– Là, dit-elle en pointant le doigt vers l’Est.
Personne ne suivit son doigt, sauf Blanche. Aegeus la fixait elle, le visage neutre – un peu trop neutre.
– Tu connais Io et Panurge, toi ? Où est-ce que tu as entendu parler d’eux ?
Cornélia réalisa d’un coup à quel point elle était bête. Elle se gifla intérieurement.
Idiote !
– Peu importe, finit par dire Aegeus, qui avait pourtant plissé les paupières avec suspicion. Le fait qu’ils soient là veut juste dire que nous sommes à l’heure.
Cornélia se retint de dire qu’Argos et Io étaient accompagnés de ce qui ressemblait fort à un troupeau d’humains. Ils étaient tous entièrement nus, chacun affublé d’un collier et relié aux autres par une chaîne. Cette vision l’avait glacée, mais Aegeus devait déjà savoir à quoi s’attendre.
Après tout, dans la Strate, Argos était connu pour son élevage d’êtres humains...
– Restez bien sur la route, ordonna Aaron. Tenez-vous à l’écart des sphinx, gardez vos armes à portée de main.
– Nous devons trouver une entrée de service, ajouta Aegeus. Je nous guiderai. Souvenez-vous que nous sommes en terrain inhospitalier ; Epona est la seule sur laquelle nous pouvons compter. (Il baissa d’un ton, soucieux.) La mort de Midas devrait m'offrir sa sympathie.
– Quoi, on peut même pas entrer par la grand-porte ? râla Blanche.
Un sourire narquois échappa à Aaron.
– Non, la naine. Tu te prends pour Cendrillon ? Nous, on entre par le placard à balai.
***
Comme prévu, leur entrée au palais fut très peu glorieuse.
Avant d’accéder au fameux « placard à balai », il leur fallut traverser un bassin bordé de palmiers et de papyrus luxuriants. Aaron leur ordonna de se laver entièrement, car Bastet était très à cheval sur l’hygiène, comme le voulait sa culture.
– Vous avez intérêt à être présentables si vous voulez rester en vie, avait-il commenté. Si elle vous trouve trop sale, elle vous traitera comme des bestioles crasseuses et vous finirez dans son assiette. Vous devez mériter son attention.
Ils avaient été instantanément convaincus et s’étaient lavés très soigneusement.
En sortant du bassin, nus comme des vermisseaux avec leurs vêtements à la main, ils s'étaient retrouvés nez à nez avec une foule de vingt servantes.
– Oups, fit Gaspard, traduisant à voix haute la pensée de tout le monde.
C’étaient toutes de très jeunes filles au crâne rasé, uniquement vêtues d'un gros collier d’or et d'une ceinture de perles bleues ; mais elles portaient leur nudité avec beaucoup plus de classe qu’eux. Elle étaient chargées de coffres et de jarres débordantes de trésors, immobilisées en plein labeur entre les colonnes de marbre, pour dévisager ce petit groupe d’humains mal rasés qui n’avaient pas l’air de bien savoir ce qu’ils faisaient là.
Cornélia, en les contemplant, se demanda si elles étaient en train de décharger toutes les richesses apportées par les bœufs d’Horus.
– Nous sommes ici pour le banquet, lança Aegeus sans gêne ni préambule. Amenez-nous auprès de l’Intendante.
La mauvaise humeur suintait dans sa voix, mais Cornélia devina que c’était moins dû à la situation qu’à cause de la douleur perpétuelle qu’il cachait en lui. Les servantes le contemplaient avec de grands yeux, saisies par sa beauté. Cornélia n’était plus sensible à son charme depuis longtemps, et son épuisement lui crevait les yeux ; mais les servantes ne pouvaient pas savoir qu’il s’agissait d’un corps entièrement faux, brûlé de l’intérieur par une étrange malédiction. Certaines d’entre elles dardèrent des regards appréciateurs vers Beyaz et Gaspard, dont la carrure était plutôt agréable à regarder, surtout maintenant qu’ils étaient propres.
– Alors ? jeta la vouivre d’un ton sec. Vous avez perdu votre langue ?
Aaron se rapprocha discrètement de lui.
– Ben, justement, je crois que Bastet coupe la langue à ses servantes… non ?
Aegeus produisit un bruit agacé.
– Saloperie, j’avais oublié ça.
De mieux en mieux, songea Cornélia. Dans quel panier de crabes allaient-ils encore se fourrer ?
Soudain, quelqu’un se fraya un passage parmi les jeunes filles muettes.
– Pardon, s’cusez-moi, pardon, pardon… Mais qu’est-ce que vous faites, pauvres nunuches ? Vous campez dans l’entrée ou quoi ? Laissez-moi passer, enfin !
La personne – la créature ? – émergea enfin devant le groupe de boyards. Elle se pétrifia, aussi surprise qu’eux, et les dévisagea sans aucune politesse.
– Aegeus ? finit-elle par dire. Mais qu’est-ce que tu fiches ici ?
C’était une jeune fille à la peau mate, dotée d’une longue tresse noire. Ses sourcils broussailleux et sa mâchoire anguleuse lui conféraient une certaine prestance masculine. Mais surtout, elle n’avait pas de jambes.
Son buste, tel une marionnette grotesque, était monté sur un corps d’araignée géant.
De frayeur, Blanche planta les ongles dans le bras de Cornélia, qui fit de son mieux pour ne pas trahir d’émotion. Derrière elles, Gaspard dit faiblement :
– Sainte mère de…
– On est accompagné, je vois ? commenta la jeune fille-araignée sans se laisser démonter par les expressions horrifiées qui fleurissaient sur leurs visages.
– Arachné, soupira Aegeus.
Pour la première fois depuis bien longtemps, quelque chose de positif apparut sur son visage, quelque chose qui ressemblait à du soulagement. Il ajouta :
– Je ne savais pas que tu étais chez Bastet.
– Ouais, fit la jeune fille sans aucune élégance. Je crèche chez elle en ce moment. Elle voulait que je sois là pour son foutu bal, et puis, elle me nourrit bien. J’ai dix servantes à mon service, tu te rends compte ? Dix ! Et une chambre de la taille d’un hôtel, avec un grand bain chaud et surtout, un lit.
Elle tapota le sol du bout d’une patte. Son crochet meurtrier tinta légèrement sur les dalles.
– Tu sais, c’est dur de trouver un lit assez grand pour y rentrer tout ça.
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