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Hello ! Ici, j'ai gardé le même déroulement que dans la version d'origine, mais avec plein de modifications pour plus de cohérence et de tension. J'espère que ça fonctionne mieux !


***

– Qu’avez-vous fait du corps ?

Bastet se dressait devant elles, splendide silhouette noire enrobée de lin blanc. Les autres immortels écoutaient avec une nonchalance étudiée. Ils avaient l'air alanguis et calmes, mais tels des serpents au soleil, Cornélia ne doutait pas qu'ils pouvaient mordre en une fraction de seconde.

– Nous ne l’avons pas tué, répondit-elle avec prudence. Il est simplement parti.

Lorsqu’elles étaient revenues au banquet, clamant leur réussite, la déesse avait aussitôt envoyé deux de ses serpolionnes inspecter son palais. Et les créatures au long cou avaient été formelles : le monstre n’était plus là.

– Et qu’avez-vous fait du garçon qui vous accompagnait ?

Blanche hésita, puis s’inclina avec maladresse. Sa robe vaporeuse, lacérée en trois endroits, laissa voir ses jambes maigrichonnes.

– Il termine le travail, Votre Altesse.

Un frémissement traversa le visage félin de Bastet ; Cornélia se tendit, craignant que sa tête tourne d'un coup pour laisser la place à Sekhmet, mais ce ne fut pas le cas. En silence, la déesse leur fit signe de monter sur l’estrade ; en silence, elle ordonna à ses servantes de leur apporter de somptueux desserts au riz et à la fleur d’oranger. Leurs estomacs contractés par l'angoisse parvinrent à se dénouer un peu. Le reste de la bande leur jeta des coups d'œil insistants, sans oser poser une seule question. À la dérobée, Aaron fixait la robe découpée de Blanche et l’estafilade rouge vif sur sa cuisse.

– Quelles méritantes jeunes filles, commenta Argos d'une voix semblable au ronronnement d'un fauve. Et pas un mot de leur maître pour les féliciter ! Es-tu donc devenu si ingrat, Aegeus ?

Cornélia haussa les sourcils, sans quitter son dessert des yeux.

On se le demande, exprima-t-elle sans vraiment le vouloir.

Aegeus lui jeta un regard rapide. Puis il inclina la tête avec raideur.

– Je ne suis pas leur maître. Elles sont assez grandes pour se réjouir seules de leur exploit.

Cornélia se demanda s'il était mécontent, ou atteint dans son égo pour se montrer si peu loquace ; mais quand elle vit sa main trembler sur sa cuillère, elle comprit qu'il souffrait. Il fournissait sans doute un effort héroïque pour contenir sa douleur.

Tant mieux, songea-t-elle. Il ne pourra pas s'interposer quand on passera à la suite.

Car leurs épreuves n’étaient pas terminées. Il leur restait un problème à résoudre, et celui-ci était de taille ; il risquait de les mettre tous en danger. Les yeux d'Aegeus se plissèrent dans sa direction. Elle avait encore trahi ses pensées avec la langue sans mot. Pourquoi était-il toujours si attentif à ce qu'elle exprimait ?

Parce que je me méfie de tout ce qui traverse ta minuscule cervelle, répondit-il. La tienne et celle de ta sœur. Quel que soit le plan que vous avez prévu, renoncez-y.

Les autres boyards ne perdaient pas une miette de leur affrontement silencieux. Des yeux, Cornélia défia Aegeus.

Impossible. Mais tu ne comprendrais pas pourquoi, toi : il faut avoir un cœur pour ça. Vas-y, Blanche !

C’était l’idée de sa sœur, c’était à elle de la mettre à exécution. Cornélia savait qu’elle en était capable. La cadette essuya ses mains moites sur sa robe, le temps de prendre son courage à deux mains. Le regard d'Aegeus se planta en elle comme une flèche à la pointe de diamant. Elle dit d'une toute petite voix :

– Votre Altesse... J'ai cru comprendre que vous aviez traversé beaucoup d’épreuves à cause de cette créature que nous avons chassée…

Les immortels firent silence pour mieux entendre la suite. Même ceux qui trônaient sur les estrades les plus éloignées, comme l’énorme lion aux écailles d’acier blanc et son voisin Cerbère. Celui-ci bavait autant qu’un brave toutou de salon ; mais dans les flaques de sa salive putride, des aconits poussaient sans arrêt, à tel point que Cornélia se déconcentra un instant. Les fleurs violettes déployaient leurs pétales toxiques, enracinées dans la pierre blanche du balcon. Personne ne semblait s’en inquiéter.

– Ne craignez-vous pas… poursuivit Blanche de sa voix frêle. Que cette situation se reproduise ?

– Et pourquoi donc se reproduirait-elle ? gronda la déesse lovée sur son trône égyptien. As-tu failli à ta mission, petite fille ? Devrais-je te faire embrocher sur une pique et t’envoyer dorer aux cuisines ?

