49 -

6 minutes de lecture

Coucou ! J'ai eu du mal à écrire cet épisode, il n'est peut-être pas très fluide, dites-moi si quelque chose vous choque à la lecture !

***

Punition.

– Punition ? répéta Blanche en pâlissant. Comment ça ?

Pouet la regardait, insondable comme l’eau d’un lac. Derrière lui, toutes les nivées survivantes fixaient les boyards. Après maints efforts, ils avaient réussi à les convaincre de sortir de l'ombre. Elles étaient revenues au campement, mais le convoi ne s'était pas reformé pour autant. D'un côté les nivées, de l'autre les soldats : il restait coupé en deux, ouvert et béant comme une plaie impossible à recoudre.

Punition. Punir les humains.

Pouet n’exprimait pas d’émotion superflue. Il disait ce qu’il y avait à dire, simplement. Blanche se tourna vers Aaron, qui les observait en silence. Elle traduisit du bout des lèvres :

– Les nivées veulent que les boyards soient punis. Enfin, les boyards humains.

Aaron plissa le front.

– Il a déjà tué les coupables. Ceux qui restent sont innocents, ils étaient avec nous au moment des faits. Ça sert à rien de punir des innocents. Dis-lui.

Blanche se retourna vers Pouet. Sous son regard écarlate, elle eut l’impression de rétrécir à l’intérieur d’elle-même. Il y avait une seule question qu’elle voulait réellement lui poser.

Est-ce qu'il les considérait aussi, sa sœur et elle, comme des humains à punir ?

Mais elle n’y parvenait pas. C'était au-dessus de ses forces.

Elle aurait voulu lui dire : Je suis désolée pour tout ce que vous avez vécu. On aurait dû venir avec vous. On n'aurait jamais dû vous laisser seuls...

Mais il était trop tard à présent, et Pouet n'accepterait jamais d'excuses.

Les coupables sont morts, lui dit Blanche, la gorge nouée. Les boyards qui sont là sont innocents. Ce ne sont pas eux qui ont lancé l’attaque, Pouet !

Derrière lui, toutes les nivées la dévisageaient – l’hippalectryon, les coulobres, les petits bakus… toutes ces nivées qu’elle aimait profondément. Depuis quand Pouet était-il devenu leur porte-parole ?

Punition ! répliqua-t-il.

Au fond de ses yeux luisait un éclat froid, coupant comme un fragment de verre.

Punition ! lança l'hippalectryon.

Punition ! répéta le seul baku adulte qui avait survécu. Vengeance !

Vengeance ! scandèrent tous les jackalopes. Vengeance, vengeance ! Vengeance !

Quand les bakus orphelins se joignirent à eux, même ceux qui étaient trop petits pour comprendre ce qu’ils réclamaient ainsi, Blanche eut envie de pleurer.

Après beaucoup d’efforts et de discussions, les nivées s'étaient exprimées sur ce qu’elles avaient vécu, et l’affreuse hypothèse d’Aaron avait été confirmée.

Les boyards chargés de les escorter, une fois assez loin d’Aegeus, s’étaient brusquement retournés contre elles. Aidés d'effectifs supplémentaires, ils avaient pris les petits en otage et abattu les adultes en premier. Le petit hippalectryon avait été tué pour son plumage. Monsieur Plume-verte avait échappé de justesse à la balle qui lui était destinée ; elle ne lui avait tranché qu'une oreille, mais la terreur l'avait laissé plus mort que vif. Les coulobres avaient fait front pour défendre leurs petits et beaucoup avaient été tuées, comme les zonures. Presque tous les bakus adultes avaient été abattus pour leurs défenses, y compris les mères ; il ne restait qu'un jeune mâle qui n'avait pas encore de vraies défenses. Depuis trois jours à présent, les bébés orphelins refusaient de se nourrir. Quant aux dernières dragonnes cuirassées, les seules qui avaient échappé au massacre chez Actéon... elles étaient toutes mortes.

Le couple d’hydres avait été tué. Les braconniers les avaient surprises dans leur sommeil, alors que leurs têtes reposaient au sol, vulnérables. Ils s'étaient assurés d'avoir suffisamment de renforts pour pouvoir fusiller toutes les têtes en quelques secondes. Ils connaissaient les nivées, ils savaient investir leur énergie à bon escient pour les massacrer avec efficacité. D’après Gaspard, les écailles mimétiques des hydres se vendaient très cher dans la Strate. On en faisait des capes et des armures de camouflage.

De stupides capes, de stupides armures.

Le bébé hydre avait disparu, et après maints efforts pour soutirer la vérité aux nivées, elles révélèrent qu'il s'était laissé mourir sur place. Il s'était couché auprès des cadavres défigurés de ses parents, et personne n'avait réussi à le faire bouger, boire ni manger. Les autres étaient restés à son chevet jusqu'à sa mort. En l'imaginant s'éteindre doucement, ses gentilles têtes rassemblées autour de lui, Blanche et Cornélia avaient lâché une même larme. Il leur avait sauvé la vie chez Orion, il avait montré tout son courage et sa dévotion. Il était grand et fort comme un petit immeuble, mais ce n'était encore qu'un bébé. Il n'avait pas su vivre sans ses parents.

