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Il retrouva son sérieux. Ses yeux sombres l’observèrent plusieurs secondes, en silence, avec une telle intensité qu’elle se sentit mal à l’aise.

– Tu sais… les archanges… Ils… Ils aiment les femmes. Ils sont attirés par elles.

Il fixa les lèvres de Cornélia avant de baisser le regard.

– C’est comme ça que je suis né. Moi, et plein d’autres.

Il observa ses propres mains, crispées sur les épaules de Cornélia.

– Je crois que ça les rend vivants. Fréquenter des femmes. Et c’est pour ça qu’ils le font. Parce qu’elles ont des émotions. Vous avez des émotions. Et ça nous réchauffe. Comme une flamme… mais ça brûle aussi, parfois.

Cornélia ne savait plus où donner de la tête au milieu de toutes ces informations qu’elle n’avait jamais demandées. Iroël… avec elle ? Après tout, il lui avait demandé de l’embrasser, chez Midas… Il l’observait doucement. Sa cicatrice sur la lèvre lui dessinait comme une petite canine. Elle se souvint qu’il était presque nu, comme elle, la serviette autour des hanches, et cette information fit sonner une alarme sous son crâne.

– Mais je me maîtrise, dit-il enfin. Je sais que tu ne veux pas. Parce qu’on est juste amis.

Quelque part au fond de sa tête, une Blanche minuscule se mit à hurler : « SEX FRIENDS ! » et elle se hâta de la faire taire.

– Euh… bégaya-t-elle. Euh, je… je…

– Je sais. (Il sourit.) Moi aussi, je veux que ça reste de l’amitié. Je voulais juste te le dire. Je n’agirai pas comme mon père. Jamais.

La Blanche lilliputienne s’était mise à jouer des castagnettes pour accompagner l’alarme, qui ne s’était toujours pas tue. Cornélia retint un juron.

– Merci pour l’info, bredouilla-t-elle. Je m’en souviendrai.

La bêtise de ce qu’elle venait de dire la frappa. Elle saisit sa serviette d’une main – pour être sûre qu’elle ne se dénouerait pas au pire moment – et s’enfuit aussi vite que possible. Iroël la regarda partir, sourcils froncés, alors qu’elle bougonnait :

– Je m’en souviendrai ! Je m’en souviendrai ! Quelle idiote !

Alors qu’elle allait disparaître à l’angle, elle se retourna vers lui et mit ses mains en porte-voix pour lui crier :

– Tu es un très bon ami, Iroël !

Elle se sentit mieux, comme si elle venait de faire le bon choix et de l’assumer publiquement.

Elle se sentit nettement moins bien lorsque sa serviette se dénoua et lui tomba sur les pieds – sous le regard d’Iroël et celui des boyards, bien sûr, qui se baignaient derrière elle.

***

Blanche était au paradis, toute entière consumée par le désir. Elle ne pensait à rien d’autre qu’aux bras d’Aaron autour d’elle, à ses mains, à ses lèvres. Lorsqu’il cessa de l’embrasser, elle le retint désespérément contre elle. Il la fixa, un éclat intense au fond des yeux.

– Patience, susurra-t-il.

Il inspira son odeur au creux de son cou, puis se mit à la lécher et à la mordiller. Les jambes de Blanche flageolèrent. Elle émit un bruit dont l’indécence la fit rougir. Aaron l’étreignit plus étroitement ; ses ongles s’enfoncèrent dans son dos. Il tremblait d’avidité, les muscles bandés pour se contenir. Ses mordillements s’intensifièrent. Blanche couina sans bien savoir à quelle émotion se rattachait ce son. La bosse dure, contre son ventre, commençait à la gêner légèrement. Mais elle savait ce que c’était, et sa seule présence l’emplissait de fierté. Elle, le sac d’os tourné en ridicule si longtemps, elle pouvait susciter le désir ! Elle pouvait être aimée !

– Aïe !

D’un coup, les dents d’Aaron lui semblèrent plus aiguisées. Elle avait du mal à respirer tant il la serrait fort.