Blanche déglutit.

– Non bien sûr, elle est bel et bien partie, mais… si vous aviez un autre monstre dans votre palais, et qu’il risquait de devenir bientôt aussi énorme et problématique que le précédent ?

Cornélia fixa soigneusement sur sa coupe à dessert, pour ne pas montrer qu'elle transpirait par tous les pores de sa peau.

– Que veux-tu dire ? aboya Bastet qui risquait d’atteindre très vite ses limites déjà tendues à craquer. Parle avant que je te fasse ouvrir la gorge. Je n’ai pas besoin de nouveaux pavillons en ruine !

Blanche fixa sa cuillère en argent, dont le manche se terminait par un chat aux oreilles démesurées : Bastet elle-même. Puis elle largua la bombe :

– Je crains que votre nouveau concubin ne vous pose problème très bientôt.

Un bref reniflement échappa à Aegeus, mais il fut assez subtil pour passer inaperçu. Aaron haussa les sourcils. Bastet, elle, se figea. Tous les regards se portèrent sur Greg, qui continuait de dévorer sans trêve tout ce qui passait à sa portée. Des coulées de sauce graissaient son pelage. Cornélia retint un frisson de répugnance.

– C’est un chapalu, expliqua Blanche. C’est une créature qui ne fait que manger, et qui est très difficile à contenir. Regardez, il est déjà en train de grossir.

La déesse contempla son concubin poilu.

– Plus les chapalus mangent, plus ils grandissent, Votre Altesse, ajouta Blanche. Et puisque leur appétit n’est jamais rassasié, c’est un cercle vicieux. Ce sont des créatures qui viennent de France, et qui ont fait beaucoup de dégâts chez nous au Moyen-Âge.

Cette phrase n'était pas prévue dans le script. Cornélia dévisagea sa sœur avec des yeux ronds, mais elle ne flanchait pas. Sans s'en rendre compte, Blanche glissait vers sa voix habituelle de Miss Je-sais-tout.

– Et quand vous n’aurez plus assez de viande dans vos cuisines pour remplir son estomac, il risque de se tourner vers vos servantes et vos gardes… comme le carcolh l'a fait avant lui.

Il y eut un blanc. Puis Danaé toussota.

– C’est vrai qu’le chef le met toujours au régime, normalement.

Gaspard embraya vite :

– Ces bestiaux, faut les affamer pour les garder à taille convenable. Sauf qu’ils pètent les plombs quand ils ont faim. Le nombre de problèmes que celui-ci a posés au convoi ! J’vous raconte même pas !

Une émotion incertaine monta en Cornélia. Elle n'en croyait pas ses oreilles. Danaé lécha sa cuillère en argent :

– En plus, il vomit de la bile quand il a l’estomac vide. Un plaisir. Oui, c’est moi la nettoyeuse de vomi du convoi.

Aaron les regarda tous les uns après les autres comme s'il voyait déjà leurs peaux écorchées sur le mur. Il fixa Beyaz, l'air furieux, en le mettant au défi d'entrer dans leur jeu. Le grand soldat resta tout à fait calme. Il prit le temps de poser sa petite assiette à dessert, puis dit de sa voix grave :

– Mes collègues disent vrai. Moi, ça ne me dérangerait pas d'en être débarrassé. Je suis sûr qu’il sera très bien chez vous, Votre Altesse.

Pile au bon moment, Greg fit tomber un plat des mains d’une servante à force de se goinfrer comme un ogre. La vaisselle tinta contre le sol de pierre et la jeune fille s’enfuit avec un couinement terrifié.

Argos, toujours allongé sur sa banquette luxueuse, haussa un sourcil.

– Quel charmant concubin !

Bastet laissa passer quelques instants de silence. Ses moustaches s'agitèrent, pensives. Puis :

– La bonne santé de mon palais et de mes servants passent avant mes concubinages. Reprends-le, Aegeus. Je me trouverai un autre prince, même si mon cœur saigne à cette idée.

Cornélia laissa échapper le filet d'air qu'elle retenait depuis une bonne minute.

On a eu chaud. Elle a vraiment flashé sur lui.

– Oh non, se plaignit Gaspard en expédiant un coup de coude à Danaé. Encore du vomi à ramasser !

– Quelle tragédie, dit-elle d'un ton monocorde.

– Peu importe cette créature goinfre et malodorante, intervint Argos. Moi, ce qui m’interroge, c’est comment trois petites brindilles telles que vous ont pu triompher d’un monstre que ni les serpolionnes, ni les hiéracosphinx de notre hôte révérée n’ont réussi à chasser.

Les yeux brillants, il se pencha sur ses accoudoirs en bois verni et contempla Blanche et Cornélia.

– Elles auront usé d’artifices humains, siffla Echidna derrière lui. Tu connais les primates. Ils sont rusés et fourbes. Ils ont l’âme changeante et noire, comme disent les nivées.

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