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Plusieurs heures passèrent dans l’ambiance morose qui était devenue celle du convoi.

Mitaine ne revint pas et ils ne trouvèrent aucune trace d’elle. Même Blanche, malgré ses rondes ultrarapides, ne l’aperçut pas. Elle s’interdit d’aller plus loin, de la chercher réellement. La décision de la dryade devait être respectée, même si elle en avait le cœur lourd.

Heureusement, elle tomba bientôt sur autre chose qui allait peut-être leur rendre le sourire à tous. Dès qu’elle fut certaine de ce qu’elle voyait, elle fila aussitôt vers Aaron et apparut devant lui, nue et droite comme un « i ».

– Au rapport, mon colonel ! dit-elle comme un pitre en faisant claquer ses talons par terre.

Le changelin leva les yeux au ciel, mais une once de sourire flotta sur son visage. Danaé et Cornélia n’en manquèrent pas une miette.

Sérieux, il fond comme un chamallow quand elle est là, commenta Danaé. Alors que c’est une grosse teigne avec n’importe qui d’autre.

Fais gaffe, il va sentir qu’on dit du mal de lui, répliqua Cornélia.

Elle se gratta le cou avec une patte arrière, comme un vieux chien des rues. Ce n’était pas bien glorieux, mais elle avait gardé cette habitude prise dans les cages d’Orion.

– On a un petit comité d’accueil plutôt sympa qui vient vers nous ! annonça Blanche d’une voix claire.

Aaron fronça les sourcils.

– Quel comité d’accueil ?

Elle jeta un regard derrière elle, puis sourit.

– Bah tiens, vois par toi-même !

Cornélia et Danaé se tournèrent en même temps que lui. Elles aperçurent alors une bande de gosses qui approchait. Aussitôt méfiantes, elles coururent se placer en renfort autour des bébés du convoi ; les boyards épaulèrent leurs armes et les nivées montrèrent les crocs. Ils avaient tous trop souffert des pièges de la Strate pour se laisser amadouer par quatre enfants. Pourtant, ceux-là avaient l’air tout à fait inoffensifs. Cornélia, qui avait pris position près des bébés bakus et qui tentait de garder un air féroce malgré les petites trompes qui lui palpaient le derrière, sentit sa défiance s’éroder. Le plus vieux des gamins devait avoir douze ans ; il tenait une toute petite fille par la main. Sa sœur ? Elle était couverte de taches de rousseur et une énorme cicatrice lui barrait le visage. Son nez avait presque été réduit à néant.

Mais le plus surprenant était sans doute la boîte à pizza que le garçon tenait dans l’autre main. À sa vue, un très ancien réflexe refit surface en Cornélia : son ventre gargouilla. C’était un objet de son monde… un objet si anachronique ici, et si chargé de nostalgie pour elle, que son cœur et son estomac furent tiraillés par des émotions contradictoires.

– Oui ? fit Aaron en s’avançant au-devant des enfants. C’est pour quoi ?

L’aîné des quatre ne se laissa pas impressionner par son air patibulaire :

– Vous êtes là pour les pizzas ?

Aaron fronça les sourcils.

– Quoi ?

La petite à la cicatrice prit la parole :

– Ben, c’est l’heure des pizzas.

– Vous venez d’où ? demanda un petit garçon près d’elle.

Il lui manquait la main gauche. Cornélia finit par remarquer que tous avaient des cicatrices ou des mutilations – parfois bien cachées, mais elles étaient là.

– Chut ! On demande pas ça aux gens, le sermonna l’aîné. Epona leur demandera si elle veut, mais pas nous.

Puis, d’un geste fier et presque religieux, il tendit le carton à pizza à Aaron. Celui-ci le reçut sans mot dire.

– Cadeau ! lança la petite en souriant de toutes ses dents de lait. Cadeau de bienvenue !

– Je vois, fit Aaron. La dernière fois que je suis venu, c’était des chips et des épis de maïs grillés.

– Ah oui, fit l’aîné. On change de temps en temps.

Aaron tendit le carton vers Blanche, qui le prit en silence, le visage débordant de points d’interrogation. Puis il reprit :

– Vous pouvez dire à Epona que le convoi d’Aegeus est là ?

Les enfants plissèrent le visage pour retenir ce nom, puis l’aîné s’exclama :

– C’est comme si c’était fait ! (Il fit pivoter la gamine d’une pirouette du poignet, avant de la pousser en avant.) En avant toute !

Ils s’éloignèrent tous les quatre d’un pas vif, investis de l’importance de leur mission. Et seulement à ce moment-là, Cornélia remarqua les angles étranges que formaient le bas de leurs pantalons, et les sabots fourchus qui leur tenaient lieu de pieds. Ce n’étaient pas des humains. C’étaient des faunes.

Danaé les observait elle aussi, avec une certaine tendresse.

Epona recueille tous les maltraités, les victimes des braconniers…

Et elle recueille aussi les pizzas ? remarqua Cornélia.

La panthère d’eau leva les yeux au ciel.

Andouille ! Elle a plein de partenariats avec le monde des vingt-quatre heures. Sa porte principale donne dans une rue très commerçante, avec plein de restos ! Alors à chaque passage, c’est la ruée vers l’or. Des gens viennent de tous les secteurs voisins pour lui acheter de la bouffe.

Il y avait de la vie, ici. La tzitzimitl aperçut des silhouettes dans les avenues – humains et nivées confondus. Les habitants restaient dans les ombres, là où la chaleur restait supportable. Peut-être avaient-ils peur du convoi également.

En gros, c’est une plaque tournante de pizzas, fit Beyaz en s’incrustant dans la conversation.

Exactement !

L’ours nandi observa ce secteur et ses habitants qui les observaient à distance. Sa gueule entrouverte laissait s’échapper des volutes de vapeur brûlante.

Ça me va bien. Ça va nous changer des machines tueuses et de tout le reste.

Une forme plus grande que les autres se détacha soudain de l’avenue, devant eux. L'excellente vision de Cornélia lui permit de la reconnaître avant ses compagnons.

Epona !

Le khamsin se jeta dans le sillage de la déesse, faisant voler les draps suspendus au-dessus des rues, auréolant sa silhouette d’une poussière dorée qui flottait dans l’air chaud.

Le raijū apparut à côté de Cornélia, les moustaches frémissantes, encore vibrant de petits arcs électriques :

Trop badass !

Ainsi vêtue de vent et d’une élégante sauvagerie, la déesse jument se dirigea vers eux.

***

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