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Peu importe le convoi ! hurla Aaron.

Des flammes rouges brûlaient au fond de ses yeux. Son pelage se hérissa ; lorsqu’il se redressa, des flots de sang noir coulèrent de ses blessures.

Tuons-les ! Il ne faut jamais épargner ce genre de créatures. Jamais !

Danaé prit le parti de Cornélia.

Regarde-les ! Ils sont si petits ! On sera bientôt partis, on se fiche du reste.

Aaron claqua des mâchoires, projetant des gouttelettes de sang sur Cornélia.

Idiotes ! Il faut les abattre !

D’un geste délibéré, il rasa un immeuble. Juste avant le grand fracas, Cornélia entendit un petit cri terrifié – celui d’un chat. Le petit ocelot fusa comme un éclair, pataugeant dans l’eau à l’aveuglette ; il heurta une pierre, échappa de justesse à l’avalanche de béton armé et de pierres qui se déversa sur l’avenue. Cornélia prit position au-dessus de lui. À son tour, elle claqua des mâchoires.

Il faudra d’abord me passer sur le corps.

Beyaz et Aaron lui firent face. Les deux monstrueuses bêtes tremblaient de fureur. Leurs gros cœurs faisaient un vacarme d’enfer aux oreilles de la tzitzimitl. Leurs souffles grondaient au-dessus de la ville. La colère obscurcit la vision de Cornélia. Ils osaient la défier, elle ? Après tout ce qu’elle avait fait ? Après qu’elle ait vaincu Tezcatlipoca à elle seule ?

La fureur du masque abreuva Cornélia. Son pouvoir renforça ses os et ses muscles, lui fit oublier ses blessures et ses douleurs. Il lui donna des ailes. Ses pattes cessèrent de trembler. Derrière elle, Danaé avait pris position aussi. Ils n’étaient plus amis. Ils n’étaient que des monstres à la force démentielle – des monstres qui étaient en train de perdre tout contrôle.

Venez donc ! rugit la panthère d’eau. Venez vous frotter à mon venin !

Lorsqu’ils se jetèrent sur elles, elles étaient prêtes à les recevoir.


***


– Quelle bande d’imbéciles !

– Je te l’avais dit. Ce genre de magie, ça ne pardonne pas. Ils ont de la chance d’être encore en vie.

Les deux voix parvinrent à Cornélia à travers un brouillard indistinct. La première était celle d’une femme, ronde et pleine, avec un accent familier. La seconde appartenait à un homme. Celle-là aussi lui évoquait de vagues souvenirs.

Elle entendit l’eau clapoter tout autour d’elle. Un ressac doux venait lui battre les tempes. Puis vinrent d’autres sensations. Quelque chose sur son bras et sa jambe. Quelqu’un qui la touchait. Quelqu’un qui la bandait.

– Boudiou, elles se sont pas loupées, soupira la première voix.

– Les autres non plus.

– Bah ! Les autres, c’est des mecs, j’m’en fous. Moi, je m’occupe des filles. Solidarité féminine.

On s’affaira autour de Cornélia pendant un certain temps. La voix de femme n’arrêtait pas de râler et de jurer. Des bandages furent déroulés, puis serrés dans des bruits feutrés. Cornélia avait mal partout. C’était comme un incendie perpétuel qui la brûlait plus fort à certains endroits.

– Et toi, tu t’es occupé des garçons ? demanda la voix féminine.

L’autre parut interloqué.

– Moi ? Non.

Chaque fois qu’il se déplaçait, on entendait un petit carillon métallique.

– Ah bah super la solidarité masculine ! critiqua la première.

– Bah ! Ils s’en remettront. Nous les mecs, on est des durs à cuire. Pas comme vous.

– Dis donc, toi !

Un bruit reconnaissable. Celui d’une boîte de conserve qui heurtait le crâne de quelqu’un.

– Aïe !

– Ça t’apprendra !

Ce bruit… ces voix… Cornélia les connaissait. Pourquoi ne parvenait-elle pas à s’en rappeler ? Pourquoi tout était si trouble autour d’elle ? Elle n’arrivait même pas à ouvrir les yeux. Lui avait-on bandé la tête ?

– Et ces deux-là, on en fait quoi ?

Un autre bruit. On aurait dit celui d’un carton en train d’être plié. Un son incongru dans la Strate. L’image d’une petite tarasque s’imprima sous les paupières de Cornélia. Oui… une petite tarasque dans un carton.

– Petit Pouet…

Elle ne reconnut pas sa voix dans ce murmure qui s’échappa de ses lèvres desséchées.

– Baste, elle se réveille. Fais vite !

– T’es marrant, toi ! Il se tortille dans tous les sens, le bestiau !

Un bruit de lutte – une petite lutte au ras du sol. Pas un combat de colosses comme celui dont Cornélia se rappelait. Le carton grinça de nouveau.

– Et voilà ! fit la voix de femme emplie de fierté.

– Tu es sûre de toi ? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux les laisser partir ?

– S’ils avaient voulu s’enfuir, j’pense qu’ils l’auraient déjà fait. Mais ils sont restés là, à côté de Cornélia et Danaé…

La voix baissa.

– T’inquiète. Les filles sauront quoi faire d’eux. Elles sont malignes, ces petites.

L’eau clapota quand elle s’approcha de Cornélia. Celle-ci respirait avec difficulté. Chaque inspiration la faisait souffrir le martyre. Avait-elle une côte fêlée ? Quand une main fraîche se posa sur sa joue, elle retint son souffle.

– Vous avez réussi, lui chuchota la voix. Et vous êtes en vie. Même si on se demande bien comment, bande de branquignoles !

Ce contact… ce n’était pas une main humaine. C’était doux et moelleux, et très frais…

– Tout est fini maintenant, souffla la voix. J’crois qu’on va arrêter d’vous suivre. Il est temps.

Elle s’éloigna.

– Adieu, les filles. Rentrez chez vous.

Alors Cornélia comprit. De la mousse. De la mousse, comme celle qui poussait sur les arbres à l’ombre des rivières. Mais bien sûr ! Cette voix…

Trop tard. Les deux personnes s’éloignèrent, puis s’évanouirent dans le clapotement éternel de la Strate. À chaque pas de l’homme carillonnaient ce que Cornélia savait être des pièces d’argent.

– Mitaine… articula-t-elle.

Mais son murmure se perdit dans la rumeur de l’eau.

– Gaspard…

Elle ne reçut jamais de réponse. Ils étaient partis. D’un geste lent, rouillé comme celui d’une vieillarde, elle toucha ses côtes bandées. Une larme unique roula sur sa joue.

– Merci…

***

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