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Coucou les filles ! N'hésitez pas à me dire si vous avez l'impression que quelque chose traîne en longueur ou qu'on perd de l'intérêt sur un truc. Merci ! :]

***

Aaron avait son air des mauvais jours en ressortant du camion.

– La machine a bougé ?

– Toujours pas, lança Mitaine. Elle sait pas quoi faire dans cette situation.

– Il y en a peut-être d’autres dans le coin. Et on n’a plus d’éclaireuse en état de marche, maintenant !

Cornélia souffla par les narines comme un dragon furieux. Il fallait qu’elle attende un peu avant d’aller voir Blanche : elle était encore trop énervée contre elle, contre Aaron, et aussi contre le sentiment qui les unissait tous les deux. Alors elle s’avança, raide de détermination.

– Je vais le faire. Je vais surveiller les alentours.

Elle retira son pantalon, le jeta aux pieds d’Aaron.

– Que quelqu’un me garde ça.

Ses autres vêtements rejoignirent le tas, puis ses yeux acérés se plantèrent dans ceux du changelin.

– Elle va bien ?

Il soutint son regard.

– Il a failli lui toucher l’intestin, mais ça a l'air d'aller. Avec ce que je lui ai donné, elle sera sur pieds dans quelques jours.

– Bon.

Elle attrapa son masque. Avant de l’enfiler, elle pointa l’index vers lui :

– Souviens-toi bien de ce que je t’ai dit. Si tu t’approches encore d’elle, ça va barder.

Il leva le menton.

– Je croyais que c’était une grande fille, qu’elle était majeure et vaccinée et que t’étais pas sa mère ?

Cornélia souffla de plus belle. Tous les boyards les observaient, attentifs. En s’opposant frontalement à lui, Cornélia avait abîmé son aura de chef. Ils attendaient de savoir qui, cette fois, allait baisser les yeux et courber la nuque devant l’autre. La jeune femme ne leur donna pas satisfaction. Elle mit fin à l’altercation en tournant les talons.

– Tu perds rien pour attendre.

Iroël s’approcha, ouvrit la bouche ; elle le repoussa d’une petite tape sur la poitrine.

– Toi, c’est pas la peine de me sortir ta sagesse à deux balles. Garde juste mes vêtements, ça suffira. S’il te plaît.

Il fronça les sourcils, puis referma la bouche et fit le choix d’obéir. Guidée par la colère, Cornélia enfila son masque et s’élança dans le ciel en un bond scintillant d’étoiles.

***

Ils croisèrent bien d’autres machines sur leur route, qui émergeaient de Djibouti comme d’étranges collines rongées par la rouille. Toutes monstrueuses, hérissées d’armes à feu depuis longtemps dépourvues de balles. Toutes déterminées à les abattre jusqu’au dernier.

Lorsque Cornélia descendait devant elles pour tester leurs cartouches, elles faisaient claqueter sans trêve leurs chargeurs vides. Impuissantes. Alors la tzitzimitl allait avertir le convoi qu’il pouvait passer en paix.

Cornélia n’avait pas peur. La peur était au-delà de sa perception désormais. Elle avait vu sa sœur se faire tirer dessus. Blanche aurait pu mourir… et Cornélia n’avait strictement rien pu faire. C’était sa façon de se mettre à sa place, d’expier son impuissance.

Quand leurs articulations rouillées le leur permettaient, les machines les suivaient de leur pas lourd. De sorte que bientôt, le convoi se trouva accompagné d’une cohorte entière, comme d’étranges gardes du corps qui cliquetaient en vain. C’était une vision presque mélancolique. Cornélia, malgré elle, avait le cœur un peu serré en les observant. C’était comme si ces géantes de métal avaient trouvé en eux une ultime raison de continuer à marcher. Étaient-elles des gardiennes destinées à défendre le territoire d’Orphée ? Depuis combien de temps tombaient-elles en ruine, abandonnées par leur maître ?

Les boyards, eux, les voyaient d'un très mauvais œil. Aaron n'était pas en reste.

– C'est quoi, ces putain de robots ? gronda-t-il alors qu'ils prenaient une pause. Y avait pas de saloperies comme ça chez Orphée, avant !

– On dirait une armée, fit remarquer Cornélia.

– Ouais, sauf qu'Orphée a toujours été un pacifiste. Son secteur était un refuge pour des milliers de nivées. Il accueillait même les humains ! C'était le seul à les accepter dans le coin.

Gaspard leva ses yeux clairs. Mitaine lui avait piqué des coquillages et des fragments de coraux dans les cheveux, ce qui donnait un air de sirène hawaïenne un peu trop musclée. Il cessa de boire son café :

– Justement. Déjà à l'époque, il avait trop d'humains chez lui. Ils braconnaient ses oiseaux, ils tuaient ses sujets pour se nourrir... et il en souffrait. Il arrivait pas à s'en débarrasser.

– Les humains n’aiment pas se passer de chasse et de viande, fit Mitaine d'un air sombre.

– Merci pour la généralité, grogna-t-il en avalant son café d'une traite.

– J'ai entendu parler de ça, répliqua Aaron. Mais Orphée, il est pas comme ça. Même submergé de braconniers, il aurait pas investi dans des machines tueuses pour exterminer des gens.

Gaspard haussa les épaules.

