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Blanche se pendit au bras de sa sœur et ricana :

– Si Aaron prend un bain privé, je pourrais peut-être me tromper de salle pour le voir tout nu… C’est un bon plan, non ? C’est pas trop suspect ?

Cornélia leva les yeux au ciel.

– Suspect n’est pas un mot assez fort, Blanche. J’aurais plutôt dit « grillé à quinze kilomètres ». Et ça s’appelle du voyeurisme, c’est légèrement punissable par la loi.

La voix basse d’Aaron s’éleva juste dans leur dos, les faisant sursauter.

– Tu sais, la naine, si tu veux prendre un bain avec moi, tu peux aussi me le dire en face.

Blanche se liquéfia. Elle dégoulina du bras de Cornélia et termina par terre sous la forme d’une petite motte de gelée tremblotante. Aaron les doubla dans un ricanement satisfait.

– Il m’a entendue ! couina Blanche.

– Qui ne t’a pas entendue, au juste ? fit Danaé en s’incrustant dans la conversation. Beyaz ?

– J’ai entendu, grogna-t-il.

– Mitaine ?

Mais bien sûr, personne ne répondit. Leur amie était partie. Danaé mit un peu de temps à se reprendre ; elle se concentra sur Blanche qui avait la figure aussi rouge qu’un feu de route.

– Et voilà ! Tu gueules vraiment comme dans un mégaphone quand t’essaies de chuchoter des trucs à l’oreille de ta sœur. Gaspard a trouvé la formule parfaite.

Son expression se décomposa quand elle réalisa ce qu’elle venait de dire.

– Il avait, je veux dire.

Un silence pesant leur tomba dessus.

– Et voilà ! lança la première servante. On vous laisse vous installer.

De grands bains creusés dans la pierre ondoyaient doucement, jetant des reflets de lumière vers le plafond. Une certaine fraîcheur flottait dans la pénombre. Les serviteurs se dispersèrent dans la salle spacieuse, préparant des serviettes et des savons à disposition des visiteurs ; puis ils disparurent en emportant avec eux leurs voix enthousiastes et leurs éclats de joie. Le silence retomba, léger et calme. Devant la beauté des lieux, une même inspiration profonde gonfla les poumons de tous les boyards.

Ils se décrassèrent d’abord dans un coin de la salle, où les attendaient des seaux remplis d’une eau délicieusement fraîche qui apaisa leurs brûlures et leurs égratignures. Aucune goutte n’était perdue. Des canaux creusés au sol récupéraient toute l’eau épandue et la menaient à l’extérieur – dans les plantations de jeunes arbres ? Ou bien Epona la stockait-elle pour arroser ses champs ambulants ?

Blanche voulut laver Greg, ce qui se solda bien sûr par un échec retentissant. Le chapalu dérapa sur le sol trempé puis fila se cacher derrière un pilier en feulant comme une chèvre asthmatique. Oupyre, quant à elle, vint donner des coups de cornes à tous les seaux des boyards comme dans un jeu de quilles ; ils furent bientôt obligés de les tenir en l’air.

Aegeus apparut sur ces entrefaites, toujours porté par les centaures. Les boyards se turent aussitôt. Ils suivirent leur chef du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière une cloison d’osier, du côté des bains privés.

Posez-moi là, comprirent Cornélia et Blanche lorsqu’un sifflement filtra à travers l’osier. Et allez-vous en.

Les centaures s’en allèrent, guère choqués par la rudesse d’Aegeus. Puis on entendit le bruit d’un corps qui glissait dans l’eau, ainsi qu’un gémissement douloureux.

Il est de type Eau, c’est vrai, songea Blanche en essorant sa chevelure démesurée. Après la chaleur qu’on a eue, ça doit lui faire un bien fou.

Elle-même se sentait aussi revigorée qu’une limace ayant trouvé une flaque après une traversée du désert. Du coin de l’œil, elle reluquait Aaron – ou plutôt son dos nu, la seule chose accessible pour le moment. Lorsqu’il partit voir si son maître avait besoin d’aide, elle ne fut pas surprise de le voir revenir très vite avec un air de chien battu. Aegeus avait certainement besoin d’être seul.

Les boyards étaient eux-mêmes avides d’intimité, après la proximité forcée qu’ils vivaient au quotidien depuis très longtemps. Ils se séparèrent vite et chacun allait se chercher un petit bain isolé par des cloisons. Aaron les imita – les sœurs l’entendirent gueuler sur un boyard pour lui piquer son coin. La hiérarchie avait parfois des avantages.

