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Helloo ! Je crois qu'on a tous-tes eu une grosse frayeur avec le bug qui a duré 2-3 jours, mais tout a l'air résolu, ouf ! Je reprends donc les épisodes (si je veux sortir ce tome en fin d'année, il ne faut pas que je traîne trop !)
J'ai ajouté pas mal de choses à cette scène, en espérant lui donner plus de sens qu'elle n'en avait à l'origine. J'espère que ça fonctionne !
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– Tourne-toi, lui intima Arachné. J’ai presque terminé !
– Déjà ?
Elle obéit et fixa le mur recouvert de motifs peints. La fresque dépeignait Bastet en train de combattre le serpent Apophis. La déesse était représentée sous la forme d’un grand chat aux oreilles démesurément longues, armé d’un couteau à la lame meurtrière. Mais ce n’étaient que des images. À quoi Bastet pouvait-elle vraiment ressembler ?
Interrompant ses réflexions, Arachné la saisit soudain par la taille et la tracta vers elle avec la force d’un monstre. Blanche retint un cri d’effroi. Les pédipalpes de l’araignée s’affairèrent partout sur son corps pour l'habiller. C’était de la gaze ou de la soie, un tissu si léger qu’il coulait sur elle comme une rivière. Du bout de ses pattes, Arachné arrangea les plis du vêtement tandis que ses mains humaines peignaient les longs cheveux de Blanche.
– Tadaa ! Regarde !
D’une patte, elle attrapa un grand miroir en bronze et le fit tourner devant la blondinette.
– Tu en penses quoi ? Par pitié, ne fais pas une tête de six pieds de long comme le crocotta. J’ai vraiment fait de mon mieux ; même une néophyte comme toi devrait se rendre compte que c’est du bel ouvrage, non ?
Silencieuse, Blanche dévisagea son reflet. Cela faisait longtemps, très longtemps qu’elle ne s’était pas vue dans un miroir. C’était celui d’une fille couverte de boutons de moustiques, qui semblait à peine adolescente. Tout en elle scintillait. Un bustier entièrement cousu de fils d’or rehaussait sa poitrine quasi inexistante. Sur sa taille, il se dispersait en volutes dorées et en broderies, laissant la place à un long jupon transparent.
Blanche eut un coup au cœur lorsqu’elle se rendit compte qu’elle ne se reconnaissait pas – et que ce n’était pas dû à l’habit merveilleux.
Elle dévisagea ce visage rond et enfantin, avec sa peau brûlée par le soleil. Quelque chose cria au fond d'elle : « Ce n’est pas moi. Je suis un raijū. Je suis un raijū ! »
L'inconnue du miroir lui rendit son regard troublé. Cette fille avait vécu dans le monde réel, elle avait des parents quelque part, elle avait vécu à Lyon, à Saint-Etienne et à Marseille. Cette fille était allée au collège, où elle avait été humiliée chaque jour, puis au lycée, qui n’avait pas été beaucoup mieux. Blanche connaissait tout d’elle ; mais elles n'étaient plus la même personne.
À travers l’onde de choc, des mots se frayèrent un chemin dans son esprit, des mots qu’Aaron avait prononcés un jour, chez les archanges.
« J’arrivais pas à comprendre que j’étais humain. J’ai mis des années à comprendre qui était le mec qui me regardait dans le miroir. »
Blanche agrippa sa poitrine, pressant le magnifique bustier brodé. Dans le miroir, la préadolescente fit de même. Le cœur de Blanche frappait à grands coups dans sa cage thoracique, essayant désespérément de retrouver le chemin vers ce qu’il avait perdu. Mais il n'y parvenait pas. Soudain, elle eut envie de pleurer.
– Alors ? demanda Arachné qui s’impatientait.
Blanche retint ses larmes, empoigna l’ourlet du jupon et fit quelques pas vacillants. La soie pailletée lançait mille reflets partout dans la pièce, qui valsaient au rythme de ses gestes comme une myriade de points lumineux.
– Je suis une boule disco.
Arachné fit une drôle de tête.
– Tu n’aimes pas.
La blondinette hésita.
– Bien sûr que si ! C’est magnifique. (Le visage de la couturière s’éclaira d’un coup.) C’est…
Blanche se mira de nouveau dans la glace. Ses yeux brillaient plus forts qu’à l’accoutumée ; elle craignit qu’Arachné se rende compte de quelque chose. Petit à petit, en s’observant elle-même, une ancienne sensation refit surface. C’était léger, mais c’était là, comme un écho effacé. Le soulagement fut si intense qu’une larme coula sur sa joue.
– Voyons ! s’alarma Arachné. (Elle s’approcha, tira un mouchoir de son propre habit et lui épongea délicatement la joue.) Ça faisait longtemps qu’une de mes robes n’avait pas eu un effet pareil !
– Ce n’est pas la robe, sanglota Blanche. C’est moi… je… je ne suis plus moi…
D’une main, elle joua avec le tissu de sa jupe, essayant de se concentrer sur cette sensation. C’était doux et fragile comme une aile de papillon. Arachné l’observa, soudain silencieuse ; une émotion fugace passa dans ses yeux.
– Je crois que je suis de moins en moins humaine, articula Blanche. Je n'arrive plus à me reconnaître... Et… ça me fait peur.
