45 - La mort, la mort !

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Hello les filles ! À partir de cet épisode, j'ai commencé à faire vraiment beaucoup de modifications. (Encore plus de drama !) Vous me direz ce que vous en pensez ! 

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– Pas avec moi, dit-elle doucement. Je l’élève depuis son plus jeune âge ; mon époux me l’a offert un jour où des trafiquants sont tombés dans ses filets.

– Super pour vous, grommela Danaé, mais nous, on est tous en danger de mort, là !

Io l’ignora avec majesté :

– Ils avaient braconné les derniers wolpertingers de notre secteur… La mère était morte et les petits si jeunes ! Belphégor est le seul à avoir survécu.

Cornélia n’en revenait toujours pas. Si ce wolpertinger intégrait le convoi, Oupyre ne serait plus seule. Elle n’aurait plus à cacher sa nature pour frayer avec des jackalopes. Elle pourrait être elle-même avec ce nouveau compagnon… À moins que…

– Iroël, il va bouffer Oupyre d’après toi ? questionna-t-elle.

Il haussa les épaules.

– Oh, non. Plutôt l’inverse, à mon avis.

Elle se détendit. Tout allait bien, alors.

L’inverse ? répéta Blanche qui n'était pas du même avis que sa sœur. Attends, quoi ?

– Io, vous ne pouvez pas garder cette créature, maugréa Aaron. Ces nivées-là, c’est trop dangereux. C’est pas vivable dans un convoi comme le nôtre !

Mais étant donné le prix exorbitant qu’Argos venait de payer, il ne pouvait pas vraiment le lui interdire, et Io le savait très bien. Elle serra fort la créature contre elle, sous les yeux ronds des boyards qui ne comprenaient pas pourquoi cette damnée bête se laissait faire comme une peluche.

– Je refuse de l’abandonner, il en est hors de question. Il ne saurait pas vivre en liberté ! Mon époux m’a fait ce dernier cadeau. Je dois honorer sa volonté.

– Il aurait pu vous faire un autre cadeau, sauf vot’respect ! grommela Mitaine.

– Bah, fit Gaspard, si elle veut l’emmener… après tout…

Tous les regards se braquèrent sur lui. Il haussa les épaules.

– Non mais on a déjà un chapalu, une vouivre, un crocotta et un autre wolpy… Est-ce qu’on est vraiment à ça près ?

Les yeux d’Io scintillèrent.

– Vous avez déjà un wolpertinger dans ce convoi ?

Les immenses oreilles du lièvre s’orientèrent vers eux comme s’il les comprenait.

– C’était censé être un secret, Gaspard ! renâcla Cornélia. Tu peux pas la fermer, des fois ?

– T’aurais pu la fermer aussi pour le crocotta, dit Aaron d’une voix sourde.

– Non mais c’est bon, tout le monde est au courant ! s’énerva Gaspard. Vous faites chier avec tous vos secrets, aussi ! Merde ! On est une équipe, non ?

Cornélia songea aux deux kumiho mangeuses d’hommes.

Si tu savais, Gaspard…

– Je ne partirai pas sans lui, répéta Io. Vous feriez mieux de me laisser ici.

– Si on fait ça, votre époux de mon cul va venir nous donner la chasse et nous écorcher vifs ! rétorqua Mitaine. On dirait bien qu’on va devoir vous garder, vous et le wolpy.

– Mais s’ils se reproduisent ? grimaça Danaé en plissant ses yeux de chèvre. On va se retrouver avec une portée de lapins carnivores dans le convoi ?

Une ombre passa sur le visage d’Iroël.

– S’ils se reproduisent…

– On leur donnera le biberon, et voilà, dit Beyaz. (Tout le monde se tourna vers lui, mais il ne plaisantait pas.) Bah quoi ? Ils mangent pas les gens qu'ils apprécient.

– Taisez-vous !

Aaron se pinçait le haut du nez, dans un geste exaspéré qu’ils connaissaient tous par cœur. Blanche imita son geste à la perfection, puis articula en silence les mots qui allaient suivre :

– Vous me faites tous chier, c’est pas possible ! (Il épingla la blondinette du regard.) Je t’ai vue, la naine !

– Allez, embraya Blanche. On le prend, on a compris. Bon, moi, je vais reprendre ma ronde. Il faut qu’on retrouve vite Oupyre ! Je veux voir sa rencontre avec Belphégor ! Hors de question qu’ils se battent, par contre, je vous le dis tout de suite !

– Attends, il a pas encore dit qu’on le prenait, rétorqua Danaé.

Blanche enfilait déjà son masque. Avant que ses yeux ne soient ombrés par la face dorée du raijū, ils croisèrent ceux d’Aaron.

– Mais si, il l’a dit. À sa façon.

Elle disparut dans un souffle crépitant d’électricité qui dressa leurs cheveux sur leurs nuques. En silence, les boyards se tournèrent vers leur supérieur, attendant confirmation. Il leva les yeux au ciel.

– On le prend. On n’a pas le choix.

***

Blanche aimait toutes les nivées, sauf une. Il y en avait une dont elle ne se souciait pas, et qui ne lui était pas du tout sympathique. À vrai dire, cela ne l'aurait pas dérangée qu'elle s'en aille loin du convoi.

Ce qui tombait bien, puisque cette créature ne s'intéressait pas non plus à Blanche. Ni au convoi. Elle avait pris l'habitude de galoper au loin dans la Mégastructure, sauvage et libre, et ne faisait plus que de très rares apparitions.

Mais cette nuit-là, Uchchaihshravas refit surface.