– Aaron !

Il tira sur ses cheveux pour l’obliger à tourner la tête, puis lui lécha la nuque comme une gourmandise. Elle tenta de se libérer, sans succès. Elle était piégée.

– Aaron, tu me… tu me fais mal…

La douleur la picota lorsqu’il planta ses dents dans sa nuque. Elle était tordue de côté dans une position inconfortable, coincée dans son étreinte de fer. La voix de Cornélia résonna à son oreille, mêlée au souffle rauque d’Aaron qui haletait comme une bête.

« Qui te dit qu’il va pas te manger toute crue si tu t'approches un peu trop de lui ? »

Aaron ! couina-t-elle.

– Bouge pas, gronda-t-il d’une voix qui n’était plus humaine.

La panique submergea Blanche. Elle inspira à fond, en gonflant ses poumons du mieux qu’elle le pouvait.

– ARRÊTE ! Je ne veux pas !

Aaron se figea d’un coup. Il relâcha lentement sa nuque, laissant de petits éclats de douleur incrustés dans sa peau, et fit un pas en arrière. Son regard était plus trouble qu’elle ne l’avait jamais vu. Hors d’haleine, ils se dévisagèrent. Lentement, la noirceur reflua dans ses yeux à lui, laissant place au garçon qu’elle connaissait. Elle se tâta la nuque d’une main, puis le cou, effleurant de petites plaies irrégulières.

– Ça fait mal… dit-elle piteusement.

La peur passa dans les yeux d’Aaron, puis l’horreur quand il prit pleinement conscience de ce qu’il venait de faire. Il recula d’un coup. Blanche tendit une main vers lui pour le retenir.

– C’est bon, tout va bien. J’ai juste eu un peu mal… euh… et peur…

Aaron la dévisageait, le souffle court, en équilibre instable comme s’il se tenait au bord d’un précipice. Elle n’osa pas s’approcher de lui, de peur qu’il s’enfuie ; mais il crut que c’était pour une autre raison. Il s’agrippa les bras, les ongles plantés dans sa peau comme pour se retenir.

– J’ai tout gâché, dit-il d’une voix exsangue.

– Non !

Il recula encore, les yeux cachés dans l’ombre des arcades sourcilières.

– T’approche pas.

– Aaron ! lança-t-elle en essayant de garder une voix assurée. C’est pas grave. Je t’en veux pas. Pas du tout. Je sais que tu feras plus attention la prochaine fois, j’ai confiance en toi.

Ces derniers mots achevèrent de le rendre fou. D’un geste compulsif, il arracha la peau de son bras en une lacération qui fit jaillir le sang. Blanche poussa un cri d’empathie pure.

– Arrête !

– Non ! Toi, arrête ! hurla-t-il. Arrête de dire que t’as confiance ! Arrête de venir aussi près de moi ! Tu me rends dingue, putain ! Regarde !

Il planta ses dents dans son épaule, assez fort pour percer la peau, puis tira dessus d’un grand coup de mâchoires pour dénuder la chair. Blanche le dévisagea, blême, les tripes broyées par la panique. Elle avait l’impression de voir un loup se dévorer une patte pour se libérer d’un piège. Que pouvait-elle faire ? Il risquait de l’attaquer si elle s’approchait trop.

– Regarde ce que je suis ! J’en ai marre de faire semblant ! J’en ai marre, tu m’entends ? Je vais tout arracher. Toute cette maudite peau !

À l’intérieur de la plaie palpitante apparut la peau noire du crocotta. Des larmes de douleur roulèrent sur les joues d’Aaron tandis qu’il dénudait son bras à coups de dents et d’ongles. Sa peau d’humain se racornissait comme une pelure trop sèche, dévoilant sa véritable nature. Ses dents s’allongeaient déjà.

– Arrête !

Tant pis pour le loup : Blanche se jeta droit dans sa gueule. Elle étreignit le garçon, le serra fort contre elle pour l’empêcher de se faire encore plus de mal.

– Garde ta peau, souffla-t-elle. Garde ta peau…

Trop tard.

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