Arachné eut un sourire triste. Elle lui tendit le mouchoir ; Blanche fondit dedans comme un glaçon laissé au soleil.
– Nous devons tous en passer par là à un moment de notre vie, dit doucement la fille-araignée. Moi, tu crois que je suis née ainsi ? J’étais humaine jadis. Mais j’ai fait preuve d’orgueil, d’imprudence… et j’ai tout perdu. Tout ce qui faisait ma vie.
D’une main lasse, elle effleura son thorax noirâtre.
– Et je ne suis pas la seule. La Strate et la magie ont une forte tendance à nous corrompre. Mais tu sais… la vie aussi nous corrompt. Nous changeons tous, même lorsqu’il ne s’agit que de vieillesse, ou de prendre du poids au fil du temps. On pourrait se dire que c’est moins pire… mais je ne crois pas. Je crois que…
Elle hésita.
– Je crois qu’il est très dur de se réveiller chaque matin et se voir tel que l’on est... ou tel que l'on est devenu. Pour chacun d’entre nous.
Blanche se détourna du miroir.
– Merci pour la robe. Elle est très belle.
Arachné eut un sourire entendu.
– Oh, de rien. Beaucoup de gens méprisent l’élégance et la mode, mais moi, je crois que ce sont des choses merveilleuses qui peuvent aider les gens à accepter leur reflet ! Mes créations synthétisent tout ce qu’il y a de meilleur chez ceux qui les portent. Tu es brillante d'esprit, Blanche, et tu es quelqu’un de solaire. Et tu resteras cette personne même si tu perds ton humanité. Un raijū est une personne, tout autant qu’un humain !
Elle sembla soudain se rappeler que l’heure tournait, et sursauta. D’une main, elle la chassa dans la pièce d’à côté.
– Allez ouste ! Je dois passer au suivant. (Elle cria à pleins poumons.) SUIVANT !
Avant que Blanche ne disparaisse, elle lui fit un clin d’œil.
– Je ne dis pas que tu ne souffriras pas. Il faudra t’habituer à ce que tu es, petit à petit… et c’est une chose très difficile. C'est le travail d’une vie.
Blanche hocha la tête, la gorge nouée. Elle aurait voulu lui demander s'il lui était encore possible de faire marche arrière, mais au fond d'elle, elle connaissait déjà la réponse. La Vingt-Cinquième heure l'avait irrémédiablement changée ; le masque n'était que la partie visible de l'iceberg. Alors elle s’en alla sur la pointe de ses pieds nus, dans les froissements de son jupon.
Et, sitôt passée dans la salle voisine, elle tomba sur Aaron.
Elle remarqua d’abord ses cheveux arrangés en une coupe impeccable, puis sa mine très renfrognée. Ses yeux fusèrent vers ceux de Blanche, qu’elle avait encore rouges. Elle comprit aussitôt qu’il avait tout entendu.
– Ce n’est pas ce que tu crois, coassa-t-elle.
Il la toisa de son air de bouledogue mal luné.
– Ah non ?
Blanche baissa fugacement les yeux, puis laissa échapper une exclamation émerveillée. Aaron était vêtu d’un uniforme de militaire haut-gradé, d’un blanc immaculé, rehaussé de boutons dorés et de chainettes sur l’épaule droite. L’habit était parfaitement ajusté à sa petite stature d’adolescent. Sur la veste, côté cœur, brillait une grande médaille aux couleurs du convoi : le noir écailleux des hydres, les tigrures dorées des bakus, le vert flamboyant des hippalectryons…
– Aaron ! bégaya-t-elle.
Son regard à lui monta le long des jambes de Blanche, qui se dévoilaient et se dissimulaient dans les plis impeccables de sa jupe, puis survola le bustier doré. Ses yeux revinrent très vite se fixer au sol ; il se frotta la nuque d’une main, gêné. Blanche s’approcha, tourna autour de lui pour prendre la mesure de son magnifique uniforme. D’une main, elle tenait toujours l’ourlet de sa jupe, et chacun de ses pas éclaboussait toute la pièce de reflets lumineux.
– C’est incroyable. Ça te va tellement bien ! (Elle enfonça son doigt dans le coton de la veste militaire, toucha l’un des boutons dorés.) Oh, ventre-saint-gris !
Sur chacun des boutons était gravée une tête de blaireau, la gueule ouverte, toutes dents dehors. Arachné n’avait pas pu tisser ça. C’était de la magie. De la vraie magie.
Aaron avait toujours été le lieutenant du convoi ; mais ce jour-là, pour la première fois, il avait l’air d’un lieutenant. Arachné avait fait ressortir de lui tout ce qu’il avait de bon, de sérieux, de solennel ; elle avait laissé derrière ses grognements, ses cris et sa mauvaise humeur, et avec ses qualités uniquement, elle avait créé cet habit. C’était sublime. La gorge de Blanche se noua de nouveau, et un gros sanglot d’émotion lui remonta du cœur. Était-ce aussi ce que les gens voyaient d’elle, dans cette robe ?
« Tu es brillante d'esprit, Blanche, et tu es quelqu’un de solaire. »
Aaron parut déconcerté au plus haut point lorsqu’elle fondit en larmes.
Des yeux, il fit anxieusement le tour de la pièce comme pour chercher une échappatoire.
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