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Coucou les filles ! J'ai légèrement repris ce passage (sur la forme) pour le rendre plus fluide. Pas de gros changement mais j'espère que c'est un peu mieux que dans la première version !

***

– C’est là.

Blanche avait enfin cessé de pleurer. Elle avait épuisé toutes ses larmes en chemin, devant Cornélia et Aaron. À présent, elle se sentait vide et faible, recroquevillée à l’intérieur d’elle-même.

– Tu es entrée ? questionna Aaron.

Le visage méfiant, son pistolet mitrailleur armé, il observait les alentours. Blanche les avait menés devant de grandes halles noyées d’ombres. Ce devait être un marché couvert, bien longtemps auparavant. De larges arches s'ouvraient devant eux, nimbées de silence et d’une élégance presque menaçante. On ne percevait quasiment rien de l'intérieur. C’était une bouche de ténèbres béante, prête à les avaler.

– T'es rentrée, la naine ? répéta-t-il en voyant qu'elle ne disait rien.

– Oui, chuchota-t-elle.

Et ce qu’elle y avait vu était resté imprimé sur sa rétine.

– Ils sont blessés, gémit-elle très vite. Ils… Je crois qu’ils essaient d’enlever leurs balles eux-mêmes, mais…

Elle fit rouler la balle de laiton doré dans sa paume ensanglantée.

Ce sont des nivées. Ils n’ont pas de doigts. Oh, mon pauvre petit Pouet…

Mais son petit Pouet avait bien changé. C’était à cause de lui qu’elle n’avait pas osé aller plus loin. Et cette idée lui sciait les tripes comme une lame d’acier froid.

– Mais qu’est-ce qu’ils foutent là-dedans ? gronda Cornélia pour la énième fois. Et ils sont où, tous les autres ? Les hydres ? Les vingt boyards qui devaient les escorter ? Tu vas pas me dire qu’ils sont tous cachés là ? Et depuis quand ils sont là ?

Mais Blanche n'avait aucune réponse à donner. Les yeux sombres d’Aaron se posèrent sur sa paume – et la balle qu’elle contenait.

– Pour les boyards, j’ai mon idée.

Avant qu’elle ne puisse répliquer, il s’avança sous une arcade, son arme bien en main.

– Derrière moi, les filles.

Ils s’enfoncèrent dans les ombres. Le crépuscule brûlant de Djibouti disparut dans leur dos. Des effluves animaux flottèrent autour d’eux ; Cornélia reconnut les odeurs de plusieurs nivées. En note de fond stagnait l’odeur du sang. Puis une silhouette apparut devant eux, si haute qu’ils durent lever la tête. Un grand visage de lion noir émergea de la pénombre. Il était couturé de plaies. Ses yeux brûlaient tels deux tisons pourpres dans un creuset diabolique.

Pouet.

Le souffle de Cornélia se bloqua dans ses poumons. C’était forcément lui… malgré toutes ces blessures mal refermées qui le défiguraient, et la dureté de ce regard qui le rendait méconnaissable. Dans le silence, on n’entendait que sa respiration et la leur. Blanche s’approcha de lui, un pas après l’autre. Tout doucement, elle fit mine d'ouvrir les bras.

– Pouet !

Mais il suffit d'un regard de Pouet pour qu'elle se fige. Un regard. Cornélia l’observa, le ventre noué. Il ne grondait pas, ne montrait pas les crocs. Il n’était plus cet animal terrifié dans la ménagerie d’Orion, qui ne les reconnaissait pas et avait failli les attaquer. Non, il était en pleine maîtrise de ses moyens. Il les reconnaissait parfaitement.

Elle, en revanche, n’y parvenait pas.

– Pouet, l’appela pourtant Blanche avec douceur. Pouetounet… Qu’est-ce qu'il s’est passé ?

La tarasque ne fit pas un bruit. Même son silence n’exprimait rien. Ses mâchoires jouèrent sous sa peau et quelque chose échappa à ses gencives, avant de tomber sur le sol dans un tintement métallique. Quand l’objet roula jusqu’à Cornélia, celle-ci reconnut une balle, semblable à celle que Blanche tenait à la main. Et pareillement ensanglantée.

« Je crois qu’ils essaient d’enlever leurs balles eux-mêmes, mais… »

À retardement, cette phrase heurta Cornélia avec une violence inouïe. D’un coup, elle comprit. Ces balles qu’ils connaissaient tous... Les boyards volatilisés... Les mots d’Aaron.

– Ce sont les boyards ? articula-t-elle d’une voix qui bourdonnait étrangement à ses tympans.

Blanche la dévisagea, épouvantée – elle ne comprenait pas encore, elle ne voulait pas comprendre. Aaron hocha la tête.

– Ils ont retourné leur veste.

Pouet recula doucement. Il les autorisait à aller plus loin. À présent que leurs yeux s’habituaient à l’obscurité, les sœurs prirent conscience de la scène.

Du convoi secondaire plein de vie, il ne restait plus que la moitié. Quelques bakus, essentiellement des petits, blottis les uns contre les autres ; la silhouette dépenaillée de l’hippalectryon, pareil à un tas de plumes, qui ne semblait plus bouger du tout – Cornélia eut un coup au cœur quand elle chercha son petit protégé, sans le trouver. Quelques zonures avaient formé un cordon de protection autour d’un groupe de coulobres. Saisie par l’effroi, Cornélia crut d’abord que les coulobres se mangeaient entre elles. Puis elle comprit qu’elles auscultaient simplement leurs blessures. Avec leurs dents, elles tentaient de déloger les balles qui s’étaient enfoncées dans leur chair fragile. Deux ou trois petits se serraient sous leurs ventres – si peu par rapport à tous ceux qui avaient quitté le convoi ! Cornélia les revit partir, trottinant gaiement sous les hydres…

Les hydres ! Sont-elles…

Elle les chercha en vain. Ne les trouva pas. Ni le petit, ni ses deux parents ; mais pareilles forces de la nature ne pouvaient pas être abattues par vingt misérables boyards. Cornélia refusait de l’envisager.

– Où sont les hydres ?

Elle ne reconnut pas sa propre voix. Elle crissait dans l’obscurité comme un bout de métal rouillé. Personne ne lui répondit. Pouet la regarda simplement, les yeux toujours vides – dépourvus de mots, d’émotions, dépourvus de tout. Une rage folle lui monta au cœur, aussi forte qu'une nausée.

Où sont les hydres ?

Son cri résonna sous les halles, effraya les petits bakus orphelins qui se serrèrent les uns contre les autres.

– Aaron ! Il n’y avait que vingt boyards ! Comment c’est possible ? Aaron !

Le changelin détourna les yeux.

– Ils ont dû prévoir des renforts. La Strate est infestée de braconniers, la plupart sont des boyards sans maître qui vivent de trafics. Ils se connaissent tous. Ils ont sans doute planifié ça dès qu’ils ont quitté le convoi principal…

Un bruit étrange échappa à Blanche, comme un sanglot vidé de sa substance. Sans voix, ni larmes.

– Où est Oupyre ?

Pouet fit demi-tour et s’éloigna dans les ténèbres. Lorsqu’il revint, il tenait un objet sphérique entre ses crocs, qui se balançait au rythme de ses pas de géant. Les deux sœurs reconnurent aussitôt l’objet, alors même qu’elles n’en voyaient que quelques lignes indistinctes. Cette forme-là était ancrée en elles à jamais. Les bras de Blanche se resserrèrent autour d’elle.

C’était une cage à oiseau.

– Non…

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