Tout commença de manière hélas très banale : la jeune fille se réveilla en sursaut alors que tout le monde dormait autour d'elle. Cela lui arrivait de plus en plus souvent, et elle comprit aussitôt ce qui se tramait : la nivée mystérieuse était revenue lui faire une offrande. Forte de son expérience, Blanche réussit à descendre de son hamac sans mettre le pied dans la glorieuse flaque de vomi qui s'étalait sur le sol. De la viande, encore. En bouillie. Assortie de cailloux ronds et brillants, ainsi que de trois fleurs mauves et bleues, comme d'habitude. Mais par derrière l'odeur forte de l'offrande, Blanche en renifla une autre : l'effluve musqué d'une bête à fourrure. Elle se figea, les narines grandes ouvertes. Elle était certaine de la connaître. Il ne suffisait pas d'avoir n'importe quelle fourrure pour sentir ainsi. Mais elle ne parvenait pas à se souvenir de qui il s'agissait...

Il vient juste de partir. Il ne doit pas être loin !

En un tournemain, elle enfila son masque de raijū et jaillit du camion.

Cette fois, je vais t'avoir !

Mais après avoir quadrillé le convoi, rapide comme la lumière, elle dut se rendre à l'évidence : aucune nivée ne semblait avoir bougé. Elles dormaient toutes les unes contre les autres, et leur sommeil semblait sincère. L'odeur musquée s'était diluée dans la Strate comme si elle n'avait jamais existé. Blanche finit par reprendre sa forme humaine, dépitée et furieuse.

Encore raté ! Il me faut un limier la prochaine fois. Il faut que je trouve une créature qui a le nez fin, et qui sera d'accord pour dormir avec moi !

Mais qui avait le nez fin dans ce convoi ? Le seul qu'elle voyait renifler l'air et qui était capable de capter des odeurs qu'elle ne pouvait qu'imaginer, c'était... Aaron. À cette idée, une grande chaleur lui monta du ventre. Allait-elle oser lui demander une chose pareille ? Il refuserait, de toute manière. Il détestait tant qu'on le ramène à sa nature de crocotta...

Par acquis de conscience, elle refit un tour du convoi, au cas où elle apercevrait la silhouette d'une nivée en train de s'enfuir sur la pointe des pattes. Mais il n'y avait rien du tout. Rien sauf... un arc-en-ciel flamboyant qui se reflétait sur les carrosseries des camions. Elle leva le nez. L'arc-en-ciel ondoyait dans le ciel brûlant au-dessus d'elle, en projetant des éclats irisés sur la place et la mosquée qui surplombait le convoi.

Uchchaihshravas ! Mais ça peut pas être lui qui vient vomir sous mon lit, quand même !

Définitivement non. Elle se figea lorsque l'étalon indien contourna la mosquée jusqu'à se trouver devant elle. Immense et blanc, il dansait sur place avec impatience, faisant jaillir des éclaboussures sous ses énormes sabots métalliques. On aurait dit qu'il se tenait sur la ligne de départ d'une course imaginaire. Il agissait toujours ainsi, comme si un feu couvait sous sa peau, impossible à éteindre. Lorsque Blanche l'avait libéré chez Midas, il avait failli la tuer – pas par méchanceté, mais par joie d'être enfin libéré de ses fers. Il ne prêtait aucune attention aux autres, ce qui rendait ses cinq mètres de haut d'autant plus dangereux. Mais cette fois-là, pour la première fois, il s'adressa à elle.

Fille-raijū. Fille-raijū.

Les naseaux de ses sept têtes soufflaient et fumaient. Il semblait agité, encore plus que d'habitude. Blanche se méfia aussitôt.

Les braconniers, hennit l'une de ses têtes.

La méfiance disparut, remplacée par la panique.

Quoi ?

Les sept paires d'yeux d’Uchchaihshravas se tournèrent vers elle. Avec panache, il rejeta ses crinières derrière lui, encore plus haut dans les cieux. Puis il renâcla :

Les braconniers. La mort. Le convoi.

Blanche resta tétanisée. Un grand froid l'envahit. Elle imagina des braconniers marcher vers le convoi, resserrer leur nasse autour d'eux tous. L'image de la tarasque morte s'insinua en elle. Le petit recroquevillé contre son ventre enflé... La voyant immobile, Uchchaihshravas trépigna de plus belle.

La mort, la mort ! Pas loin d'ici. Cherche, fille-raijū.

Où ça ? réagit Blanche. Montrez-moi !

Mais il secoua ses crinières avec mépris, l'air de dire : cette humaine rachitique ose me donner des ordres !

Non. Je vois, je viens dire. Maintenant, je pars.

Non ! lui cria Blanche en silence. Attendez !

L'une de ses têtes lui jeta un coup d'œil, alors que toutes les autres s'étaient déjà tournées vers l'horizon. Pour la première fois, Blanche vit une once de tristesse passer dans ses yeux.

Adieu.

Prise de court, elle resta muette.

Convoi mort. Strate morte. Monde mort... Adieu.

Il s'élança dans les rues défoncées de Djibouti, rongées par la mer et le sel ; et chacune de ses foulées fracassantes scandait : Je pars. Je pars.

– Attendez, murmura Blanche.

Mais il s'éloigna dans son sillage d'étoiles et de lumière, tel un spectre blanc.

Adieu. Adieu.

Bientôt, il ne fut plus qu'une silhouette aveuglante qui reflétait le crépuscule. Ce fut la dernière fois que Blanche vit Uchchaihshravas. Et après elle, de mémoire humaine, plus personne n'entendit jamais parler de lui.


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