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Coucou ! Ce chapitre n'a quasiment pas changé, j'ai juste modifié le début pour que la transition se fasse mieux, j'espère que le début de la scène est plus fluide maintenant !

***

Alors qu’ils retraversaient la place de Tiananmen au rythme de vieillard d’Aegeus, un petit détachement impérial se dirigea vers eux. Cornélia aperçut d’abord le grand palanquin scintillant, tout en verreries transparentes bordées d’or. Il pesait sur les épaules massives de plusieurs porteurs. Avant même qu'il parviennent à leur hauteur, les boyards se mirent en garde et se déployèrent autour de leur chef ; Cornélia et Blanche enfilèrent aussitôt leur masque.

Elles songèrent d'abord qu'il s'agissait de Bastet, mais se méfièrent d'autant plus en distinguant deux grandes silhouettes à travers les vitres enluminées du véhicule : Argos et Io.

– Qu’est-ce qui se passe encore ? grogna Gaspard.

– Silence, intima Aegeus. On ferme son clapet et on attend de voir.

Il était tout à fait calme, le regard froid et dur. Cornélia en aurait mis sa main au feu : il savait déjà ce qui se tramait.

Dans un ensemble parfait, les porteurs s’immobilisèrent devant Aegeus. Cornélia remarqua qu'ils étaient nus et attelés par paires. Des anneaux de fer leur perçaient les narines et les enchaînaient les uns aux autres. Leurs yeux étaient vides, doux et obéissants comme ceux des bêtes de trait ; et leurs corps boursouflé de muscles, comme celui des taureaux sélectionnés depuis des générations. La répugnance l’envahit. Elle observa Argos sortir du palanquin, splendide dans son manteau de plumes émeraude et saphir, une main tendue pour aider son épouse à descendre les marches d’or. Io ne dit pas un mot. N'offrit pas un regard à Aegeus ou aux autres personnes présentes. Son regard sombre ne quittait pas celui d’Argos. Ils ne s’étaient pas changés depuis le banquet ; tous leurs bijoux et leurs étoffes précieuses scintillaient de mille feux, auréolés par la vision chatoyante de la tzitzimitl. La voix grave de l’immortel s’éleva alors :

– Es-tu sûre de ton choix ?

Pour la première fois, Cornélia n’entendit nulle trace de cruauté, de cynisme ou de moquerie dans sa voix. Simplement de l’inquiétude. Et quelque chose de plus profond, de plus sombre.

– Oui, répondit Io. Je le suis.

Cornélia comprit d’un coup. Elle se remémora le regard troublé d’Argos pendant le banquet. Ses coups d’œil anxieux dès qu’Aegeus abordait le sujet du dérèglement climatique. Elle se concentra à fond et raffina son ouïe à l'extrême pour capter toutes les nuances de sa voix, en essayant d'ignorer le battement stupide et régulier des gros cœurs des porteurs.

– Tu sais que je ne viendrai pas avec toi, reprit Argos. Je ne quitterai pas la Strate. Jamais.

– Je le sais.

– Je n’ai pas ma place parmi les humains. Toi non plus, Io.

Les longs cils blancs de Io ne cillèrent pas.

– Je sais.

Aegeus attendait en silence, imité par ses boyards. Ils n’étaient que figurants dans une scène qui ne les concernait pas.

– Ce sera très différent de mon palais. Tu auras faim et froid, sans doute. Es-tu sûre de ne pas vouloir emporter ton esclave ?

– Certaine.

Un silence s’étendit entre eux.

– Je te ferai porter tes malles, reprit doucement Argos. Elles seront acheminées au convoi, au plus tôt.

– Non.

Une once de confusion parut sur le visage d’Argos. Il était si facile à lire soudain !

– Non ? Mais Io… toutes tes tenues, tes gourmandises, tes bijoux et tes peluches…

Ses peluches ? Cornélia imagina brièvement la grande Io en train de jouer dans une chambre d'enfant.

– Je n’en veux pas, répliqua Io. Les gourmandises, oui. Je les accepte. Mais le reste, je te le laisse.