Cornélia regarda Blanche, qui tournait en rond. Elle avait l’air d’hésiter. Alors l’aînée l’encouragea :

– Vas-y. Va le voir ! J’ai trop hâte de te voir te ridiculiser.

Sa sœur fit la grimace.

– Tu pourrais me soutenir !

– Je suis à cent pour cent de ton côté, Blanche, se moqua sa sœur. Je te dis d’y aller.

Blanche parut peser le pour et le contre.

--------- SCÈNE COUPÉE ------------

Je compte enlever la scène suivante, ou bien la mettre (un jour peut-être) dans un recueil de scènes coupées. À moins que vous arriviez à me convaincre qu’elle a sa place dans le roman :]

Un claquement de langue agacé se fit entendre ; elles se retournèrent toutes deux vers la jeune kumiho. Accroupie sur le sol, elle lavait les cheveux de sa grand-mère avec des gestes d’une grande tendresse, mais son regard tourné vers Blanche était plein d’agacement.

– Pourquoi hésites-tu encore ? Il est vrai que tu es tellement empotée… À ta place, je n’aurais déjà fait qu’une bouchée de ce garçon.

Pardon ? s’énerva Blanche. Je vous ai déjà dit de vous mêler de vos histoires à vous au lieu de me donner des conseils à la mords-moi le nœud !

La vieille kumiho rit doucement, une main sur sa bouche, et les deux renardes plaisantèrent toutes les deux dans leur langue. Elles semblaient très ordinaires, assises sur les dalles, à se doucher avec des seaux comme les autres. La grand-mère jeta un coup d’œil vers Blanche ; malgré son âge, elle avait l’œil vif et malicieux comme celui de sa petite-fille.

Montre-lui, exprima-t-elle d’un geste.

La jeune kumiho soupira. Elle essora ses longs cheveux avec une sensualité affolante, puis elle avisa les alentours. Non loin se tenait Beyaz, qui terminait de se sécher avec une serviette ridiculement petite en comparaison de sa taille. La renarde se leva.

– Regarde bien, petite fille.

Blanche lui répondit par une grimace. Mais elle ne put s’empêcher de la suivre des yeux, comme Cornélia. La kumiho se dirigea vers le boyard, ses cheveux drapés le long de ses courbes comme un rideau de soie noire. Nue et splendide, elle se tint bientôt devant lui. Beyaz émergea de sa serviette, les cheveux grotesquement hérissés en épis. Il lui jeta un coup d’œil.

– Ouais ? C’est pour quoi ?

Son regard monta le long des jambes de la renarde, suivit les courbes de son ventre jusqu’à ses seins blancs. Pour ce qu’en savait Cornélia, il n’avait que rarement eu d’interaction avec elle. La dernière en date remontait à leur fuite chez les archanges. Elle avait voulu intervenir dans un combat, il l’en avait empêchée. « C’est à nous de crever pour vous », lui avait-il jeté. « Pas l’inverse. Vous, contentez-vous de vous pavaner dans votre robe et de nous payer ! »

La kumiho l’observait elle aussi. Avec un plaisir manifeste, elle laissa ses yeux glisser sur les fortes épaules du boyard, sur son large torse couturé de cicatrices irrégulières. Puis plus bas. Beyaz ne se cachait pas. Il la dévisageait d’un air de défi tranquille. Les joues des deux sœurs se colorèrent ; elles se hâtèrent de relever les yeux plus haut.

– J’pourrais jamais faire ça, souffla Blanche avec dépit. Encore un conseil naze !

La kumiho s’approcha encore de Beyaz, en un pas glissé et félin. Trop près pour que quiconque puisse encore nier le caractère intime de son geste. Ils respiraient sûrement le souffle de l’autre. Du bout de l’index, elle suivit le parcours d’une goutte d’eau sur l’un des pectoraux de Beyaz, descendit lentement sur son ventre. Il la regarda faire sans bouger, toujours aussi stoïque. Mais personne ne manqua la manifestation physique – et assez voyante – de son désir pour elle. Une lueur de triomphe passa dans les yeux de la créature. Elle attira son visage vers le sien, joignit leurs lèvres dans un baiser affamé auquel Beyaz répondit avec fièvre. Mais quand sa main s’aventura trop près de son bas-ventre, il lui saisit le poignet.

– Ça ne marchera pas, renarde.

Elle se figea, rouvrit ses yeux sombres. Puis un sourire ourla ses lèvres, félin et transpirant d’envie.

– Vraiment ? Il me semble que cela fonctionne déjà, au contraire.

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