La seule raison pour laquelle ce maigre troupeau avait survécu, c’était Pouet.

Il avait échappé à son propre geôlier et s’était attaqué aux boyards. La plupart des tirs s’étaient alors retournés contre lui, sauvant les petits et les dernières nivées. Il avait tué tous les braconniers à lui seul, les avait même éparpillés en morceaux sanglants. Sa carapace était couverte d’impacts de balles. Blanche et Cornélia sentaient confusément qu’elles auraient dû être fières de lui, mais ce n’était pas le cas. Elles se rendaient compte qu’une tarasque était un prédateur mortel. Iroël les avait prévenues : Pouet n’était pas un petit chiot. Et ce n'était plus un bébé. Il avait laissé son manteau d’enfance derrière lui, parmi les cadavres de ses congénères, comme une mue.

Rien ne serait plus jamais comme avant.

Les nivées craignaient dorénavant les boyards, et même les faunes et les dryades ne frayaient plus avec leurs collègues humains. Tous réclamaient des sanctions à leur encontre ; et malgré les efforts de Blanche et Aaron pour leur expliquer qu’il ne servait à rien de punir des innocents pour les crimes des morts, les nivées refusaient de le comprendre. La peur et la colère vivaient en elles, à présent. Et elles auraient du mal à disparaître.

Seuls Blanche, Cornélia et Iroël échappaient à leur haine : aucune nivée ne les considérait comme des soldats – ni même, finalement, comme des humains.

– Et Sleipnir ? questionna Aaron. Il était pas là pour vous protéger ?

Non, gronda Pouet. Pas là. Parti.

Les nivées s’agitèrent derrière lui. Il apparut vite que Sleipnir les avait abandonnés. L’étalon n’aurait certainement pas vu les choses sous cet angle, mais il les avait laissés tracer leur chemin tout seuls avec les boyards et le camion de réserve. Leur allure d’escargot l’avait certainement mis au supplice. Il était parti chercher ailleurs l’adrénaline dont il avait besoin. Blanche aurait voulu le haïr, mais pouvait-on reprocher à une nivée d’être ce qu’elle était ? Sleipnir était un coursier avide de vitesse, comme Uchchaihshravas. Ce n’était pas un protecteur.

– On peut faire confiance à personne, siffla Aaron. Personne !

Blanche ne parvint pas à savoir si sa rancune était dirigée contre lui-même ou contre Sleipnir. Derrière eux, Svadilfari baissa sa grosse tête de pierre. Une larme calcaire, grosse comme un œuf d’oiseau, dévala sa joue taillée au burin. Lui qui restait toujours stoïque et stable en toutes circonstances, il se montrait fragile pour la première fois, dévasté par la terrible irresponsabilité de son fils.

Il aurait pu, se désola-t-il. Il était capable. Il aurait dû. Sa faute. Sa faute ! C’est le sang de Loki. Mauvais sang. Mauvais dieu !

À partir de ce moment, il ne cessa plus de ruminer, répétant les mêmes mots encore et encore, la tête basse.

Moi, j’aurais dû. J’étais capable. J’aurais dû. Ma faute. Ma faute…

Il ne savait pas que Blanche et Cornélia ressentaient exactement les mêmes tourments, et qu’elles pleuraient la nuit en songeant à ce qu’elles auraient pu changer.

Si seulement elles avaient été là…

Quand le convoi réussit à se reformer, il était instable et boiteux comme une créature qui a perdu une patte. Sa belle cohésion, qui avait toujours fait sa force, ne tenait plus qu’à un fil.

Aegeus aurait sans doute pu améliorer les choses. Avec un discours bien placé, il aurait pu repousser la colère et bâtir une base plus saine pour tous. Sans forcément l’avouer, tout le monde – boyards comme nivées – attendait une condamnation publique des actes commis par ses soldats, ou un éloge funéraire des victimes. Quelques mots tout au plus.

Mais il n’y eut rien. Aucun mot.

Il y eut simplement Aaron qui alla faire son rapport à son chef, dans la pénombre du Berliet, et qui revint en disant :

– On repart. Il faut avancer.

La rancune des nivées se teinta d’amertume. Tout le monde s’attendit à ce qu’elles restent sur place. Que le convoi se déchire en deux pour de bon, incapable d’aller de l’avant.

Mais les créatures finirent par se mettre en marche. Elles acceptèrent de reprendre la route pour une raison qui leur était propre, et Cornélia et Blanche eurent l’impression que cette raison, c’était Pouet.

De temps en temps, elles jetaient des coups d’œil vers lui. Il ne s’approchait plus d’elles ; il se plaçait toujours en tête de ses congénères, pour les guider. Les petits marchaient dans ses pas, et lorsque quelque chose les effrayait, ils venaient vite se cacher derrière lui.

Pouet avait décidé de poursuivre le voyage, et ils étaient tous venus avec lui.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Cornedor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0