Argos semblait très démuni. Pour la première fois, la voix de son épouse faiblit. Elle perdit un peu de son assurance.

– Je ne veux pas disparaître complètement du palais, laisser toutes ces chambres vides derrière moi… Que feras-tu s’il ne te reste rien de moi ?

Elle effleura la grande joue d’Argos. Il ferma les yeux, prit sa main dans la sienne et blottit son visage à l’intérieur.

– Ma tendre Io…

– Moi, je garde ton diadème, chuchota son épouse. Je garde les ailes d’Argos, où que j’aille, et cet habit de soie que tu m’as offert pour les grands soirs. Là où je vais, j’espère que chaque soir sera grand.

– Ils veulent me faire chialer ou quoi ? marmonna Gaspard.

Argos l’ignora superbement, mais dans les plis de sa cape de plumes, ils virent tous son poing se serrer. Sans quitter les grands yeux de Io, il haussa le ton :

– Aegeus, je te confie mon trésor et ma vie, ma petite Io aux cornes de nacre. Pour prendre soin d’elle et entretenir ce convoi dont tu nous rebats les oreilles, je te ferai parvenir trois coffres remplis d’or et…

– Plutôt de l’eau ou de la nourriture, coupa Aegeus. De préférence.

Une inspiration excédée échappa à l’immortel.

– Douze coffres emplis de viande et trois autres coffres contenant les sucreries préférées d’Io. Ces dernières sont exclusivement réservées à son usage. Me suis-je bien fait comprendre ?

– Oui, ce sera suffisant, fit la vouivre d’un ton indolent.

De colère, des plumes d’un bleu iridescent se hérissèrent sur la tête d’Argos ; son visage sembla soudain moins humain. Il siffla :

– Prends garde à toi, Aegeus. Jusqu’à ce que tu sortes de la Strate, j’aurai des oreilles partout, et dans ton convoi même…

Dans ton convoi même ? Le raijū et la tzitzimitl échangèrent un regard de pur effroi. Argos avait des espions parmi les nivées ?

Pire encore, Aegeus ne semblait pas surpris.

– Le contraire m’aurait étonné. Fais-moi parvenir les coffres directement chez Orphée, à la mosquée jaune. Ce sera notre prochaine étape.

L’homme-paon se tourna vers Io.

– Prends le palanquin, ordonna-t-il d'un ton de seigneur sans réplique. Tu ne marcheras pas aux côtés de ces va-nu-pieds.

Io secoua la tête.

– Je marcherai comme les autres.

Le grand visage bleuté d'Argos se figea. Sur son plumage, les cent yeux inhumains clignèrent dans leurs ocelles. Toutes leurs pupilles se fixèrent sur Io.

– Io, ne m'oblige pas à...

– Il te reste tant de route pour rentrer chez nous. Je ne te priverai pas de ce palanquin. (Son expression restait douce et neutre.) Si tu me le donnes, je ne l'utiliserai pas. Je le laisserai rouiller ici, dans le sel et l'eau, et Bastet devra le faire enlever.

Un soupir excédé échappa à Argos.

– Au nom d'Héra...

Pour la première fois, un éclat de peur traversa les yeux de sa femme. Alors Argos laissa sa phrase s'éteindre dans le silence. À la place, il la contempla.

– Soit... Adieu donc, mon aimée.

Il saisit son visage avec délicatesse et déposa un baiser sur son front blanc, entre ses deux cornes ourlées d’or.

– Méfie-toi des dieux et de leurs mille caprices, mais surtout des hommes et de leur cupidité.

– Tu es le seul à être vrai, répondit-elle en baissant ses paupières maquillées de khôl. Le seul à m’avoir offert un refuge. Je ne l’oublierai pas.

Et ainsi, sans un mot de plus, ils se séparèrent.

Le palanquin de verre et d’or s’éloigna au rythme des grandes foulées des porteurs. Io le suivit des yeux jusqu’à ce qu’on n’en distingue plus qu’un scintillement lointain. Une larme discrète coulait le long de sa joue.

– Là où je vais, j’espère que chaque soir sera grand, répéta-t-elle dans un murmure.

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