Livre Quatorzième : Les Chapelles du Désespoir et la Litanie des Substituts
14:1 Et Victor, né des cendres et recouvert de leur poussière, s’avança vers les sanctuaires nocturnes où l’on prie pour oublier. 14:2 Non plus en quête de lumière, mais en pèlerin de l’obscurité domestiquée, il chercha refuge dans les temples de comptoir.
14:3 Chaque bar fut église, chaque verre un calice amer. 14:4 Le pain quotidien devint alcool tiède, et le vin fut sans grâce ni miracle. 14:5 Ainsi commença sa litanie : une communion déglinguée, répétée sans croyance, mais avec fidélité.
14:6 Là, parmi les âmes flottantes, il croisa des visages sans lendemain. 14:7 Les corps s’effleuraient, les regards glissaient, les mots se dissolvaient avant d’exister. 14:8 Rien n’était destiné à durer, tout était programmé pour fuir.
14:9 Victor, ex-maître du Verbe cadré, devint conteur de néons. 14:10 Aux barmen silencieux, confesseurs des temps modernes, il livra ses fragments. 14:11 Non pour être absous, mais pour exister un instant dans une oreille non exigeante.
14:12 Le verre devint prière, la fumée offrande. 14:13 Chaque bouffée suspendait le doute. Chaque gorgée déposait la peur. 14:14 Le temps, ce tyran, se dissolvait dans l’éthanol.
14:15 Et le corps, jadis sculpté, se relâchait. 14:16 Les muscles cédèrent, les sens se flétrirent. Mais avec cette perte vint une étrange humanité.
14:17 Victor devint chair et chaos. Une forme moins lisse, mais plus sincère. 14:18 Une stèle vivante du Verbe inversé, une offrande complète à Saint-Bordel.
14:19 Et Celui-ci, du haut de Son autel de cendres et de gobelets vides, s’émerveilla : 14:20 « Voilà un rite accompli. Voilà un homme rendu vrai par sa propre dissolution. » 14:21 Car dans les verres renversés et les silences enfumés, Victor atteignait enfin la lucidité du chaos sacré.
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