– Plein d'immortels le font. Et lui, il est facile à manipuler depuis qu'il a perdu la boule. Échidna et sa clique lorgnaient sur son territoire, ils en auraient bien pris un bout. M'est avis qu'ils ont quelque chose à voir là-dedans. (Il se leva, toisa les alentours désertiques.) Vous avez vu l'état de l'endroit ? Tout est mort. Avant, c'était plein de vie, il y avait des nivées partout...

Sa voix se durcit.

– Peut-être qu'ils lui ont proposé de purger son territoire. Sauf que les machines ont tout exterminé, pas seulement les braconniers.

Cornélia observa la désolation qui les entourait. Elle projeta l’image de ces machines de quatre mètres de haut, leur carlingue flambant neuve, en train de fusiller à la chaîne tout ce qui les entourait... Une boule de dégoût remonta dans sa gorge.

– Ou peut-être que c'est son voisin Judas Iscarioth qui a voulu prendre le contrôle du territoire de son pote, jeta Mitaine. Il a aucune morale. Et puis c'est un chrétien.

– Il faut toujours se méfier des chrétiens, approuva Danaé.

Cornélia se mordit la joue. Judas Iscarioth… le douzième apôtre ? S'agissait-il vraiment du traître qui avait vendu Jésus et l’avait condamné à la crucifixion ?

– C'est surtout que Judas sait pas résister à l’argent, grogna Aaron. N’importe qui peut l’acheter. Et Actéon s'en prive pas.

– Je pense pas que ce soit Iscarioth, dit Gaspard. Il était très ami avec Orphée.

Mitaine cracha par terre.

– L'amitié, ça existe pas pour ces engeances-là.

Gaspard plissa ses yeux en amande, ce qui lui donna l'air d'un tigre ou d'un loup.

– Qu'est-ce que t'en sais ? J'veux dire, t'es un arbre, ma belle.

– On parle d'un mec qui a vendu son ami pour de la thune ! Belle conception de l'amitié !

Pour toute réponse, il l'attrapa par la taille, l'attira contre lui et lui infligea un câlin forcené qui ressemblait davantage à une prise de catch. La dryade poussa un cri outragé. Il avait pris l'habitude de la presser comme un citron quand elle râlait un peu trop. Mitaine disait détester ça, mais personne ne la croyait vraiment – puisque son humeur s'en trouvait toujours améliorée. Lorsqu'elle réussit à émerger de ses bras, elle persifla :

– Dis donc, t’es bien prompt à défendre Judas, toi ! T’aurais pas travaillé pour lui, des fois ?

Gaspard haussa une épaule.

– Peut-être.

– Ha !

Cornélia aurait aimé que Gaspard en dise davantage sur l'immortel, mais elle savait que les boyards ne parlaient jamais de leurs anciens maîtres. Le trentenaire aux yeux de loup se remit au travail en silence, et chacun finit par l'imiter.

Les jours passèrent. Les nivées marchaient bravement dans ce cimetière silencieux ; Monsieur Plume-verte s’efforçait de tenir la distance, encouragé par ses congénères. Djibouti commençait à prendre une autre allure autour d’eux. Des massifs de fleurs blanches en forme d’étoiles se mettaient à pousser de ci-de là, sans se soucier du climat totalement aride. Elles semblaient avoir une préférence pour les endroits jonchés d’ossements, ce qui n’était pas pour rassurer Cornélia. Quand Gaspard en fit un gros bouquet pour Mitaine, la dryade l’insulta copieusement en lui criant qu’elle n’était pas encore morte, merci bien, et qu’il pouvait se les mettre là où elle le pensait.

– C’est des asphodèles, expliqua Danaé qui observait la scène aux côtés de Cornélia. Dans notre culture, elles fleurissent dans la prairie des Enfers. C’est le symbole de la mort, on les met sur les tombes en général. (Elle siffla, impressionnée, quand Mitaine les jeta à la figure du pauvre Gaspard.) Mais lui, il est chrétien, alors il peut pas savoir ça.

– Mais tu trouves pas ça bizarre qu’elles fleurissent ici, à Djibouti ? la questionna Cornélia. Ça commence à m’inquiéter.

Danaé haussa les épaules, tranquille.

– Oh, si, c’est bizarre, mais on découvrira tôt ou tard pourquoi elles sont là. Dans la Strate, tout vient à point. Faut pas s’inquiéter avant de tomber sur un os, ça sert à rien.

Puis elle shoota dans un tibia humain en rigolant à sa propre blague.

Blanche pointa bientôt le nez hors du camion de réserve, la taille bandée, et recommença à marcher un peu. Son bandage était toujours propre, mais elle ne le changeait certainement pas elle-même. Chaque fois qu’Aaron s’approchait d’elle, Cornélia serrait les mâchoires. Mais que pouvait-elle faire ? Cet insupportable blaireau avait raison. Blanche était majeure et vaccinée. Et Cornélia n’était pas sa mère.

La cadette reprenait des forces à vue d’œil, mais il ne la renvoya pas en éclaireuse. Lorsqu’elle lui demanda pourquoi, il se contenta de dire que Cornélia faisait déjà du bon travail. Une fois hors de portée de voix, l’aînée lui glissa sournoisement :

– T’as peur qu’elle se refasse tirer dessus ? Hein, Aaron, avoue-le. Tu as peur pour elle ?

Il se contenta de lui renvoyer un regard sombre, sans répondre.

Peu importait. Cornélia aussi avait peur pour sa sœur ; le status quo lui convenait.

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